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Le peuple du Zimbabwe, à bout, fuit de l'autre
côté de la frontière pour échapper à Mugabe

Par Basildon Peta, à Musina
The Independent le 18 juillet 2007

article original : "Zimbabwe's desperate people flee across border to escape Mugabe"


"Au rythme où ils affluent, je pense qu'il ne restera bientôt plus beaucoup de gens au Zimbabwe", dit Peter Thomson, un fermier sud-africain.

Son verdict est typique des propriétaires terriens et des entrepreneurs, le long de la frontière avec le Zimbabwe. Ils disent être les témoins d'une montée spectaculaire de l'immigration illégale, alors que l'effondrement économique de leur voisin s'est accéléré ces dernières semaines.

En public, le président sud-africain, Thabo Mbeki, qui a été critiqué pour son approche "ultra-prudente" vis-à-vis du Zimbabwéen Robert Mugabe, refuse de reconnaître toute montée brusque de l'immigration. Mais les fermiers en colère disent que les hauts-fonctionnaires de l'armée et de la police admettent en privé l'étendue du problème.

Selon leurs estimations, ils sont 4.000 à traverser la frontière sud-africaine chaque nuit. Cela représente au moins 100.000 personnes par mois, beaucoup plus que l'estimation officielle de 20.000 personnes.

Au dernier recensement, avant les élections de 2000, la population du Zimbabwe était estimée à 11 millions. Avec une espérance de vie qui s'effondre et une émigration qui s'envole, certaines sources prétendent que ce chiffre pourrait être désormais en dessous de sept millions.

Maggie Sotyu, une parlementaire de l'ANC, qui a mené une enquête sur le flux entrant, a décrit cette situation comme étant "incroyable". Elle a déclaré que le personnel qui patrouille sur la frontière lui avait dit qu'au moins 5.000 immigrants zimbabwéens illégaux avaient été arrêtés au cours des deux seules dernières semaines. Et ce ne sont "que les gens que nous arrivons à attraper".

Andrew Gethi, le directeur des opérations de l'Organisation Internationale pour les Migrations, qui a ouvert un bureau pour assister les réfugiés zimbabwéens expulsés sur le côté nord de la frontière, déclare que l'organisation s'occupe chaque mois en moyenne de 17.000 déportés. Mais ce ne sont que ceux qui ont été attrapés et expulsés par les autorités sud-africaines.

A 83 ans, Robert Mugabe, qui est pouvoir depuis l'indépendance accordée par la Grande-Bretagne en 1980, a annoncé qu'il se représentera l'année prochaine pour un nouveau mandat de cinq ans.

Mais avec une hyper-inflation estimée à plus de 10.000 %, l'universitaire zimbabwéen de premier plan et supporter de longue date de Mugabe, Ibbo Mandaza, dit que pour le bien du pays, M. Mugabe doit partir maintenant.

"Nous ne pouvons même pas commencer à imaginer résoudre la crise économique ici, tant qu'il restera au pouvoir. Il doit partir pour son propre bien et celui de son pays", déclare M. Mandaza.

Le dollar zimbabwéen est devenu tellement sans valeur que personne ne veut l'utiliser. Les propriétaires comme Nora Mutasa demandent à présent à leurs locataires de payer les loyers en nature. "Au lieu de me donner des espèces, qui perdent de leur valeur avant même que je les mette dans ma poche, j'ai demandé aux locataires de me donner du sucre, de l'huile, de la farine et du sel", a déclaré Mme Mutasa.

Au lieu d'émettre des devis valables pour 14 jours, de nombreux commerçants émettent maintenant des devis valables pour quelques heures. Alfred Moyo, un employé de banque, n'a pas oublié le jour où il faisait la queue pour acheter du pain et que le prix est monté deux fois avant qu'il n'atteigne la caisse.

M. Mugabe déclare que les prix élevés sont causés par les entreprises qui travaillent avec la Grande-Bretagne et qu'ils sont destinés à saboter son gouvernement.

Pour punir ces entreprises, il a ordonné, le 25 juin dernier, que le prix de tous les biens et services au Zimbabwe soient divisés par deux. Jusqu'à hier, plus de 2.000 entrepreneurs ayant défié cet ordre ont été mis en prison et se sont vus infliger des amendes.

