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La Grande Question :
Le biocarburant peut-il empêcher le réchauffement
planétaire ou aggravera-t-il la situation ?

Par Steve Connor, Rédacteur en chef scientifique

The Independent, le 15 janvier 2008
article original : "The Big Question: Can biofuel help prevent global warming, or will it only make matters worse?"



© 2008 - The Independent/QuestionsCritiques

Pourquoi posons-nous cette question maintenant ?

L'Union Européenne est sur le point de repenser sa politique destinée à stimuler la production de biocarburant - le carburant pour les transports, dérivé de cultures et autres végétaux ou de déchets organiques. Stavros Dimas, le Commissaire européen à l'environnement a admis hier que l'UE n'avait pas prévu la dimension des problèmes soulevés par l'objectif européen de tirer 10% de son carburant pour les transports à partir de la matière végétale. Il est rapporté que la course à la production des biocarburants a augmenté le coût de la nourriture sur le marché mondial, qu'elle a détruit des pans entiers de forêt humide dans les pays tropicaux et qu'elle a eu peu d'impact global sur la réduction des gaz à effet de serre.

"Nous nous sommes aperçus que les problèmes environnementaux causés par les biocarburants, ainsi que les problèmes sociaux, sont plus grands que nous le pensions au départ. Il nous faut donc manœuvrer très prudemment", a déclaré M. Dimas à la BBC. Hier un rapport sur le biocarburant a aussi été publié par la Royal Society à Londres, qui avait demandé à un comité d'experts d'examiner les questions complexes entourant cette technologie. Ce rapport a conclu qu'il n'y a pas de réponse simple pour dire si les biocarburants sont bons ou mauvais pour l'environnement et que chaque type de biocarburant - et la manière dont il est produit - doit être considéré sur ses mérites propres.

Que sont les biocarburants et comment sont-ils censés
aider à combattre le réchauffement planétaire ?

Le principe derrière les biocarburants est essentiellement le même que celui derrière les carburants fossiles, comme le pétrole. Les biocarburants, comme les carburants fossiles, ont stocké l'énergie du soleil sous la forme de substances chimiques produites biologiquement, appelées hydrocarbures. L'énergie stockée dans les carburants résulte de la capacité des plantes à réaliser la photosynthèse - la fabrication de sucre, d'amidon et d'autres molécules organiques complexes en utilisant la lumière du soleil. Cependant, au contraire des carburants fossiles, les biocarburants ont le potentiel d'être neutres en matière de gaz carbonique, ce qui signifie que l'émission de gaz carbonique dans l'atmosphère, causée par leur combustion, est compensée par l'absorption de gaz carbonique par les plantes qui produisent ce carburant en poussant. (Le carbone emprisonné dans les carburants fossiles y a été placé par des plantes qui vivaient et ont accompli la photosynthèse il y a des millions d'années.)

Si cela était vrai - qu'il y a un parfait équilibre entre l'absorption et la production de gaz carbonique - alors, la combustion des biocarburants ne causerait pas d'augmentation générale des niveaux de gaz carbonique dans l'atmosphère, l'un des principaux gaz à effet de serre. Au contraire des carburants fossiles, les biocarburants ont par conséquent le potentiel d'aider à empêcher le réchauffement planétaire s'ils pouvaient remplacer la combustion de carburants issus du pétrole, tels que l'essence et le fuel. Ils ont aussi un avantage supplémentaire sur les carburants fossiles dans le fait qu'ils sont renouvelables.

Cela semble être la réponse parfaite à toutes nos inquiétudes

Oui, il le semble, mais la vérité n'est pas aussi simple. Il y a de nombreux problèmes avec la production des biocarburants qui peuvent changer de façon importante le bilan relatif au carbone.

Pour commencer, les cultures de biocarburants ont souvent besoin d'engrais et de pesticides qui sont fabriqués à partir du pétrole. Les machines utilisées pour faire pousser, transporter ou transformer ces cultures sont mues souvent avec des carburants fossiles. Ensuite, il y a ces pans entiers de forêts primaires qui sont abattus pour laisser pousser les cultures de biocarburants. Ceci a pour conséquence la perte de "réservoirs naturels de carbone" qui sont inestimables dans la lutte contre le changement climatique. Bref, les biocarburants ne sont pas la panacée universelle que certaines personnes croient qu'ils sont.

A quoi peut-on utiliser les biocarburants ?

