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La discipline de fer du Hezbollah est un
adversaire à la mesure de la machine militaire

Par Robert Fisk

publié dans The Independent, le 11 août 2006,
article original : 'Hizbollah's iron discipline is match for military'

On entend beaucoup de braillements et de rugissements provenant d'Israël à propos d'une attaque militaire massive jusqu'au fleuve Litani. Mais aujourd'hui, ces rugissements et ces braillements, qui promettent de "déraciner" la "graine" de "terroristes" musulmans chiites hezbollahi, supposés - du moins dans les fantasmes d'Israël - être les alliés des ennemis de l'Amérique dans la Guerre contre la Terreur (un conflit que nous soutenons bien sûr tous religieusement), ont baissé d'un cran.

Une colonne de blindés israéliens, qui a rampé jusqu'à l'intérieur de la ville libanaise chrétienne de Marjayoun - largement peuplée par les collaborateurs libanais, de 1978 à 2000, des occupants israéliens - a bifurqué hier au nord vers Khiam, un village déjà en grande partie dépeuplé, pour s'y apercevoir que les guérilleros du Hezbollah refusaient de se rendre.

La frustration d'Israël - et son sentiment d'avoir perdu, puisque 15 de ses soldats ont été tués dans la seule portion de la zone frontalière du sud Liban que Tsahal "contrôle" depuis ces dernières 24 heures - était manifeste dans le document potentiellement criminel qu'il a largué hier au-dessus de Beyrouth. Signé "l'Etat d'Israël" - ce qui a au moins le mérite de rendre son origine claire - ces tracts annonçaient que "les Forces de Défense d'Israël ont l'intention d'étendre leurs opérations dans Beyrouth".

Aïe ! Avons-nous tous dit après l'avoir lu, nous attendant à plus de morts parmi les civils. Et nous n'étions pas dépourvus de preuve ! La décision israélienne, annoncée dans ce document israélien - un carré de papier voletant, place Riad Solh, au-dessus des boutiquiers et des employés de bureau, et sur moi - avait été prise parce que les roquettes du Hezbollah continuaient de tomber sur Israël et à cause des "déclarations de leur dirigeant" de la veille au soir. En effet, mardi soir, Sayed Hassan Nasrallah, le président du Hezbollah, s'était vanté des 350 missiles que ses membres, selon lui, avaient tirés sur Israël pendant ces dernières 48 heures et conseilla vivement au Arabes israéliens de quitter Haïfa.

Il devrait être dit, aussi, que les soldats israéliens ne sont pas en train de gagner leur guerre dans le sud-Liban. Mercredi, à moins de 2 kilomètres de leur propre frontière, ils ont perdu 15 soldats et beaucoup d'autres ont été blessés. Le plus loin qu'une colonne de blindés ait pu aller hier était les abords de Khiam, le site de leur propre prison tristement célèbre où la torture a été pratiquée de 1978 à 2000. Ce village n'est encore distant que de 2,5 km de la frontière et ils combattent un ennemi beaucoup plus déterminé et discipliné qu'en 1982, lorsque leur "incursion" les a conduit jusqu'à Beyrouth.

Les Israéliens ont traversé cette même frontière pour se rendre compte que leurs ennemis, le Hezbollah, sont prêts à mourir dans la bataille - ce qui ne fut pas le cas de l'OLP laïque qu'ils ont facilement vaincue en 1982. Le Hezbollah est un ennemi différent. Les affirmations du Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, selon lesquelles il poursuit la même "guerre contre la terreur" que George Bush, sont réduite en poussière face à cet adversaire. Le Hezbollah est pourvu en officiers par des hommes qui ont passé 18 ans à combattre les occupants israéliens et qui ont appris à leurs dépends qu'un meilleur armement et une discipline de fer sont plus importants que les discours nationalistes. Depuis le retrait israélien de 2000, ils ont eu six ans pendant lesquels ils ont enfoui leurs caches d'armes dans le sous-sol, et cela dans un secret extraordinaire.

Etonnamment, la chaîne de télévision du Hezbollah, al-Manar, émet toujours. Et c'est peut-être la rage d'Israël, face à cette démonstration surprenante d'initiative technologique, qui l'a conduit à cette attaque grotesque, à Beyrouth-ouest, contre les vieux sémaphore et transmetteur de radio français, qui remontent à la période du mandat. Cette structure, construite par les Français dans les années 30, avait été, pendant et après le régime de Vichy, une station-relais de Radio France, mais elle était laissée à l'abandon depuis 1946. Pourtant, à 11h20 hier matin, les Israéliens ont gaspillé deux missiles contre cette tour, prouvant ainsi que leur "guerre contre la terreur" - dans laquelle ils insistent pour dire qu'ils sont "nos" alliés - remonte à une époque où Israël n'existait même pas encore.

Le document largué hier par l'aviation israélienne ordonnait aux Musulmans chiites des quartiers de Beyrouth, Hay al-Selloum, Bourj al-Barajneh et Chiyah, d'abandonner leurs foyers "immédiatement". Autrement dit, l'armée israélienne souhaite "nettoyer" de tout civil les 30 km2 qui séparent l'aéroport de Beyrouth et la vieille ligne de front chrétienne de la guerre civile à Galerie Semaan. Ce document méchant se termine par une menace sinistre - qui viole toutes les règles de la Convention de Genève à ce sujet - selon laquelle "chaque expansion des opérations terroristes du Hezbollah mènera à une riposte sévère et puissante et que cette riposte douloureuse ne se limitera pas au gang de criminels d'Hassan".

Que signifie donc "ne se limitera pas" ? Que ce sont les civils qui en paieront le prix - cette fois-ci à Beyrouth - comme ils l'ont payé au sud-Liban ces trois dernières semaines dans les massacres perpétrer par l'aviation israélienne !

Eh bien ! Tenez-vous prêts à plus d'atrocités de la part du Hezbollah et à plus d'atrocités israéliennes !


© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]