REVELATION
Selon une source bien informée à Bagdad, l’enlèvement de l’expert informatique Peter Moore et de ses quatre gardes du corps a été exécuté en partie en représailles contre les attentats à la bombe meurtriers perpétrés dans le sud-ouest de l’Iran, attentats que des responsables iraniens attribuent à la Grande-Bretagne.
Ces cinq hommes ont été enlevés en 2007 par un groupe soutenu par l’Iran et l’on pense à présent que quatre d’entre eux ont été tués. Le sort de M. Moore reste obscur. Cette source a déclaré que les Iraniens ont orchestré cet enlèvement par l’intermédiaire d’un groupe allié irakien, Asaib al-Haq, qu’ils contrôlent largement.
Leur principale motivation était d’obtenir que les prisonniers soient utilisés comme monnaie d’échange pour assurer la libération de Qais al-Khazali, le dirigeant d’Asaib al-Haq, et d’autres militants emprisonnés qui avaient quitté le mouvement mené par le religieux chiite anti-américain, Muqtada al-Sadr.
Mais les Iraniens avaient une seconde motivation pour s’en prendre aux Britanniques, déclare cette source qui, en tant que membre du mouvement de M. Sadr, est bien informée sur Asaib al-Haq et ses militants. Il déclare que l’Iran était persuadé que la Grande-Bretagne soutenait les groupes séparatistes arabes dans la province pétrolière iranienne du Khuzestân, lesquels avaient effectué une série d’attentats à la bombe contre des cibles civiles, faisant 28 morts et 225 blessés, dans les deux années qui ont précédé le kidnapping des cinq britanniques à Bagdad. Le Khuzestân a une minorité arabe de deux millions de personnes.
Ces attentats à la bombe ont peu attiré l’attention à l’extérieur de l’Iran, mais ils ont été pris très au sérieux par les Iraniens qui dénoncèrent avec fureur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour leur soutien aux petits gangs de partisans antigouvernementaux qui ont posé ces explosifs. Parmi ces attentats, il y eut en une seule journée, en juin 2005, quatre explosions à Ahvaz, la ville iranienne qui se trouve de l’autre côte de la voie navigable Shatt al-Arab, en face de Bassora, et qui fit 11 morts et 87 blessés.
Les bombes furent posées près des bureaux du gouvernement et d’une chaîne de télévision. Les cibles avaient de toute évidence été choisies sans se préoccuper des victimes civiles. L’Iran a accusé la Grande-Bretagne – et les forces britanniques à Bassora en particulier – pour les attentats à la bombe d’Ahvaz. Ces incidents n’ont jamais vraiment cessé, le dernier en date ayant été la découverte en mai de cette année d’un dispositif explosif dans les toilettes d’un avion iranien qui s’envolait d’Ahvaz avec 131 passagers à bord, et qui a été désamorcé avant d’exploser. Après que deux bombes eurent explosé à Ahvaz en octobre 2005, faisant six morts et au moins 100 blessés, le vice-ministre de l’intérieur iranien, Mohammed Hossein Mousapour, déclara : « Le plus probable est que ceux impliqués dans cette explosion étaient les agents britanniques impliqués dans les précédents incidents à Ahvaz et au Khuzestân ». Le Foreign Office démentit publiquement toute implication britannique pour laquelle l’Iran ne produisit aucune preuve.
Mais, à l’époque où M. Moore et ses quatre gardes du corps furent kidnappés, l’Amérique intensifiait sa propre guerre secrète contre l’Iran. Il a été révélé l’année dernière par la lettre d’information américaine CounterPunch que le Président George W. Bush avait demandé au Congrès 300 millions de dollars pour déstabiliser l’Iran en finançant les groupes dissidents.
« Ces activités secrètes impliquèrent le soutien à la minorité arabe ahwazie et aux groupes baloutchis, ainsi qu’à d’autres organisations dissidentes », a ajouté le journaliste Seymour Hersh dans le magazine New Yorker. Hersh a déclaré que les forces spéciales étasuniennes avaient mené des opérations transfrontalières au sud de l’Iran en 2007, capturant seize membres d’al-Quds, le bras de commandos des Gardes de la Révolution Iranienne, et les ramenant en Irak pour être interrogés.
Le sort de M. Moore et des quatre britanniques qui travaillaient pour la société canadienne de sécurité GardaWorld a pu être affecté par cette guerre secrète de représailles entre les Américains et les Iraniens. « Les Iraniens ne voulaient pas provoquer les Américains dans une guerre en règle, et la Grande-Bretagne, en tant que principale alliée des Etats-Unis, a donc été une cible pratique », dit un ancien responsable irakien. Il a cité le vieux dicton irakien : « Si l’on n’ose pas affronter son voisin, on s’en prend à son chien. »
Il a été reproché au Foreign Office la conduite des négociations avec les kidnappeurs, mais ses responsables se retrouvaient face à une situation particulièrement compliquée. Ils devaient négocier non seulement avec Asaib al-Haq, mais également avec ses soutiens iraniens de l’ombre ainsi qu’avec les Américains qui détenaient Qais al-Khazali et d’autres dirigeants des partisans de la lutte armée.
Il est peu probable que M. Moore, qui cherchait à améliorer les services d’information du ministère des finances [irakien], ait été enlevé dans le but de supprimer la preuve de la corruption qui y régnait. Bien que les bureaucrates du ministère des finances s’opposaient à un nouveau système de gestion financière qui aurait rendu plus transparent les flux d’argent du gouvernement, Ali Allaoui, l’ancien ministre des finances irakien, dit que cette idée est « tirée par les cheveux ». Selon M. Allaoui, la résistance officielle au ministère des finances suffisait à tuer ce projet dans l’œuf.
L’enlèvement orchestré par des hommes déguisés en forces du ministère de l’intérieur n’était pas une chose exceptionnelle à Bagdad à cette époque, où il n’y avait pas de frontière claire entre la police et les escadrons de la mort.Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]