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Liban : élections législatives

Les électeurs libanais empêchent la prise de pouvoir par le Hezbollah

Par Robert Fisk
The Independent, mardi 9 juin 2009

article original : "Robert Fisk: Lebanese voters prevent Hizbollah takeover "

Un gouvernement de « salut national » installé pour diriger le Liban après
l’échec du pro-occidental Saad Hariri à revendiquer une victoire décisive



Des supportrices du Mouvement Patriotique Libre du dirigeant
chrétien, Michel Aoun, hier à Beyrouth (AP/BILAL HUSSEIN)

Il n’y aura pas de république islamique du Liban. Il n’y aura pas non plus de république libanaise pro-occidentale. Après le scrutin d’hier, il y aura – pour la coalition Hezbollah-Chrétiens et pour l’alliance laïque Sunnites-Chrétiens – un gouvernement de « salut national » à Beyrouth, dirigé par un ancien militaire général-président avec des pouvoirs encore plus grands.

Washington aurait préféré que Saad Hariri, le fils de l’ancien Premier ministre assassiné, sorte de ce scrutin avec une nette victoire. Mais, sorti de l’ombre, se trouvera le même Liban, paralysé et incapable de guérir ; délicieux, ingérable, pauvre vieux Liban, corrompu, magnifique, enclin à la vanité, intelligent, démocratique – ou, définitivement démocratique – et absolument hors de nos pouvoirs de réforme.

Le système électoral libanais – un mélange fou de sectarisme, de représentation proportionnelle et d’arrangement de « listes » - signifie que personne ne « gagne » jamais réellement les élections au Liban ; et, hier ne fut pas différent. Les partis « anti-syriens » - les Sunnites, les Druzes, la moitié de la communauté chrétienne – se sont assurée que leurs voix empêchent le Hezbollah de prendre le pouvoir, tandis que le vote chiite énorme – pour le Hezbollah, le parti Amal et les Chrétiens qui suivent l’exemple de l’ancien général chrétien enragé Michel Aoun – ont fait en sorte qu’il n’y aura aucune victoire nette pour les amis de l’Amérique dans le pays.

Mais le président, lequel selon la constitution non-écrite du Liban doit être un Chrétien maronite, pourra façonner une sorte de « bloc central » d’ici midi aujourd’hui – comme l’espère l’ensemble des Libanais – qui inclura le Hezbollah, les forces anti-syriennes de l’Islam sunnite, les Druzes et même les Chrétiens. Ces derniers, toujours leurs propres pires ennemis au Liban, bien qu’ils ne soient qu’une minorité, seront plus puissants que jamais parce que le président est l’un d’eux.

Le Liban a déployé 60.000 soldats et policiers en armes pour contrôler les urnes et, tout à leur crédit, pas un seul coup de feu ne semble avoir été tiré. Etant donné la nature personnelle de certaines compétitions – c’est une société hautement tribale, peu importe la modernité de Beyrouth et de sa banlieue – ce fut plutôt un accomplissement ! Conduisant à travers la capitale, j’ai découvert des barrages bon-enfant, me tendant des tracts avec les noms des candidats pour lesquels je devais voter, des Chrétiens et des Musulmans sur la même liste. S’ils portaient des chapeaux bleus, ils étaient pour Hariri. S’ils avaient des chapeaux jaunes – et il y avait des femmes musulmanes conservatrices sans voile – ils étaient pour le Hezbollah. S’ils étaient habillés en orange, ils essayaient de gagner des voix pour Aoun.

Les Libanais, des gens très perspicaces, ont lu la presse étrangère et écouté la BBC, Al-Jazeera et même Fox News. Ils savaient que pour les étrangers – les ajnabi - il n’y avait qu’une seule histoire : le Liban devient un prolongement de l’Iran ou de la Syrie – ou il reste entre les mains de l’Amérique. Plus dangereusement, les Israéliens seraient capables de prétendre que c’est une Etat « terroriste » si le Hezbollah gagnait. Mais alors les Israéliens prétendraient aussi que ce serait un Etat « terroriste » si même un seul ministre était membre du Hezbollah. Ils n’en feraient qu’à leur tête.

Dès hier soir, il semblait que l’éventail des partis remporterait chacun une part des suffrages égale à leurs nombres ; que les musulmans chiites obtiendraient le plus gros groupe de députés mais sans une majorité, permettant ainsi au système de partage du pouvoir au Liban de revenir comme au bon vieux temps. Pourquoi devrions-nous nous en inquiéter ? Oui, c’est corrompu. Des dizaines de milliers de Libanais sont revenus en avion pour voter – on ne peut pas voter à l’étranger dans les élections libanaises – alors, qui a payé leur voyage ? Qui dispose de 35 millions d’euros pour payer des billets d’avion ?

Pour être un Etat moderne, le Liban doit se laïciser. Son président – actuellement l’ancien général Michel Sleiman – devrait être élu sur le mérite plutôt que sur la religion. Son Premier ministre, qui doit être un musulman sunnite, devrait être élu sur son mérite. Mais au moment où vous ôtez ces privilèges, le Liban cessera d’être le Liban – parce que son identité même est le sectarisme.

Le Liban est un tout petit pays, d’à peine plus de 10.000 km2, et il est sans aucun doute musulman (60% de ses 4 millions d’habitants sont musulmans), mais il a 18 sectes religieuses qui incluent les descendants des pauvres chrétiens arméniens qui, nus et battus, se sont traînés ici après leur génocide perpétré par les Turcs en 1915. Les Assyriens sont passés par-là. Ainsi que les Perses, les Romains, les Croisés, les Mamelouks, les Arabes et les Ottomans. Et les Américain, bien sûr, ainsi que les Israéliens.

L’élection d’hier aura probablement « uni » les bons vieux Libanais encore une fois. Dans quel chaudron ? Il suffit d’attendre pour le savoir.

La politique et les acteurs

*Quels étaient les principaux acteurs de ces élections législatives ?

Une coalition de factions pro-occidentales a concouru contre une alliance entre le Hezbollah pro-syrien (le Parti de Dieu), soutenu par l’Iran, et une faction chrétienne conduite par l’ancien chef militaire Michel Aoun. Les Musulmans sunnites ont fortement soutenu le groupe pro-occidental qui est dirigé par Saad Hariri, le fils de l’ancien Premier ministre assassiné, Rafiq Hariri, tandis que les Musulmans chiites soutenaient l’alliance conduite par le Hezbollah. Les Chrétiens étaient divisés.

*Ce scrutin affectera-t-il le grand Moyen-Orient ?

Un succès électoral du Hezbollah accroîtrait l’influence syrienne et iranienne sur le Liban, compliquant les efforts de redémarrer le processus de paix au Proche-Orient. Israël n’a pas réussi à vaincre le Hezbollah dans la guerre de 2006 et réagirait négativement à cette élection. Les Etats-Unis considèrent le groupe militant chiite comme une organisation terroriste et a juré de revoir son aide au Liban si le groupe militant chiite gagnait une place dans le gouvernement.

Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]