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Grande-Bretagne

Les mensonges et les manipulations linguistiques de Blair

Par Robert Fisk
The Independent, le 19 mai 2007

article original : "Robert Fisk: Blair's lies and linguistic manipulations"

"Mon père avait l'habitude d'appeler les gens comme Blair des "minables".
Mais j'ai bien peur qu'il ne soit qu'un sale petit vicieux"


J'ai eu la chance exceptionnelle d'étudier la linguistique à l'Université de Lancaster. J'ai effectivement lu les livres de Noam Chomsky de nombreuses années avant qu'il ne devienne un de mes très bons amis. Pour être honnête, je dois avouer que lorsque j'ai lu son œuvre, je croyais que Chomsky était mort. C'est pourquoi, ce fut un réel plaisir pour moi de découvrir qu'il partageait mon monde - et mon point de vue sur Lord Blair de Kout al-Amara.

Mais je dois admettre que ce week-end, j'ai un peu de regret. Lord Blair nous quitte. Ses mémoires intéressées nous rappelleront, bien sûr, l'opinion qu'il a de lui-même comme d'un quasi-Dieu (et, que le Ciel me pardonne, nous avons le même éditeur !). Mais je doute que les "éléments choisis" de Noam Chomsky puissent le sauver. Un "élément choisi" était quelque chose d'inhabituel, une phrase placée d'une telle manière que cela nous alertait qu'un mensonge se préparait.

Prenez George Tenet, le sosie d'Ernest Borgnine à la CIA, qui était assis derrière Colin Powell lorsque le Secrétaire d'Etat débitait tous ces mensonges au sujet des armes de destruction massive [AMD], en février 2003. Il s'avère à présent que George [Tenet] est vigoureusement en colère contre la Maison Blanche. Il n'a pas fait allusion aux preuves d'ADM comme un "lancé-coulé", déclare-t-il - une phrase de basket-ball qui ne nécessite pas d'explication. Il parlait de la capacité du gouvernement étasunien de persuader le peuple américain de partir en guerre sur la base de ces mensonges. En d'autres termes, il ne mentait pas au président américain. Il ne mentait qu'au peuple américain.

Le mois dernier, j'ai été frappé par tout cela lorsque je suis tombé sur l'un des mensonges de Blair dans mon journal beyrouthin local. Inséré en dessous d'un titre qui disait "les réformes saoudiennes perdent de l'élan" - assurément l'une de ces histoires extraordinairement inutiles dans la presse arabe - cet article citait notre cher Premier ministre disant qu'il était très en colère qu'une commission d'examen l'eût empêché d'expulser deux Algériens vers leur pays parce que leur gouvernement représentait un "système politique différent". Bien sûr, l'"élément choisi" est le mot "différent". C'est ce mot qui contient le mensonge. Parce que la raison pour laquelle la commission a refusé de renvoyer ces hommes dans leur pays n'était pas - ainsi que Blair le savait parfaitement - que l'Algérie possède un système politique "différent", mais parce que le "système" algérien lui permet de torturer ses prisonniers jusqu'à la mort.

J'ai interviewé moi-même des policiers algériens (hommes et femmes) qui sont devenus pervers à la suite des tortures dont ils ont été les témoins : une policière m'a raconté comment elle adore désormais les films d'horreur parce qu'ils lui rappellent la torture repoussante qu'elle a dû regarder au poste de police de Chateauneuf d'Alger - où l'on propulsait de l'eau dans l'anus des prisonniers jusqu'à ce qu'ils meurent. Je me souviens encore de la lettre grossière et fielleuse que l'ambassadeur algérien à Londres avait écrite à The Independent, raillant Saïda Kheroui qui avait eu le pied broyé sous la torture. Elle était une "terroriste", annonçait cet homme. Voici le système politique "différent" auquel Blair se référait. Mme Kheroui, soit dit en passant, n'est jamais ressortie de prison. Elle a été assassinée par ses tortionnaires.

Alors, comment ose-t-il mentir à propos d'un "système politique différent" qui autorise les policiers à violer les femmes ? Nous, les Européens, avons pris l'habitude de mentir sur ces choses-là. Prenez le gouvernement belge ! Il a expulsé Bouasria Ben Othman vers l'Algérie, le 15 juillet 1996, au motif qu'il ne serait pas en danger s'il était renvoyé dans son pays. Celui-ci est mort en garde à vue à Mostaganem. Vraiment, un système politique "différent" !

Et maintenant, j'ai sous les yeux le discours "d'adieu" repoussant de Blair au peuple britannique, qu'il a débité à Sedgefield. Placer le pays en premier ne voulait pas dire "faire ce qu'il faut selon ce qui est communément admis" (l'élément choisi de Chomsky : communément) ou selon le "consensus prévalent" (élément choisi de Chomsky : prévalent). Cela signifiait "ce que vous pensez vraiment être la bonne chose" (élément choisi de Chomsky : vraiment). Lord Blair de Kout al-Amara voulait se tenir "côte à côte" avec le plus vieil allié de la Grande-Bretagne, qu'il pensait être les Etats-Unis. (C'est en réalité le Portugal, mais passons !) "Je l'ai fait en dehors de toute croyance", nous a-t-il raconté. Elément choisi : croyance.

Suis-je le seul que cela répugne ? "La politique est peut-être l'art du possible (élément choisi : peut-être) mais, au moins dans la vie, donnez une chance à l'impossible !" Qu'est-ce que cela veut dire ? Blair adopte-t-il la sainteté comme moyen de parvenir à une fin ? "La main sur le cœur, j'ai fait de que je pensais être la bonne chose". Pardon ? Est-ce le message de Blair aux familles de tous ces soldats qui ont perdu la vie - et aux familles des milliers de morts irakiens ? Cela a été un "honneur" de "servir" la Grande-Bretagne, nous dit cet homme. Quelle impudence !

C'est vrai, je dois reconnaître qu'il y a l'Irlande du Nord. Si seulement Blair s'en était tenu à cet accomplissement. Si seulement il avait accepté que son rôle consistât à mettre fin au conflit anglo-irlandais qui a duré 800 ans. Mais non ! Il voulait être notre Sauveur - et il a permis à George Bush de faire les mêmes choses qu'Oliver Cromwell aurait trouvées tout à fait normales. Torturer. Assassiner. Violer. Mon père avait l'habitude d'appeler les gens comme Blair des "minables", ce qui, je crois, signifiait pour lui, un baratineur intarissable. J'ai bien peur qu'il ne soit qu'un sale petit vicieux. Et je ne peux que rappeler la déclaration de Cromwell devant le Parlement Croupion de 1653, repris - avec la même sagesse - par Leo Amery s'adressant à Chamberlain en 1940 : "Vous avez siégé ici trop longtemps pour le peu de bien que vous avez fait. Je dis : Partez et qu'on en finisse avec vous ! Au nom de Dieu, partez !"

traduit de l'anglais par : [JFG/QuestionsCritiques]