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     La colonisation de la Palestine empêche la paix
    Par Jimmy Carter
Publié le 9 mars 2006 sur TomPaine.com

Pendant plus d'un quart de siècle, la politique Israélienne a été en conflit avec celle des Etats-Unis et de la communauté internationale. L'occupation de la Palestine par Israël a fait obstacle à un accord de paix global en Terre Sainte, que les Palestiniens aient ou non un gouvernement officiel, l'un gouverné par Yasser Arafat ou Mahmoud Abbas ou avec Abbas comme président et le Hamas contrôlant le parlement et le gouvernement.

La position américaine depuis l'administration de Dwight Eisenhower, et qui est restée inébranlable, a été que les frontières d'Israël doivent coïncider avec les frontières établies en 1949. La Résolution 242 des Nations-Unies, qui a été universellement adoptée en 1967, exigeait le retrait d'Israël des territoires occupés. Cette politique fut même re-confirmée par Israël en 1978 et en 1993 et appuyée par tous les présidents américains, y compris par George W. Bush — lequel, en tant que partie du Quartette (qui comprend en plus des Etats-Unis : la Russie, les Nations-Unies et l'Union Européenne), a approuvé une "feuille de route" pour la paix. Feuille de route dont Israël a officiellement rejeté les prémisses de bases, faisant des mises en garde et réclamant des préalables manifestement inacceptables.

En accord avec Israël, le Centre Carter a surveillé la totalité des trois élections palestiniennes. [Les opérations ont été] supervisées par une commission d'experts constituée de présidents de facultés et d'éminents juristes. Tous ont travaillé honnêtement, dans un esprit de justice et de paix, et ces trois scrutins ont été acceptés, tant par les vainqueurs que par les perdants. Le [prochain] gouvernement sera contrôlé par le Hamas, qui occupera la fonction de Premier ministre. Mahmoud Abbas, quant à lui, garde toute l'autorité et le pouvoir qu'exerçait Yasser Arafat : il dirige toujours l'OLP — seule entité palestinienne reconnue par Israël — et il peut traiter avec les dirigeants israéliens sous ce parapluie — hors du contrôle du Hamas. [Mahmoud Abbas] a approuvé sans équivoque la feuille de route du Quartette et les sondages post-électoraux montrent que 80% des Palestiniens veulent toujours un accord de paix avec Israël et que 70% d'entre eux soutiennent Abbas comme président.

Israël a annoncé une politique d'isolement et de déstabilisation à l'encontre du nouveau gouvernement [palestinien], politique que les Etats-Unis rejoindront peut-être. Les dirigeants [palestiniens qui viennent d'être] élus se verront refuser tout permis pour voyager, les travailleurs de Gaza isolée seront empêchés d'entrer en Israël et tous les efforts seront faits pour bloquer les fonds vers les Palestiniens. James Wolfensohn, l'envoyé spécial du Quartette, a proposé que les donateurs assistent le peuple palestinien sans violer les lois anti-terroristes qui empêchent les fonds d'être envoyés directement au Hamas.

À court terme, la meilleure approche est de suivre les conseils de Wolfensohn : donner une chance à la poussière de retomber en Palestine et attendre le résultat de l'élection israélienne à la fin du mois. Aujourd'hui, le Hamas souhaite consolider ses gains politiques, maintenir l'ordre et la stabilité intérieurs et se garder de tout contact avec Israël. Ce serait une tragédie — surtout pour les Palestiniens — s'ils encourageaient ou toléraient le terrorisme.

L'obstacle dominant à la paix est la colonisation de la Palestine par Israël. Lorsque je suis devenu président [des Etats-Unis], il n'y avait que quelques centaines de colons en Cisjordanie et à Gaza. Mais le gouvernement Likoud, après mon départ de la présidence, a étendu l'activité d'implantation. Le Président Ronald Reagan condamna cette politique et réaffirma que la Résolution 242 reste "la première pierre de l'effort de paix américain au Moyen-Orient". Le Président George H.W. Bush a même menacé de réduire l'aide américaine à Israël.

Bien que le Président Bill Clinton fit des efforts importants pour promouvoir la paix, il y eut une augmentation massive de colons sous son administration. Jusqu'à 225.000, pour la plupart sous le gouvernement d'Ehud Barak. La meilleure offre officielle que les Israéliens ont faite aux Palestiniens était de retirer 20% des colons, en laissant 188.000 dans 209 implantations et 5% de la terre occupée.

