Thaïlande
C'était presque trop facile de caricaturer le Premier ministre thaïlandais. Thaksin Shinawatra, tout comme Silvio Berlusconi, son homologue européen auquel il a souvent été comparé, a fourni beaucoup de munitions à ses ennemis.
Cet homme d'affaire milliardaire a dit de Washington que c'était un "ami inutile", après que les Américains eurent dénoncé sa réputation en matière de droits de l'homme, et il a fulminé contre les Nations-Unies en disant "l'Onu n'est pas mon père", après les mots sévères de diplomates, mettant en cause sa campagne sanglante contre les trafiquants de drogue qui a résulté en 3.000 assassinats extrajudiciaires.
Il a même caché le premier déclenchement de grippe aviaire dans une tentative vaine de protéger les exportations thaïlandaises de volaille, faisant presque courir, dans le processus, le risque d'une pandémie mondiale.
Les slogans anti-Thaksin qui résonnaient dans les rues de Bangkok et à l'extérieur des centres commerciaux ce printemps furent progressivement repris par les Thaïlandais de toutes générations et classes sociales. Et, à présent, l'armée s'est levée contre le policier autocratique devenu Premier ministre milliardaire.
Les efforts du Thai Rak Thai, le parti au pouvoir fondé par M. Thaksin en 1988, se sont retournés contre lui. Après cinq années au pouvoir, Thaksin Shinawatra est sur le départ. Une page politique en Thaïlande est en train de se tourner.
Ceux qui critiquent Thaksin ont toujours maintenu qu'un excès d'avidité et sa prétention démesurée le conduiraient à la chute. L'échafaudage qu'il avait construit ne s'est effondré que lorsqu'il a utilisé une niche légale pour vendre à l'étranger son conglomérat familial de télécommunications, ShinCorp, et s'assurer au passage un bénéfice net d'impôt de 1,9 Mds$ (1,5 Mds€). Dans un pays où le fossé entre les possédants et les pauvres s'est creusé sous son régime, ce fut une affaire de trop.
L'élite dirigeante de Bangkok, ainsi que la classe-moyenne dépouillée par les impôts, enragèrent lorsqu'ils réalisèrent que la femme du dirigeant de Singapour superviserait les décisions sur les satellites thaïlandais de communication, ses serveurs internet et son plus gros réseau de téléphonie mobile.
Même sous sa casquette d'homme d'affaires, Thaksin, qui se vantait fréquemment de gérer la nation comme un dirigeant d'entreprise moderne, a eu un mal fou à justifier son bradage éhonté. Son fils, par l'intermédiaire d'une société offshore - dont le nom approprié est presque comique : "Ample Rich" - fut condamné à payer une amende pour bénéfices excessifs. Ce qui a suivi fut remarquable : jour après jour, les manifestations pacifiques, alors que des dizaines de milliers d'habitants de Bangkok avaient investi le vaste parc royal 'Saman Luang', bloquèrent la capitale, contrecarrèrent les prises de décision des entreprises, sapèrent un peu plus la bourse en chute de la Thaïlande et provoquèrent une tempête politique.
Le politicien susceptible qui se vantait de sa formation à l'ordre public à l'Université Sam Houston [au Texas] avait du mal à justifier tous ses excès. Lorsque M. Thaksin a appelé à une élection rapide en avril, les partis rivaux l'ont boycottée et une impasse politique en a résulté. La Cour a rejeté les résultats et son gouvernement intérimaire a continué tant bien que mal sans parlement.
Les manifestations de rue sont devenues plus tapageuses, des dizaines de milliers de voix demandaient que leur dirigeant arrogant quitte le gouvernement. Au fur et à mesure que le corps politique thaïlandais chancelait vers un chaos constitutionnel, quelque chose devait céder. À la fin, ce fut Thaksin Shinawatra.
La célébration du vingt-cinquième anniversaire du Roi Bhumibol Adulyadej mena les manifestations de rue a une fin convenable à la mi-juin et le Premier ministre réussit à s'accrocher au pouvoir pour quelques mois supplémentaires.
Mais la guerre contre les insurgés séparatistes des trois provinces musulmanes du sud, qui aurait fait plus de 1.400 morts depuis qu'elle a repris en janvier 2004, ne montre aucun signe de faiblesse. En fait, samedi soir, cinq explosions synchronisées dans la station balnéaire de Hat Yai ont fait quatre victimes, dont un professeur canadien et une touriste chinoise. C'est peut-être ce qui a fait déborder le vase.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]