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"Dépourvus de dirigeants ayant un programme convaincant,
les Allemands ont commencé de se réaligner sur les diverses tendances politiques.
L'élection de dimanche montre qu'ils veulent une alternative."

     Par-dessus tout, ce fut un vote contre le néolibéralisme
    Par Jonathan Steele
The Guardian , mardi 20 septembre 2005

De toute la confusion générée par le résultat de l'élection en Allemagne, un vainqueur clair en est sorti. Le tout nouveau Linkspartei - le parti de Gauche - a remporté 54 sièges, devançant les Verts de Joschka Fisher, qui ont fait partie de la coalition de gouvernement pendant les sept dernières années. C'est un résultat extraordinaire et cela signifie que pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale les Sociaux Démocrates font face à un parti rival sur leur gauche.

Les pertes du SPD sont pratiquement équivalentes à la montée du soutien pour le parti de Gauche. Ce dernier est souvent taxé "d'extrême gauche", mais cette description n'est pas plus justifiée que d'appeler les Démocrates Libéraux - qui ont été les autres grands gagnants de dimanche - "l'extrême droite".

Ce que les électeurs allemands ont montré ce week-end est qu'ils ont commencé à se réaligner sur les diverses tendances politiques, avec beaucoup de bénéfices potentiels. Cette élection place l'Allemagne en ligne avec la plupart des autres démocraties européennes où la gauche est représentée par plus d'un parti dominant, permettant en conséquence un débat sain et une concurrence saine. La Grande-Bretagne, où les partis à la gauche du Labour n'ont jamais réussi à progresser, fait de plus en plus figure d'exception.

Le thème principal de la campagne a été le programme de réforme économique néolibérale que le chancelier, Gerhard Schröder, a mis en route il y a cinq ans. Comparable au "blairisme" dans la distance qui a été prise avec la tradition démocratique de son parti, il s'est embarqué dans ce programme sans beaucoup consulter sa base ou les syndicats. La colère engendrée, ajoutée à l'échec des mesures de Schröder pour réduire le taux élevé de chômage en Allemagne, a conduit les militants de nombre de syndicats à former des listes de candidats, l'Alternative pour le Travail et la Justice Sociale, afin de concurrencer les Sociaux Démocrates dans les élections régionales. Cet été, ils ont pris la décision audacieuse de combattre les Sociaux Démocrates au plan national en fusionnant avec le Parti du Socialisme Démocratique, qui trouve ses racines essentiellement dans l'ancienne Allemagne de l'Est.

Tandis que les anciens partis communistes de l'Europe de l'Est ont généralement épousé le programme néolibéral, le PDS, qui est issu de l'ancien parti dirigeant de l'Allemagne de l'Est, l'a refusé. Mais il n'a jamais cassé son image de parti essentiellement de l'Est. Alors que le Parti des Verts aurait pu devenir son partenaire à l'Ouest, celui-ci a pris progressivement une orientation favorable aux marchés.

Les liens du PDS avec les syndicalistes de l'Ouest ont changé la donne. Le test pour ce nouveau parti consistera à maintenir cette alliance afin que le soi-disant "mur dans la tête des gens" - la vieille division Est/Ouest de l'Allemagne, qui a survécu à la chute du mur de Berlin - finisse par disparaître et qu'un parti national de Gauche, critique de la mondialisation, s'enracine.

Etant donné que ce parti a deux leaders farouchement individualistes, ce ne sera pas facile. Sous la pluie froide, lors de leur meeting final vendredi soir à Berlin, Oskar Lafontaine (qui a été brièvement ministre des finances de Schröder, en 1998) et Gregor Gysi n'ont pas pu supporter, une nouvelle fois, d'être ensemble sur l'estrade. Gysi est arrivé après que Lafontaine ait terminé.

Cependant, leurs messages séparés se sont bien accordés. Les experts prédisent une possible "grande coalition" après le scrutin, mais l'Allemagne en a déjà une, même si elle n'est pas officielle. Les récentes mesures prises par le gouvernement SPD de réduire les indemnités de chômage et de retraite et de faire payer plus pour les soins médicaux a reçu un large soutien au parlement de la part de la CDU.

Cet argument, combiné à la montée en puissance de la Gauche, a joué un rôle important pour fixer le programme de la campagne. Grâce aux bourdes d'Angela Merkel, son challenger conservateur, qui a commencé par vanter les mérites d'un partisan radical d'un taux d'imposition forfaitaire pour devenir son ministre des finances, Schröder a habilement renversé les rôles. Il a combattu comme s'il était dans l'opposition et qu'elle était la chancelière. Il a exagéré ses différences avec la CDU, promettant de défendre la justice sociale et de bloquer ses plans de faciliter les licenciements aux employeurs. Malgré les syndicats allemands censés être puissants et un état "social" fort, l'Allemagne n'a pas de salaire minimum. Dans sa campagne, Schröder a adopté la ligne du Linkspartei et a promis d'en introduire un.

Sur la droite, on a assisté également à une redistribution des suffrages, bien que moins significative que celle concernant la gauche. La montée des Libéraux Démocrates est équivalente aux pertes de la CDU. Leurs programmes diffèrent à peine, et il se pourrait bien qu'Angela Merkel ait perdu des voix parce qu'elle est une femme. Plusieurs personnalités masculines de son parti n'ont pas fait grand chose pour cacher leur dédain sur sa compétence, alors qu'elle n'a pas mis en avant le fait qu'elle soit la première femme d'Allemagne à briguer le poste de chancelier. De nombreux électeurs de la CDU ont basculé vers le FDP pour lui barrer la route.

Mais le message central de dimanche a été la protestation contre le néolibéralisme. Il a beaucoup de choses en commun avec les votes de la fin du printemps en France et aux Pays-Bas contre la constitution européenne. Le paradoxe de l'Allemagne est que ce pays qui est le deuxième exportateur du monde et qui est compétitif sur la scène mondiale a un marché intérieur dans lequel les patrons refusent d'investir, où les petites entreprises stagnent et où le chômage est élevé. Alors, on demande aux gens de sacrifier l'état providence qu'ils ont construit après 1945. Troublés, amers et sans leaders disposant d'un programme convaincant, beaucoup d'Allemands rejoignent la tendance croissante disant qu'il doit y avoir un autre chemin.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon