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Quatre mots qui pourraient revenir nous hanter

Par Stephen Foley
The Independent, samedi 22 août 2009

article original : "Four words could return to haunt us"

Une fois de plus, ce sont les mots « flexibilité », « innovation »,
« liquidité » et « compétitivité » qui sont avancés par Wall Street.


Perspectives aux USA : Chaque jour qui passe semble montrer que les leçons apprises à l’apogée de la crise deviennent de plus en plus confuses, plus difficiles à comprendre ou même qu’elles s’évanouissent doucement. L’un des symptômes de ce mal est la facilité avec laquelle le langage de Wall Street a commencé à reprendre le dessus dans le débat sur la manière de réformer la finance.

Une fois de plus, ce sont les mots « flexibilité », « innovation », « liquidité » et « compétitivité » qui sont avancés. Après tout, qui pourrait être contre ? Mais, nous aurions dû apprendre ce que ces quatre mots séducteurs signifient vraiment, alors que nous avons vu ce qu’ils nous ont coûté.

L’administration Obama a proposé une législation qui oblige finalement un grand nombre d’opérations sur les produits dérivés à être traitées sur des marchés boursiers reconnus. Une réglementation qui aurait empêché les banques à s’imbriquer les unes avec les autres sur le marché des dérivés de crédit et que les faillites de Lehman Brothers et d’AIG ont menacé de les faire s’effondrer toutes. Sauf qu’il y a plein de trous dans la législation ! C’est ce qu’a soutenu Gary Gensler, le président de la Commodity Futures Trading Commission [Commission aux Echanges d’Options sur les Matières Premières], qui régulera ces marchés, dans une lettre adressée cette semaine au Congrès des Etats-Unis.

Wall Street a orchestré un puissant lobbying pour que des amendements exemptent certains types d’échanges de produits dérivés financiers – pour M. Gensler, les produits dérivés monétaires sont la prochaine question – et maintiennent également hors des bourses ce que l’on appelle les dérivés « personnalisés ». Les banques disent qu’elles ont besoin qu’on leur donne cette flexibilité afin de pouvoir créer des produits personnalisés permettant à leurs clients de se protéger contre des risques uniques. Elles ont soutenu que ce croquemitaine de Wall Street, « l’approche uniforme » de la régulation, étouffera l’innovation.

Mais la moindre flexibilité accordée aux banques est un peu plus de corde pour lier les mains des régulateurs. Dans sa jeunesse, le produit dérivé de crédit [CDS ou Credit Default Swaps - un pari sur le défaut de remboursement de crédit] était un produit tellement personnalisé que les régulateurs n’ont jamais pu contrôler cette innovation avec un mécanisme simple, même lorsqu’il était devenu clair que son utilisation généralisée, qui avait atteint une telle ampleur, devenait extrêmement dangereuse pour la stabilité du système.

Et toutes les innovations ne se valent pas. L’ouvrage de Gillian Tett, « Fool’s Gold » [l’Or du Fou], un bon livre élémentaire sur le développement des produits dérivés de crédit, montre que les innovateurs de la banque JP Morgan ont dû se démener pour trouver des clients qui pourraient avoir l’usage de leurs brillantes nouvelles inventions. L’innovation déterminée par les commissions n’est pas la même que l’innovation déterminée par le besoin des clients ; et, il sera difficile de faire la distinction entre les deux, alors qu’une part aussi importante du système financier implique des échanges entre banques et fonds spéculatifs.

C’est la réalité qui se trouve derrière l’autre justification des banquiers pour une grande partie de ce qu’ils font : Ils créent la « liquidité ». C’était le mot avancé pour la défense des spéculateurs qui se sont rués en masse ces dernières années sur le marché du pétrole, parfois au moyen de « trackers » [des fonds qui suivent tel ou tel sous-jacent et qui s’échangent à leur valeur nette]. La présence de ces trackers a accru spectaculairement la volatilité des cours, confondant pareillement la planification financière des compagnies aériennes, les propriétaires d’usines et les conducteurs de 4x4.

Bien sûr, le rôle des opérateurs en bourse était d’apporter la liquidité nécessaire, depuis presque aussi longtemps que les hommes se sont rassemblés au coin des rues pour échanger leurs quintaux de blé. Plus il y a de participants sur le marché, plus les échanges sont élevés, fréquents et rapides, et plus les marchés de capitaux sont liquides. Cela rend plus facile et meilleur marché pour les entreprises de trouver les capitaux dont elles ont besoin, et pour les investisseurs qui disposent de fonds de les placer dans les secteurs les plus productifs de l’économie mondiale. Mais j’ai bien peur que nous ayons un système de spéculation exubérante, où il y a plus d’ « opérateurs » qui prélèvent leur commission que de gens ayant réellement besoin d’être sur le marché. Nous avons certainement alimenté un cycle de bulle suivi de son éclatement, qui restreint l’allocation correcte de capital à long-terme, tout cela au nom de la liquidité.

Finalement, nous avons déjà vu comment l’Autorité des Services Financiers britannique a fait machine-arrière sur quelques-unes des règles qu’elle avait proposées sur les limitations des bonis – et exempté beaucoup de banques étrangères – après que l’industrie bancaire lui eut dit que ces limitations nuiraient à la compétitivité du Royaume-Uni en tant que centre financier. Mais l’exigence de « compétitivité » implique un nivellement vers le bas en matière de normes de régulation et d’obligations en capital, ainsi que des structures salariales encourageant la prise de risque. Les abrogations successives des anciennes règles et normes, depuis les années 80 à ce jour, ont contribué à la course effrénée en direction de nouvelles zones dangereuses. C’est une approche du chacun-pour-soi qui, à l’instar du protectionnisme dans les années trente, enrichit marginalement à court-terme chaque pays, mais qui conduit à un désastre plus tard. La coopération internationale est difficile, mais les mesures de répression de l’OCDE contre les paradis fiscaux montrent qu’elle est possible.

Flexibilité. Innovation. Liquidité. Compétitivité. Les lobbyistes de Wall Street utilisent ces clés pour déverrouiller des politiques qui sont bonnes pour les banques. Il est important d’avoir un système financier en bonne santé, et une certaine dose de tout cela est nécessaire, mais ces clés doivent être considérées pour ce qu’elles sont et doivent être dosées en conséquence. Notre question fondamentale ne devrait pas être : « Qu’est-ce qui est bon pour les banques ? ». Elle devrait plutôt être : « A quoi les banques sont-elles bonnes ?» Cela n’apporte rien de bon de transformer un pays en plus gros centre financier de la planète, si la finance peut submerger l’ensemble de l’économie ; il n’y a aucune justification sociale à créer des produits financiers qui ne contribuent pas à l’allocation du capital dans l’économie réelle, aucun impératif moral à donner de la flexibilité aux banquiers pour qu’ils s’accordent à eux-mêmes de dangereux plans de bonus délibérément faussés.

Plus nous entendons ces quatre mots séducteurs, plus nous devrions craindre que le bon vieux système bancaire défaillant reprenne le dessus – et que nous sommes une fois encore sur la route de la calamité.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]