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Robert Fisk : Huit morts et l'écho de la sanglante
histoire de Beyrouth se propage dans ses rues

Par Robert Fisk

The Independent, mardi 29 janvier 2008
article original : "Robert Fisk: Eight dead, and echoes of Beirut's bloody history reverberate around its streets"

Quand est-ce qu'une guerre civile est une guerre civile ?
Une bombe par semaine ? Une bataille de rue par mois ?
Parce qu'après les funérailles d'hier à Beyrouth,
cette question n'est plus d'ordre académique.



Les cercueils de l'officiel d'Amal, Ahmed Hamzeh, et de son camarade Mahmoud Adjouz
sont portés durant la procession funéraire à Shiyah, au sud de Beyrouth

Huit Libanais chiites ont été tués, en seulement deux heures, dans le quartier de Mar Mikhaël de Beyrouth, au cours d'une fusillade qui a impliqué des assaillants inconnus - et c'est la partie la plus sinistre de ce carnage - dans les rues-mêmes où la guerre civile libanaise de 15 ans s'est déclenchée en 1975. Puis, un car entier de Palestiniens sur son trajet de retour depuis le camp de réfugiés Tel el-Zaatar fut pris dans une embuscade. Dimanche soir, c'est un large groupe de Musulmans libanais qui protestait contre la vie chère et les coupures d'électricité.

L'armée libanaise a-t-elle abattu ces huit personnes ? Il apparaît que des soldats auraient pu avoir tué l'un d'eux par accident. Mais vu que l'une des victimes était l'officier de liaison de la milice Amal avec l'armée nationale, il semble improbable que les soldats aient ouvert le feu sur lui. Y avait-il des snipers chrétiens à l'est de Mar Mikhaël ? Les soldats ont certainement tiré dans l'obscurité sur des snipers qui se trouvaient autour de l'église maronite, alors que les balles crépitaient autour d'eux.

Le Hezbollah - il est apparu qu'au moins cinq morts faisaient partie de ses supporters - a fait des déclarations qui accusent à moitié l'armée nationale d'avoir "fait feu sans discrimination sur les manifestants", appelant même l'armée à "révéler le nom du criminel qui a tué des civils innocents". Mais puisque la plus grande communauté représentée dans l'armée libanaise est chiite, l'idée selon laquelle celle-ci aurait tiré sur ses propres coreligionnaires semble un peu tirée par les cheveux. Lors des affreuses émeutes sectaires de l'année dernière, même quand des hommes armés apparaissaient dans les rues, l'armée n'a pas tué un seul Libanais.

Donc, qu'avons-nous à apprendre de cette nouvelle flambée effrayante de violence à Beyrouth ? La première leçon sinistre que l'on peut tirer est qu'il y avait des centaines de "civils" dans les rues autour de Mar Mikhaël - des Chrétiens comme des Musulmans - qui portaient des armes. Tout le monde sait que les Beyrouthins ont gardé leurs armes de la guerre civile.

Il y a quelques jours, j'ai vraiment essayé de me souvenir si je connaissais quelqu'un (à part moi) qui ne garde pas une arme à feu à la maison ; je ne pouvais penser qu'à quatre personnes. Mais de les voir dans la rue, portant des armes à feu, n'a fait que montrer à quel point nous sommes au bord du volcan. La deuxième leçon - et peut-être la plus dérangeante - est que ces incidents violents à Beyrouth se rapprochent de plus en plus les uns des autres. Une bombe tous les deux mois - une bataille de rue tous les six mois - pourrait être supportable.

Mais les Libanais avaient à peine enterré les cinq morts dans l'explosion de la voiture piégée de la semaine dernière, que les victimes des combats de dimanche dernier ont [déjà] été lavées rituellement et préparées pour la tombe. Il apparaît maintenant que le Capitaine Wissam Eid, le jeune officier de l'armée qui a trouvé la mort dans l'explosion de la voiture piégée la semaine dernière, était l'expert en chef des autorités de sécurité qui suivait à la trace les appels sur les téléphones portables. Aujourd'hui, le téléphone mobile est le meilleur ami de l'assassin (avec sa bombe et la fidélité de ses horribles amis). Donc, le meurtre d'Eid a été un sérieux coup porté au Liban par les assassins.

La Ligue Arabe s'est pointée hier en débitant à nouveau son appel pour la paix au Liban, promettant de renvoyer son secrétaire général infiniment nul et ennuyeux, Amr Moussa, pour parler aux suspects habituels. La réalité, bien sûr, est que la ligue est encore moins capable d'apporter la paix au Liban que les Nations-Unies et tout le monde à Beyrouth sait que le Général Michel Sleiman, le commandant de l'armée libanaise, ferait un président acceptable pour toutes les factions de ce pays.

Nous attendons à présent la 13ème tentative d'élire ce pauvre homme. Tout le monde prétend qu'il s'agit d'un problème libanais, alors qu'ils savent tous depuis le début que la violence dans ce pays est dictée par le conflit continu entre Washington et Téhéran. Ainsi va le sort du Liban.

Traduit de l'anglais par : [JFG-QuestionsCritiques]