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L'ex-président iranien :
"L'agression américaine alimente l'extrémisme "

Par Robert Fisk

publié dans The Independent, le 4 septembre 2006,
article original : 'America's aggression is fuelling extremism', says Iran's ex-president

Tandis que la "guerre contre la terreur" menée par l'Occident brûle dans tout le monde musulman, hier, l'un des dirigeants le plus proche des principes de l'Islam — l'ancien président iranien Mohammed Khatami — a lancé une mise en garde sérieuse du cœur même de l'Amérique. Ce pays dont les troupes et les alliés combattent les Islamistes dans tout le Moyen-Orient, dans une guerre qui cause la mort de milliers de Musulmans.

"La politique des néoconservateurs a créé une guerre qui engendre plus d'extrémistes et de radicaux", a-t-il déclaré à The Independent, à Chicago. "Les événements du 11/9 leur ont donné cette capacité de créer la peur et l'angoisse... et de créer de nouvelles politiques de leur cru. Et, à présent, ces événements créent l'expansion des extrémistes dans les deux camps. Une lutte est en cours pour dominer ce monde, multilatéralement... Nous sommes les témoins de cette guerre — avec la répression dans un camp et la réaction extrémiste sous la forme du terrorisme dans l'autre".

M. Khatami pourrait sembler être un personnage improbable dans la salle de petit-déjeuner de l'un des hôtels les plus chics de Chicago, vêtu de sa longue robe et de son turban noir. Ses lunettes lui confèrent l'apparence d'un doyen universitaire — ce qu'il a été autrefois — plutôt que celle du voyant de l'Iran, cet homme dont l'exigence pour une société civile et la démocratie dans son pays a été écrasée par les ecclésiastiques ascétiques qui entourent le Dirigeant Suprême, l'Ayatollah Khamenei. Pourtant, en tant qu'universitaire philosophe, Khatami est extrêmement important dans les mondes sunnite et chiite. C'est probablement la raison pour laquelle l'administration Bush lui a délivré un visa. Mais son message a été le plus dur qu'il a jamais délivré au monde musulman et à l'Occident laïque.

L'ancien président a déclaré : "Nous devons trouver les moyens d'affronter ces personnes dans les deux camps. Nous avons besoin que l'opinion publique soit influencée... Et à présent la politique des néoconservateurs a créé cette sorte de guerre".

Mais M. Khatami, qui a défendu le rôle de l'Iran dans la crise nucléaire entre l'Ouest et Téhéran — il a demandé pourquoi Israël était autorisé à avoir des armes nucléaires tout en refusant de signer le pacte de non-prolifération —, n'a pas épargné les auteurs de ce qu'il a appelé "les attaques terroristes inhumaines" du 11 septembre 2001. "J'ai été l'un des premiers responsables à condamner cet acte barbare... cet enfer qui ne pouvait qu'intensifier l'extrémisme et l'unilatéralisme et qui n'a eu aucun autre résultat que de retarder la justice et l'intelligence et de sacrifier la droiture et l'humanité", a-t-il dit.

Ce week-end, s'adressant à 15.000 Musulmans américains, M. Khatami a aussi clairement attaqué l'influence du lobby politique d'Israël aux Etats-Unis. "Malheureusement, nous assistons à l'émergence d'une politique qui cherche à confisquer l'opinion publique afin d'exploiter toute la grandeur de la nation américaine et des Etats-Unis... une politique qui résulte d'un point de vue qui, malgré son absence totale de statut dans l'arène publique étasunienne — eu égard aux chiffres — utilise des groupes catégoriques de lobby et des centres d'influence. Leur objectif est d'utiliser l'entièreté de la puissance et de la richesse de l'Amérique pour promouvoir ses propres intérêts et pour implanter des politiques à l'extérieur des frontières étasuniennes, qui n'ont aucune ressemblance avec l'esprit de la civilisation anglo-américaine et les aspirations de ses Pères Fondateurs ou de sa constitution ? Elles causent crise après crise dans notre monde".

Lorsqu'il a parlé de "la vaste présence englobant tout, des puissances qui expriment l'inquiétude pour le monde, mais qui mettent en place des politiques dont l'objectif est de dévorer le monde", il y a eu une sensation de choc dans l'auditoire. Ils ne s'attendaient pas à une telle dénonciation épique de l'hégémonie des Etats-Unis de la part d'un ecclésiastique connu pour sa compassion, plutôt que pour sa colère.

"Tout changement ou transformation populaire ou démocratique qui est à l'extérieur du royaume de leur influence est inacceptable", a-t-il déclaré, "puisqu'ils trouvent qu'il est beaucoup plus pratique de traiter avec des tendances non-nationalistes et non-populaires, qui tendent naturellement à s'occuper du bien-être et des intérêts physiques de leur peuple".

C'est ainsi que M. Khatami s'est débarrassé du slogan de l'Amérique pour la "démocratie" dans le "nouveau" Moyen-Orient. Il est inutile de dire que ses mots ne bénéficièrent que de quelques rares secondes sur les chaînes d'informations majeures américaines. La sagesse de M. Khatami n'est pas désirée par Washington.

© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]