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Conspiration

Comment un groupe de poseurs de bombes kamikazes
a-t-il planifié de faire sauter 10 avions ?

Par Jason Bennetto et Kim Sengupta

The Independent le 11 août 2006

Vers 21 heures mercredi soir, les chefs de la police et des services secrets britanniques ont appris qu'une cellule d'al-Qaïda, basée en Grande-Bretagne était à 48 heures de monter une attaque terroriste qui aurait pu être plus meurtrière que celle du 11/9. En quelques heures, 24 terroristes présumés, la plupart de naissance britannique, ont été arrêtés à la suite de raids dans tout le Sud-Est [de l'Angleterre] et à Birmingham.

La réponse à cette urgence a été le point culminant de plus d'une année de surveillance intensive et d'enquêtes effectuées par le MI5 [les services du contre-espionnage britannique] et la police, dans l'opération de contre-terrorisme la plus vaste jamais entreprise. Les chefs de la sécurité pensent qu'ils ont déjoué un complot destiné à introduire des explosifs de fabrication artisanale dans 10 avions de ligne à destination des Etats-Unis, déclenchés ensuite par des poseurs de bombe kamikazes.

L'opération a commencé avec la surveillance par des officiers du MI5, à Londres, d'un groupe de personnes suspectes d'avoir des sympathies pour les objectifs d'al-Qaïda. Ces personnes visées faisaient partie d'un groupe d'environ 1.000 personnes suspectées de terrorisme, que les Services étendus de Sécurité avaient placées sous surveillance. Au début, il semble que c'était une simple routine, mais progressivement, la sonnette d'alarme a commencé à retentir.

Ce groupe avait des liens dans tout le pays - la banlieue-est de Londres, High Wycombe (dans le Buckinghamshire) et Birmingham - ainsi qu'à l'étranger. Ils étaient soupçonnés de s'intéresser de façon inquiétante à l'aviation et aux explosifs artisanaux, ainsi qu'à la façon de faire passer ceux-ci à travers la sécurité aéroportuaire.

La poignée de suspects a grandi, jusqu'à atteindre plus de 20 individus - âgés de 17 à 35 ans -, et l'opération de surveillance commença à accaparer un nombre toujours plus grand d'agents du MI5 et des équipes d'écoutes. Des sources à Whitehall [le ministère de l'intérieur britannique] disent que la plupart des suspects sont de descendance pakistanaise et qu'il y a aussi une femme. Mais quelques-uns des comploteurs présupposés sont aussi de descendance nord-africaine. L'un des suspects était un Britannique blanc, la vingtaine, vivant à High Wycombe, et qui s'est converti à l'Islam il y a environ six mois. Des sources disent que la plupart des personnes arrêtées étaient à la fin de leur adolescence ou au début de leur vingtaine.

En décembre, la branche antiterroriste de la police municipale de Londres fut alertée. Les cibles furent suivies, leurs réunions et conversations enregistrées, leurs CV furent étudiés et leurs comptes bancaires passés au crible Le MI6 [les services d'espionnage britanniques ou de "sécurité extérieure"] commença à s'impliquer et contacta une douzaine d'agences de contre-espionnage, aux Etats-Unis, au Pakistan, dans les pays d'Afrique du Nord et en Allemagne, pour collecter des informations et procéder à des vérifications sur les suspects.

L'information provenant des écoutes téléphoniques à leurs domiciles et les appareils d'espionnage commencèrent à dresser l'image d'un groupe très bien organisé et très motivé, inspiré par l'idée d'un Djihad mondial et sympathisant avec les objectifs d'al-Qaïda. Des liens clairs avec le Pakistan et l'Afrique du Nord ont été établis, y compris plusieurs visites au Pakistan, mais les services secrets échouèrent à découvrir un "Gros Poisson" au sein d'al-Qaïda qui tirait les ficelles. Au début, il a semblé que, à l'instar des kamikazes du 7 juillet, qui ont tué 52 personnes à Londres l'année dernière, les comploteurs étaient un mélange de jeunes personnes radicalisées qui, tout en vivant en Grande-Bretagne, étaient radicalisées par leurs voyages à l'étranger.

Les détails du complot ont commencé aussi à émerger. Un officier expérimenté dans le contre-espionnage a décrit ces découvertes comme un "truc vachement effrayant". Les comploteurs étaient supposés avoir planifié des attaques progressives, dans lesquelles trois ou quatre avions exploseraient en plein ciel au-dessus de la mer, détruisant ainsi toute preuve sur la manière dont les bombes avaient été introduites à bord.

Il y a eu des affirmations, de la part de sources américaines, que les terroristes auraient pu avoir planifier de faire s'écraser les avions de ligne sur des villes majeures, soit au Royaume-Uni, soit aux Etats-Unis, mais cette suggestion a été réfutée par une source britannique du contre-terrorisme. Après les attaques initiales, les terroristes auraient attendu jusqu'à ce que la peur et la panique se répandent, puis auraient commis deux autres séries d'attaques, chacune impliquant trois ou quatre avions. Au total, ils avaient l'intention de faire tomber 9 ou 10 avions.