En conséquence, il y a des pénuries graves dans les magasins sur presque toutes les denrées de base, alors que les fabricants ont arrêté la production. M. Mugabe a menacé de nationaliser toutes les sociétés qui ferment, mais il n'a pas la capacité de les gérer.

Tout ceci, couplé avec une violence politique croissante en vue des élections de l'année prochaine, signifie que de nombreux Zimbabwéens, qui ne voient plus aucun espoir dans leur pays, traversent les frontières.

Un fonctionnaire frontalier a dit de cette situation que c'est un "tsunami humain". La réalité de l'afflux se voit bien tout au long de la clôture de 320 km, qui borde la frontière. Tandis que les trois clôtures parallèles sont relativement intactes à proximité des postes frontières officiels, quelques kilomètres plus loin elles ont été déchiquetées.

Les passages nocturnes sont organisés par les gangs de trafiquants, connus sous le nom de "Magumaguma" ou charognards. C'est devenu un business violent et les affrontements entre la police et les trafiquants sont de plus en plus fréquents.

Les déserteurs de l'armée zimbabwéenne sont venus gonfler les rangs des Magumaguma, qui sont aussi liés avec les réseaux du crime organisé du côté sud-africain de la frontière.

En de nombreuses occasions, les Magumaguma trahissent les illégaux qu'ils sont censés aider à traverser la frontière, violant les femmes, les dépouillant et parfois les tuant. Un fermier a dit qu'il avait été frappé si fort à la tête par une "barre à mine" frontalière, sur sa ferme, qu'il pouvait voir son cerveau à travers son crâne fracturé. "Ces Magumaguma opèrent dans une telle impunité que certaines personnes suggèrent qu'il y a des policiers dans ces gangs", a dit un autre fermier, Stewart Pienaar.

Des fermes animales et des pavillons de chasse ont été attaqués et leurs fusils, pompes, câbles, moteurs, panneaux solaires, soupapes à flotteur, ordinateurs, véhicules, vêtements et autres biens, ont été dérobés.

Les fermiers disent que les touristes des safaris, qui voyagent pour observer ou chasser les animaux, voient à la place des immigrés illégaux sur leurs fermes. Ils ont dit que leurs animaux deviennent aussi "capricieux" avec leurs interactions avec les groupes importants de personnes qui traversent les fermes. Par conséquent, dans les pavillons de chasse, les affaires ont souffert.

Les fermiers rejoignent le chœur de ceux qui appellent Thabo Mbeki à user de tous les moyens de pressions pour contenir M. Mugabe. "Ils [les politiciens] disent qu'ils ne peuvent ériger la Grande Muraille de Chine, ni passer à la clôture électrique. "Nous avons été laissés à nous-même", a dit l'un des fermiers.

Ce n'est pas la vie dont j'avais rêvé

Armée d'un certificat de trois ans de formation d'enseignante, d'un diplôme universitaire de lettres et d'une maîtrise en éducation, Miriam Moyo n'a jamais eu l'intention de quitter le Zimbabwe. Mais, il y a quatre mois, lorsque son salaire mensuel de professeur d'université ne lui permettait même pas de couvrir les achats alimentaires d'une semaine, sans parler de l'augmentation incessante des frais de scolarités de ses enfants, elle savait qu'elle n'avait aucun autre choix que de partir.

Elle a traversé la frontière, esquivant la police et les gardes frontières. A son arrivée en Afrique du Sud, les autorités ont informé Miriam que son domaine de spécialité - les langues - ne la qualifiait pas pour un travail. Seuls, les professeurs de math et de sciences sont recherchés. Donc, sa seule option a été de prendre un travail de serveuse dans un restaurant.

Elle travaille 12 heures par jour, six jours par semaine, sans salaire de base. Comme de nombreux immigrés illégaux exploités par des employeurs sans scrupule, elle n'a que ses pourboires. Elle se fait 60 € par mois, dont elle envoie une partie au pays pour nourrir sa famille. "Ce n'est pas la vie à laquelle j'ai jamais rêvé", dit-elle. "Il est sûr que quelque chose doit maintenant céder et apporter le changement à notre pays".

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]