Les biocarburants sont essentiellement utilisés pour le transport. C'est important dans la lutte contre le changement climatique parce que, dans le monde entier, le transport compte pour environ 20% des émissions de gaz carbonique.

Les émissions de gaz carbonique causées par le transport connaissent aussi la plus forte croissance de tous les secteurs gourmands en énergie. D'ici à 2030, on prédit que les émissions de carbone dues au transport seront 80% plus élevées que les niveaux actuels. Donc, les biocarburants sont vus comme un élément crucial dans la lutte pour compenser ces augmentations prévues.

Les biocarburants peuvent être de trois variétés différentes. La première est le bio-éthanol, ou alcool, qui est généralement produit par la fermentation des sucres. La seconde est le bio-fuel produit à partir de la transformation des huiles végétales et la troisième est le bio-fuel de synthèse, qui résulte en des carburants identiques à l'essence, au fuel et même au kérosène.

Qu'est-ce qui est allé de travers avec le rêve du biocarburant ?

Les gens ont négligé les coûts et les bénéfices d'ensemble du processus complet de production, de la "culture à la pompe". Cela est parfois connu comme "l'estimation du cycle de vie" et cela implique de prendre en compte tous les aspects du budget du carbone d'un bout à l'autre du processus de production. Lorsque cela est fait, les hypothèses simples que des politiciens et certains écologistes ont faites à propos des bénéfices commencent à sembler désespérément optimistes.

Prenez par exemple les biocarburants fabriqués à partir du maïs (la manière étasunienne) et à partir du sucre (la manière brésilienne). Le Worldwatch Institute estime que les réductions de gaz à effet de serre sur une hypothèse de cycle de vie résultant de l'éthanol produit au Brésil est environ de 80%, comparés avec seulement 10% pour l'éthanol fabriqué à partir des cultures intensives de maïs aux Etats-Unis.

Mais le problème ne s'arrête pas à l'efficacité de la production de biocarburant. La Grande-Bretagne ne sera jamais autosuffisante en biocarburant et, donc, on s'attendra à ce que d'autres parties du monde réservent des terres et de l'eau pour combler nos besoins. Ceci a conduit à une croissance de cultures non-alimentaires dans des parties du monde où des millions de personnes sont déjà affamées. Cela a aussi mis la pression sur la vie sauvage au fur et à mesure que les forêts sont abattues pour dégager des terres pour les cultures de biocarburant.

Que peut-on faire pour redresser la situation ?

La Royal Society pense que les structures politiques actuelles sur les biocarburants dans l'UE et ailleurs doivent être changées afin d'encourager une réduction générale des gaz à effet de serre plutôt que de se contenter de réduire la dépendance sur les importations de pétrole. "En conséquence, il n'y a pas d'intérêt à investir dans les systèmes qui apporteraient des biocarburants faibles en GES [gaz à effet de serre]", déclare son rapport. La Grande-Bretagne [NdT : comme les autres pays], dit ce rapport, devrait fixer ses propres objectifs de réduction des gaz à effet de serre avec les biocarburants - quelque chose qui n'est pas fait actuellement en vertu de l'Obligation sur les Carburants Renouvelables de Transports qui incombe au gouvernement [britannique], et qui entre en vigueur en avril prochain.

Les biocarburants sont-ils bons ou mauvais pour l'environnement ?

La bonne sorte de cultures pour les biocarburants, cultivées de la bonne manière et au bon endroit peut être meilleure à long terme pour l'environnement que la combustion des carburants fossiles. Cependant, il y a de nombreuses choses qui doivent être prises en considération et, pour pouvoir répondre à cette question, les gens ont besoin d'estimer le cycle de vie complet du processus de production, y compris son impact sur les autochtones et la vie sauvage.

Est-ce une bonne chose de fixer des objectifs pour l'utilisation des carburants ?

Oui...

* Sans objectifs, il n'y a rien à attendre pour mettre les biocarburants en concurrence avec les carburants fossiles.

* Il serait impossible de quantifier les améliorations dans la production des biocarburants sans objectifs.

* Des objectifs stimulent les façons de rendre le biocarburant encore meilleur pour l'environnement.

Non...

* Les objectifs insistent sur les bénéfices à court-terme aux dépends des gains à long-terme.

* Les objectifs existants sont destinés à réduire la dépendance sur les importations de pétrole plutôt que de réduire les gaz à effet de serre.

* Il n'y a aucun bénéfice à fixer des objectifs qui ne sont pas atteints ou qui ne sont atteint nulle part dans le monde.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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