Les détails sur la fabrication des bombes sont toujours flous, mais il apparaît que les comploteurs seront accusés d'avoir copié un grand nombre des tactiques utilisées dans les dispositifs à explosif liquide, développés il y a 10 ans.

Ce complot, qui a été déjoué, est connu sous le nom d'attaque "Bojinka". En 1995, un terroriste islamiste a eu pour objectif de détruire 12 avions de ligne au-dessus du Pacifique. Dans cette affaire, le cerveau s'appelait Ramzi Youssef et avait développé des explosifs de nitroglycérine liquide qui pouvaient être cachés dans des flacons de solution pour lentilles de contact. Il avait aussi transformé une montre digitale en détonateur à retardement et avait utilisé deux batteries cachées dans sa chaussure pour alimenter les filaments d'ampoules et déclencher l'explosion.

La cellule britannique sera accusée d'utiliser un explosif liquide qu'ils s'apprêtaient à dissimuler dans des bouteilles de boisson sportive et à introduire clandestinement dans l'aéroport à travers les services de sécurité dans des bagages à main.

Un rapport non confirmé des Etats-Unis a déclaré que les suspects avaient prévu d'utiliser une bouteille à double-fond en la remplissant avec l'explosif liquide, qui avait été décoloré pour correspondre à la couleur de la boisson.

Les batteries utilisées comme détonateurs proviendraient d'appareils électroniques tels que des lecteurs MP3 ou des ordinateurs portables.

Sa basant sur les détails enregistrés auprès des suspects, la police a demandé à des spécialistes en explosifs de construire un modèle qui aurait pu être assemblé en quelques minutes et causer un trou dévastateur dans la carlingue d'un avion.

Les suspects ont aussi prétendument été entendus discuter de cibles. Sur des informations présumées, transmises par la police britannique, les autorités étasuniennes ont dit qu'elles avaient identifié 6 à 10 compagnies, y compris United, American et Continental, toutes des transporteurs étasuniens. Dix de leurs avions pouvaient contenir en tout jusqu'à 2.800 passagers et équipage.

Tandis que les mois de surveillance se sont poursuivis, la police et les politiciens ont émis des alertes de plus en plus sombres. L'investigation trouvait son rythme et les chefs du contre-terrorisme décidèrent d'agir aussitôt qu'il pensèrent que le complot était sur le point d'être mis en pratique.

Mercredi soir, les services de sécurité croyaient qu'il y avait une forte chance que la cellule se prépare à exécuter son plan dans les prochaines 48 heures ou que ses membres se séparent pour se rejoindre plus tard.

Mardi, le ministre de l'intérieur, John Reid, a prévenu que la Grande-Bretagne affrontait la période de menace sérieuse la plus soutenue, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.

Explosifs liquides

De nombreux explosifs dans le commerce sont faits de deux ingrédients - un oxydant et un carburant - qui, lorsqu'ils sont mélangés, produisent un explosif qui peut être déclenché par une charge électrique.

Une bombe peut être fabriquée en mélangeant des liquides relativement inoffensifs comme de l'acétone et du peroxyde d'hydrogène. Un autre explosif liquide bien connu est la nitroglycérine, c'est vrai, qui peut être déclenché avec une charge électrique à partir de la batterie d'un iPod ou d'un ordinateur portable.

"La plupart des explosifs liquides sont instables et dangereux à manipuler", a déclaré le Pr. Peter Zimmerman, titulaire de la chaire de science et sécurité du King's College de Londres. "L'exemple le plus connu est la nitroglycérine. Mais il y a extrêmement peu d'explosifs commerciaux sûrs, qui se présentent sous la forme de deux liquides qui doivent être mélangés juste avant de les faire exploser. Les détonateurs d'explosifs sont petits, simples et, s'ils sont légèrement camouflés, pourraient échapper aux scanners à rayons X".

Clifford Jones, de l'université d'Aberdeen, a déclaré que si une explosion dans un avion en vol faisait monter la pression atmosphérique de la cabine de seulement 1%, les hublots risquaient de voler en éclats.

Si une explosion faisait monter la pression de 10%, des dommages au niveau de la structure en résulteraient et donc, probablement la mort. Le Dr Jones a ajouté : "Une bombe artisanale pourrait être fabriquée avec du nitrate d'ammonium comme oxydant et quelque chose d'aussi inoffensif que de la sciure comme carburant. Des surpressions peuvent aussi se produire lorsqu'un carburant liquide et un oxydant liquide réagissent ainsi, peut-être en utilisant du peroxyde d'hydrogène et de l'acétone".

Steve Connor, rédacteur en chef de la rubrique Science.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]