accueil > archives > éditos


     Votez pour la Paix
    Par Jimmy Carter
Publié le 12 novembre 2004 dans le New York Times

ATLANTA - Pendant plus de 40 ans, Yasser Arafat fut le leader incontesté de la communauté palestinienne, fragmentée et largement dispersée, et incarna le symbole de sa cause. Son rôle prééminent ne fut pas perpétué par sa hardiesse ou la clarté de ses buts, mais il fut à l'abri de la contestation grâce à son statut de seul dénominateur commun autour duquel les factions disparates pouvaient trouver un point de ralliement.

Il était très frustrant de traiter avec M. Arafat pour rechercher une position claire chez les Palestiniens, parce qu'il faisait très attention d'éviter de prendre une décision finale qui, une fois révélée, pourrait soulever une opposition intense ou une rébellion de la part des nombreux groupes rivaux qui l'acceptaient comme porte-parole. En même temps, ses antennes politiques sensibles le dotaient de la capacité à exposer un consensus avec une justesse raisonnable.

Lorsque le Premier Ministre d'Israël Yitzhak Rabin lui en donna l'occasion, M. Arafat a bien réagi en concluant l'Accord d'Oslo en 1993, qui exposait clairement les frontières géographiques entre Israël et les Palestiniens en vue d'établir une relation satisfaisante réciproque. L'absence de violence grave de part et d'autre qui en a résulté fut rompue lorsqu'un nationaliste juif assassina M. Rabin. M. Arafat rejeta plus tard la proposition imaginée par le Président Bill Clinton et le Premier Ministre israélien Ehud Barak, mais ses bases conduisirent à des initiatives positives entre des groupes privés d'Israéliens et de Palestiniens, dont une en particulier est connue sous le nom des Accords de Genève. Cette proposition aborde les principales questions qui doivent être résolues au travers de négociations officielles ultérieures avant qu'une paix permanente puisse être réalisée.

En effet, les initiatives de paix de longues dates des gouvernements précédents ont été abandonnées par le Président Bush et le Premier Ministre Ariel Sharon. Pendant les trois dernières années de sa vie, M. Arafat était immobilisé et retenu prisonnier, humilié par son incarcération physique et exclu par les deux autres dirigeants de toute reconnaissance en tant que chef légitime de la communauté palestinienne. Reconnaissant l'échec de M. Arafat à contrôler la violence au sein de son peuple ou d'initier des propositions de paix utiles, j'utilise le terme " légitime " en me basant sur sa victoire en janvier 1996 par une forte majorité de voix dans une élection contrôlée par le Centre Carter et approuvée par les occupants israéliens.

Ces derniers temps, avec M. Arafat qui était démoralisé politiquement et physiquement, le vide dans le leadership qui en a résulté a été comblé par des factions, dont certaines ont eu recours à des actes inconscients de terrorisme. Les Israéliens ont utilisé cet interrègne politique pour imposer unilatéralement leur volonté à travers les territoires palestiniens, et avec le soutien infaillible de Washington. Lorsque le leader Mahmoud Abbas, largement respecté, fut choisi par l'autorité gouvernante palestinienne pour agir en tant que négociateur alternatif pour la paix, son efficacité a été sapée à la fois par M. Arafat (qui voyait son autorité menacée) et par M. Sharon (qui préférait prendre des décisions sans se référer à une voix palestinienne forte).

Si un successeur respecté à M. Arafat peut être choisi par les Palestiniens (pas par les Israéliens ou les Américains), alors il y aura une nouvelle opportunité pour relancer les négociations de paix. Bien que M. Abbas ait été élu par l'organisation pour être son président, il est peu probable que lui ou tout autre chef pourra obtenir la légitimité politique à moins d'être choisi à travers un processus démocratique.

Qui plus est, il y a aujourd'hui des obstacles sérieux qui n'existaient pas en 1996. À cette époque, les Palestiniens pouvaient se déplacer librement à travers Gaza et la Cisjordanie pour faire campagne et pour voter. Cela incluait Jérusalem-Est, malgré l'altercation de dernière minute pour savoir si les votes seraient " déposés dans " ou " postés des" bureaux de vote dans les agences de la poste. Désormais, un grand nombre supplémentaire d'implantations israéliennes illégales ont été construites à travers la Cisjordanie, un réseau routier les relie à la façon d'une toile d'araignée et le mur construit en Cisjordanie empiète de manière substantielle à l'intérieur du territoire palestinien, tel qu'il a été établi par des frontières internationalement reconnues.

Un autre changement profondément dérangeant est la décision prise par le Hamas et d'autres factions militantes d'avoir recours aux attaques suicides et à d'autres actions terroristes, alors que les espoirs de paix et de justice décourageaient une telle violence il y a huit ans. Après cette élection [de 1996], les représentants du Hamas rejetèrent mes efforts pour leur faire accepter M. Arafat comme leur leader politique, et ils continuèrent à agir en indépendance.

Le Premier Ministre britannique Tony Blair a déclaré récemment que la paix au Moyen-Orient est le sujet international le plus important. Il reste à espérer qu'à Washington et à Jérusalem on reconnaîtra aussi qu'une action franche et équilibrée pour atteindre cet objectif aidera à atténuer la tension au Moyen-Orient ainsi que la haine qui exacerbe la menace globale que constitue le terrorisme.

Jimmy Carter, 39ème président des Etats-Unis, est le président du Carter Center et lauréat du Prix Nobel de la Paix 2002.


Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon