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Le retour au pouvoir d'Avigdor Lieberman et de son racisme
anti-arabe montre où en est arrivée la politique israélienne

     L'ascension d'un facho qui prend exemple sur Poutine
    Par Jonathan Steele, à Jérusalem
The Guardian , jeudi 2 novembre 2006
article origina: "The rise of the rightwinger who takes his cue from Putin"

Il y a quand même un endroit où il faut rendre justice aux Israéliens. À la Knesset, le bâtiment du parlement [israélien], les journalistes, une fois qu'ils ont passé le barrage, peuvent déambuler sans escorte à la cafétéria des députés. Des tables ordinaires sont placées côte à côte, comme dans un terminal d'aéroport, et les ministres qui font la queue pour charger leur plateau n'ont pas la priorité sur les députés.

À côté de la fenêtre, l'ultra-facho Avigdor Lieberman est penché sur son bol de soupe. À deux tables de là, Ahmed Tibi, député arabe et vice-président du parlement, discute avec des journalistes entre deux coups de fil sur son portable. Ceci est admirablement égalitaire et d'une simplicité déconcertante. Mais, ce lundi, l'atmosphère était loin d'être paisible. La majorité gouvernementale s'apprêtait à voter pour approuver la nomination d'Avigdor Lieberman par Ehoud Olmert en tant que vice-Premier ministre, en charge des "menaces stratégiques" auxquelles Israël est confronté.

Tibi était furieux. Dans d'autres parties du monde, fulminait-il, un homme comme Lieberman - "un politicien très dangereux et très sophistiqué qui a trouvé du soutien grâce à la haine raciale" - serait rejeté. En Israël, c'est au plus haut niveau qu'on lui a donné un job.

Lieberman a dépeint Tibi et les autres Arabes israéliens qui ont rencontré des responsables du Hamas comme des traîtres. Ils devraient être exécutés, a-t-il dit l'année dernière, exactement comme les juges à Nuremberg n'ont pas seulement condamné les Nazis mais ceux qui ont collaboré avec eux. Lieberman plaide pour que les Arabes du Nord d'Israël soient dépouillés de leur citoyenneté et qu'ils soient placés dans des zones sous contrôle palestinien. En échange, Israël accaparerait encore plus de terres de Cisjordanie que ce qu'envisage Olmert.

Ce qui inquiétait Tibi n'était pas que le gouvernement "devienne plus brutal" à cause de la présence de Lieberman au gouvernement. Après tout, la prolifération des barrages en Cisjordanie, les assassinats à Gaza et la guerre au Liban se sont produits quand il n'était pas là. "Notre problème est avec la société israélienne", a dit Tibi. "En tant qu'Arabe et être humain, cette nomination d'un raciste et d'un fasciste m'envoie un message."

Assise à côté de Tibi, dans la cafétéria, Zahava Galon, qui dirige le groupe parlementaire de Meretz, le petit parti israélien de gauche, était tout aussi horrifiée. Sa colère était dirigée contre les ministres travaillistes de la coalition d'Olmert qui n'ont pas protesté. Cela ne peut que rabaisser de plusieurs degrés le respect du public pour les hommes politiques, a-t-elle dit. Elle a écrit une lettre aux instances dirigeantes du parti travailliste, arguant que Lieberman était pire que l'Autrichien Jörg Haider ou le Français Jean-Marie Le Pen. Mais un seul ministre a choisi de quitter le gouvernement.

"La nomination de Lieberman influencera l'ensemble de la société israélienne", a dit Galon. "Les ministres ne s'intéressent qu'à garder leur fauteuil... Les hommes politiques sont déjà perçus comme étant cyniques, dépourvus de valeurs, d'idéologie et de principes. Maintenant, ce sera encore pire. Aujourd'hui, en Israël, le camp de la gauche n'existe plus. Si les travaillistes pensent qu'on peut légitimement s'allier avec Lieberman, alors pour moi ils ne sont plus de gauche et pour la liberté et ce ne sont plus des démocrates. Cette nomination est une attaque terroriste contre la démocratie."

Tandis que sa morosité et sa colère montaient, Lieberman, lui, poursuivait son déjeuner, ne faisant une pause que pour répondre à quelques questions du Guardian. S'exprimant dans un mélange de russe et d'anglais, il m'a dit que ses priorités au gouvernement seraient "d'établir un processus de prise de décision adapté" et de faire passer "la vision stratégique d'une solution finale à ce que ressemblera Israël dans 20 ou 25 ans... Ce n'est pas seulement une question de territoire et de frontières mais celle du caractère de l'Etat - [Israël] sera-t-il un Etat sioniste, un Etat juif ou un Etat comme les autres ? Je veux qu'il soit un Etat juif".

Les ministres travaillistes reconnaissent que leur soutien s'effritait avant la nomination de Lieberman. Amir Peretz, le dirigeant de leur parti, dispose actuellement d'une côte dérisoire de 1% comme Premier ministre potentiel. Il est l'un des premiers ministres de la défense sans passé militaire - "les seules choses qui ont jamais sifflé à ses oreilles sont les balles de ping-pong", raille un de ses opposants. Il a été largement critiqué pour sa performance dans la guerre du Liban. Cependant, les promesses du Parti Travailliste de se servir de son rôle dans le gouvernement pour protéger les dépenses sociales sont un peu courtes. Le dernier budget a propulsé encore plus haut les dépenses militaires.

Yuli Tamir, le ministre de l'éducation, maintient qu'il est toujours mieux de rester au gouvernement, puisque Lieberman n'était qu'un ministre parmi 25. Le rôle de Lieberman a été défini étroitement. Il n'est pas en charge de la défense, ni de la politique étrangère, et il ne dispose d'aucun budget.

Vu le mécontentement du public vis-à-vis des hommes politiques, la réputation du Parti Travailliste ne se serait-elle pas améliorée en démissionnant du gouvernement, demandais-je ? "Elle se serait améliorée pendant un temps, mais la démission n'est populaire que temporairement", a répliqué Tamir. "D'un autre côté, nous avons pensé que Lieberman aurait eu plus de pouvoir si nous étions sortis [du gouvernement]".

Tandis que les détracteurs du Parti Travailliste traitent ses éléphants de cyniques qui ne cherchent qu'à s'accrocher à leur fauteuil au gouvernement, personne ne prend en compte le cynisme d'Olmert et de Lieberman. En faisant entrer Lieberman au gouvernement, Olmert a soudainement donné un nouveau souffle à sa coalition instable. Luttant après le fiasco de la guerre au Liban, il dispose désormais de 78 voix à la Knesset sur 120 sièges et cela le protège contre un renversement.

Les motivations de Lieberman, elles aussi, sont claires. Après avoir été un protégé de l'ancien Premier ministre Likoud, Bibi Netanyahou, il a formé son propre parti après la défaite de Netanyahou en 1999. Ses premiers soutiens, il les a reçus des immigrants russes de l'après Soviétisme, en les attirant par son racisme anti-arabe et leur instinct pour un leadership musclé. Prenant exemple sur Vladimir Poutine, le patron du Kremlin, Lieberman plaide pour relever le seuil permettant aux petits partis d'entrer au parlement, éliminant ainsi les partis arabes.

Dernièrement, il a cherché à élargir sa base politique et, depuis le Liban, les sondages ont montré qu'il disposait d'un soutien deux fois plus élevé qu'Olmert, toutefois moindre que son ancien mentor, Netanyahou, qui est en tête des sondages actuels. En rejoignant le gouvernement d'Olmert, il peut se différencier de Netanyahou sur la scène politique. Cela lui donne aussi une occasion d'entraîner Olmert vers une ligne jusqu'au-boutiste et d'en récolter les bénéfices aux prochaines élections.

Auparavant, Lieberman a déjà été au gouvernement. Il a servi deux fois sous Sharon, mais fut viré à cause de ses idées "d'échange de populations" et à cause de son opposition au désengagement de Gaza. Le fait que le successeur de Sharon l'ait fait revenir, cette fois-ci en tant que vice-Premier ministre, montre à quel point les décideurs israéliens ont glissé vers l'extrême droite, alors même que les Israéliens progressistes sont de plus en plus las des chaises musicales en haut du pouvoir. Déjà, les récents scandales sexuels et de corruption ont terni l'image de la classe politique. À présent, les gens se demandent ce qui est pire : l'arrivée de Lieberman [au gouvernement] ou le Parti Travailliste qui ne s'en va pas ?

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]