Mais ce chiffre de cinq pour-cent induit grossièrement en erreur. En effet, [il conviendrait d'ajouter à ce chiffre, les alentours [des implantations] déjà annexés ou désignés aux fins d'expansion, les voies de circulation qui relient les implantations entre elles et à Jérusalem et de larges bandes de terres nécessaires à l'alimentation en eau, aux égouts, à l'électricité et aux communications. Ce réseau artériel complexe divise l'ensemble de la Cisjordanie en de multiples fragments, souvent inhabitables ou même inatteignables. Dernièrement, les dirigeants israéliens ont décidé d'agir unilatéralement, sans impliquer, ni les Etats-Unis, ni les Palestiniens. Le retrait de Gaza était la première étape. Puisqu'elle est présentement circonscrite et isolée, privée d'accès aérien, maritime ou vers la Cisjordanie, Gaza est une entité économique et politique non-viable.

L'avenir de la Cisjordanie est pareillement lugubre. Particulièrement ennuyeux est la construction par Israël d'un énorme mur de béton qui divise des zones de population et l'érection de hautes clôtures dans les zones rurales — toutes situées en territoire palestinien et dont le tracé y fait souvent des intrusions profondes pour accaparer plus de terres et accroître les implantations. Ce mur est destiné à encercler totalement une Palestine tronquée. Et un réseau d'autoroutes exclusives reliant Israël à la Vallée du Jourdain découpera ce qu'il restera de la Palestine.

Cela ne sera jamais acceptable — ni pour les Palestiniens, ni pour la communauté internationale — et provoquerait inévitablement un regain de tension et de violence à l'intérieur de la Palestine. De plus, le ressentiment et l'animosité que le monde arabe éprouve vis-à-vis de l'Amérique serait encore renforcé et elle serait tenue pour responsable de la détresse des Palestiniens.

Ehud Olmert, le Premier ministre par intérim, et d'autres ont fait remarqué il y a des années que l'occupation israélienne permanente sera de plus en plus difficile au fur et à mesure que l'évolution démographique réduira la proportion de Juifs, à la fois à l'intérieur d'Israël et en Palestine. Cela saute aux yeux de la plupart des Israéliens, qui voient aussi ce rôle de domination comme une distorsion de leur anciennes valeurs morales et religieuses. Au fil des ans, les sondages d'opinion ont constamment montré qu'environ 60% des Israéliens sont favorables au retrait de la Cisjordanie en échange de la paix permanente. De la même manière, un nombre écrasant à la fois d'Israéliens et de Palestiniens veulent une solution durable à deux Etats.

Les pertes humaines ont augmenté ces dernières années, alors que les forces d'occupation ont mis en place des contrôles plus serrés. De septembre 2000 à mars 2006, 3.982 Palestiniens et 1.084 Israéliens ont été tués dans ce conflit, et ces chiffres incluent de nombreux enfants : 708 du côté palestinien et 123 du côté israélien.

Il y a peu de doutes que se mettre d'accord avec les Palestiniens, peut apporter à Israël la reconnaissance totale des Arabes et le droit de vivre en paix. Toute politique de rejet du Hamas ou quelque groupe terroriste que ce soit seront submergés par l'engagement arabe global de contenir la violence et de promouvoir le bien-être du peuple palestinien.

Au fil des ans, j'ai vu le désespoir et la frustration évoluer en optimisme et en progrès. Et même maintenant, il reste toujours l'espoir d'une paix permanente pour les Israéliens et de la liberté et la justice pour les Palestiniens, si trois promesses de base sont honorées :

1. Le droit d'Israël à exister — et de vivre en paix — doit être reconnu et accepté par les Palestiniens et tous ses voisins ;

2. Tuer des gens innocents par des attentats-suicide à la bombe ou autres actes de violence ne peut pas être soutenu ;

et

3. Les Palestiniens doivent vivre en paix et dans la dignité et les implantations israéliennes permanentes sur leur terre sont un obstacle majeur à cet objectif.

L'ancien président des Etats-Unis, Jimmy Carter, a dirigé l'observation des élections palestiniennes en janvier gérée par The Carter Center/National Democratic Institute.

© 2006 Project Syndicate / Council on Foreign Relations.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]


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