Au Liban, la méfiance alimente le cycle de la violence
Par Robert Fisk
The Independent, 6 août 2007,
article original : "Robert Fisk: Mistrust fuels cycle of violence in Lebanon"
Quand, oh! quand, les Chrétiens libanais cesseront-ils de se détruire les uns les autres ? Le Parti Démocratique Libre du Général Michel Aoun (donnez-lui une couleur orange vif) s'est opposé hier, en compagnie de leur alliés pro-syriens, contre le candidat phalangiste Amin Gemayel, l'ancien président et père du Premier ministre en exercice, Pierre, assassiné l'année dernière &mdash par les Syriens ? Par les Chrétiens rivaux ? Choisissez !
Pour Gemayel &mdash lire autorité &mdash, le pouvoir du parlement démocratiquement élu, du gouvernement du Liban (appellation plus pertinente : du gouvernement libanais soutenu par les Etats-Unis). Pour Aoun &mdash qui a prétendu autrefois "libérer" le Liban de la Syrie, dans la guerre désastreuse de 1990, mais qui voudrait aujourd'hui être le président syrien du Liban &mdash ce fut un moment "pro-syrien". Son candidat pourrait ne pas gagner [NdT : en fait, il a devancé Gemayel de quelques centaines de voix], mais il reformulera la politique libanaise, où "pro-syrien" pourrait une fois de plus redevenir devenir une étiquette politique respectable.
Ces questions sont mortellement sérieuses, dans tous les sens du terme. Pierre Gemayel, le fils du candidat Amin, a été tué par balles dans sa voiture en novembre dernier et, donc, les Chrétiens qui ont voté pour lui &mdash il a peu de Musulmans dans les magnifiques collines de Metn &mdash l'ont fait contre ses tueurs présumés, les services de sécurité syriens.
Prêt à tout pour éviter le langage de la guerre civile &mdash que tous les candidats utilisent en privé &mdash Aoun s'était, un peu plus tôt, adressé à une foule dans la banlieue de Beyrouth derrière un écran pare-balles et traité ses opposants de "moulins à mensonges", ajoutant méchamment : Je ne les appellerai pas fils de serpents, mais fils de la rumeur et les rumeurs sont comme une mauvaise herbe sans racines. Une fois que vous l'arrachez, elle meurt".
Si cela vous semble sinistre, écoutez dont la mise en garde de Gemayel à ses opposants ! "Le Metn ne sera jamais une banlieue de Damas", y ajoutant les alliés politiques de la Syrie, en particulier Ali Qanso, du Parti Social Nationaliste Syrien, soutenu par Aoun. Le peuple de ces collines &mdash où son fils se trouve dans la crypte familiale à Bikfaya &mdash savait que l'ancien général les "entraînaient dans une bataille dont ils ne voulaient pas" et que la bataille électorale "dansait sur le sang des martyrs".
Encore une fois, les Chrétiens sont divisés &mdash en grande partie, sans aucun doute, pour le plus grand plaisir de la Syrie &mdash et le danger de combats inter-chrétiens qui, la semaine dernière, ont pris la forme de caillassages et de raclées dans les rues de Beyrouth, s'est accru. Le système électoral sectaire (à l'origine, grâce au Mandat Français de la Société des Nations) a eu pour conséquence que le parti arménien Tashnak soutient Aoun, un fait qui a scandalisé les supporters de ce parti dans l'Etat d'Arménie. Qu'est-ce que Aoun a jamais pu bien faire pour reconnaître le génocide de 1915 d'un million et demi d'Arméniens par les Turcs ottomans ?
Tout cela remonte à une seule équation : si les Libanais se faisaient mutuellement confiance, autant qu'ils font confiance à Washington, Téhéran, Tel Aviv, Damas, Londres ou Paris, ils seraient en sécurité. Mais le système sectaire de la politique garantirait que la déconfessionnalisation du Liban détruirait l'identité du pays. C'est pourquoi ce pays vit dans la pénombre constante de la guerre civile.
© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]