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Le Liban sera la première victime de la crise iranienne

Par Robert Fisk

The Independent, le 21 février 2007
article original : "Robert Fisk: Lebanon will be first victim of Iran crisis"


Comme les étincelles du feu américano-israélien retombent facilement sur le Moyen-Orient ! Chaque menace et chaque intransigeance prononcées à Washington et à Téhéran brûlent désormais un peu plus le Liban. Ce n'est pas par hasard que les forces de l'Onu au sud du pays se retrouvent à présent face à une suspicion croissante parmi les Musulmans chiites qui vivent là-bas. Ce n'est pas une coïncidence si Israël tonne que le Hezbollah est aujourd'hui plus puissant qu'il ne l'était avant la guerre de juillet dernier. Ce n'est pas un accident si Sayed Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah, dit qu'il a fait venir plus de missiles au Liban.

Pourquoi, demandent les Libanais, le Président Bashar al-Assad a-t-il rendu visite au Président iranien Ahmadinejad le week-end dernier ? Pour faire avancer leur "relations" fraternelles ? Ou pour planifier une nouvelle guerre contre Israël au Liban ?

Les images des tirs iraniens de nouveaux missiles pendant les trois jours de manœuvres — apparemment des fusées à longue portée qui pourraient être tirées sur les navires de guerre étasuniens stationnés dans le Golfe — se sont étalées dans les journaux beyrouthins, hier matin, accompagnées des dernières menaces de Washington d'effectuer des frappes aériennes contre l'armée iranienne. Soyez certains que les Libanais seront les premiers à souffrir !

Pour l'Ouest, la crise au Liban — où le Hezbollah et ses alliés exigent toujours la démission du gouvernement de Fouad Signora — devient plus grave d'heure en heure. Jusqu'à 20.000 soldats de l'Onu — y compris les bataillons espagnols, français et italiens de l'Otan — sont à présent disséminés sur les collines du Sud-Liban, sur le champ de bataille même où les Israéliens et le Hezbollah menacent de se battre à nouveau les uns contre les autres.

Si Israël est le mandataire de l'Amérique (ce dont les Libanais ne doutent pas), alors le Hezbollah est le mandataire de l'Iran. Plus les Etats-Unis et Israël mettrent en garde l'Iran sur ses ambitions nucléaires supposées, plus le Hezbollah accroît sa pression sur le Liban.

Déjà, il y a des signes dangereux de ce qui pourrait arriver. Les troupes espagnoles ont été caillassées la semaine dernière par des jeunes dans un village libanais. Des soldats français qui arrivaient à Maroun al-Ras avec leur convoi médical hebdomadaire pour les civils libanais locaux se sont entendus dire en termes on ne peut plus clairs qu'ils n'étaient pas les bienvenus. Les Français sont immédiatement partis. Etait-ce parce que le Président Jacques Chirac, occupé à commémorer son ami libanais assassiné, Rafik Hariri, lundi à Paris, parle à présent de placer les forces de l'Onu non seulement le long de la frontière entre le Liban et Israël mais aussi le long de la frontière avec la Syrie ?

M. Chirac prévient que la guerre de l'été dernier entre le Hezbollah et Israël pourrait "replonger le Liban dans une crise profonde". Si les Libanais ne se ressaisissent pas, a ajouté le président français, ils pourraient "glisser une nouvelle fois dans un abîme fatal". Ce ne sont pas des mots qui ont des chances d'être acceptables pour le Président Assad ou son homologue de Téhéran.

Ajoutez à cela la déclaration du Général Yossi Baidatz, le chef de la recherche en intelligence militaire d'Israël — contesté par Amir Peretz, le Ministre israélien de la Défense — que le Hezbollah "accumule plus de puissance de feu qu'il ne l'a fait avant la guerre... une partie étant en route depuis la Syrie", et il n'est pas difficile de voir pourquoi une délégation de sénateurs italiens en visite à Beyrouth ont exprimé leurs craintes pour leurs propres casques-bleus au Sud-Liban.

Un général de division italien, Claudio Graziano, vient juste de prendre le commandement de la force multinationale, la FINUL, et a été décrit par les Israéliens comme un expert en "contre-terrorisme" — pas vraiment l'éloge que le Général Graziano voulait de la part des Israéliens alors qu'il est confronté aux dangers des semaines et des mois à venir. En fait, les généraux semblent faire fureur ces jours-ci au Liban, dont le dernier d'entre eux — le Général d'Armée libanais Michel Sulieman — a prononcé un discours de bon sens remarquable, accusant effectivement les politiciens libanais de ne pas créer l'unité qui pourrait résoudre les problèmes du Liban.

Lors des combats de rue du mois dernier à Beyrouth et dans d'autres villes, les soldats du_ Général Sulieman ont accompli la prouesse extraordinaire de briser à plusieurs reprises les émeutes sans tuer un seul libanais.

"Le Liban ne peut être gouverné par son armée ou au moyen d'une dictature", a-t-il dit. "C'est un pays rassasié de démocratie... mais une telle quantité de démocratie au Liban pourrait conduire au chaos.

"Les soldats en sont encore plus conscients que beaucoup de dirigeants de ce pays".

Jusqu'à 70% de l'armée libanaise — qui est aujourd'hui une armée de volontaires, plutôt qu'une force de conscrits — sont des Chiites, ce qui explique pourquoi elle ne peut pas être utilisée pour désarmer le Hezbollah — qui est chiite lui aussi.

traduit par [JFG/QuestionsCritiques]