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Les erreurs de calcul par Israël et le Hezbollah ont affaibli l'unité
fragile du Liban. Un cessez-le-feu est nécessaire immédiatement

     Comment les deux côtés ont-ils pu commettre de telles bourdes ?
    Par Jonathan Steele
The Guardian , vendredi 21 juillet 2006

Cette ville est autant imprégnée par la peur que par la colère - peur que les raids aériens d'Israël puissent s'intensifier une fois les étrangers tous partis et colère parce que le monde n'a pas imposé un cessez-le-feu. Mais derrière ce mélange d'émotions, les quelques personnes capables de penser calmement aux événements incroyables de la semaine passée sont à la fois consternées et terrifiées. Comment les protagonistes ont-ils pu faire d'aussi mauvais calculs ? Où est la stratégie de sortie d'Israël ? À quoi le Hezbollah, la milice radicale Chiite, s'attendait-il lorsqu'il a lancé les attaques qui ont conduit à la capture de deux soldats israéliens et à la mort de huit autres ?

Timur Goksel était le conseiller en chef de la mission de l'ONU sur la frontière libanaise. La veille de l'incursion de Hezbollah, il s'est rendu à la station balnéaire de Tyr avec un groupe d'étudiants de l'université américaine de Beyrouth, où il enseigne à présent. "Les plages étaient bondées. C'était comme la Floride," se souvient-il. "Beaucoup d'estivants étaient des Chiites libanais aisés de la Diaspora, en Afrique occidentale et aux Etats-Unis. Ils ne soutiennent pas politiquement le Hezbollah mais financent ses services d'aide sociale, et je me rappelle avoir pensé que le Hezbollah ne démarrerait jamais n'importe quoi avant la fin de la saison. Comme je me trompais !"

Certains analystes se demandent si le Hezbollah a pensé que les Etats-Unis ne permettraient jamais à Israël de frapper si durement à travers tout le Liban. Après ce que l'on a appelé la "Révolution du Cèdre", du printemps dernier, qui a poussé au départ des troupes syriennes, le Liban semblait être le pays arabe préféré de l'administration Bush, une vitrine pour le processus démocratique que Washington espérait exporter dans toute la région.

D'autres suggèrent que le Hezbollah ait pu avoir fait le calcul qu'Israël était trop occupé dans Gaza pour s'occuper d'un deuxième front sur sa frontière Nord. Cependant, il y avait peu d'indications pour valider un tel argument. L'équipe d'Olmert-Peretz, militairement inexpérimentée, réagissait déjà avec démesure à l'incursion palestinienne, dans laquelle deux soldats furent tués et un autre capturé. Plutôt que de négocier un échange de prisonnier, ils s'en sont pris à toute la Bande de Gaza. Pourquoi ne réagiraient-ils pas avec la même démesure à un plus grand revers militaire au nord ?

Du côté israélien, le manque de logique est tout aussi frappant. L'élément le plus étrange est la décision de monter des attaques aériennes contre l'armée libanaise. Comment Israël peut-il exiger de l'armée libanaise qu'elle descende vers la frontière pour désarmer et remplacer le Hezbollah tout en frappant les personnes-mêmes qu'il espère encourager à mettre en application cette stratégie ? Israël a tué au moins 11 officiers et hommes de troupe dans une série d'attaques.

Mercredi, lors d'un discours puissant aux diplomates étrangers, le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, a fait remarquer qu'Israël tuait non seulement des civils et détruisait des pans entiers de l'infrastructure du pays, mais avait également frappé des casernes militaires. Est-ce le "prix à payer pour aspirer à construire des institutions démocratiques ? Est ce le message à envoyer au pays de la diversité, de la liberté et de la tolérance?" a-t-il demandé.

Tandis que Hezbollah et Israël se sont tous deux fourvoyés, Israël est susceptible d'en sortir plus mal. Ses planificateurs militaires semblent ne pas avoir prévu que le Hezbollah exercerait des représailles aussi violentes aux premières bombes israéliennes, après la capture des deux soldats. La pluie de missiles sur des villes aussi éloignées que Haïfa, de même que l'attaque réussie sur un vaisseau de guerre israélien, furent une surprise. Il se peut que le Hezbollah ait été militairement affaibli par une semaine de déluge aérien, mais il est encore capable de lancer de nouveaux missiles.

Avec la puissance aérienne qui ne fonctionnait pas, une incursion frontalière par une unité israélienne d'élite mercredi a conduit à la perte de deux soldats, qui ont été tués par des guerriers du Hezbollah. Amos Harel, un analyste du journal israélien Haaretz, soutient qu'à la suite de telles pertes dans une opération au sol relativement réduite "le gouvernement devra prendre en compte ce fait s'il décide de procéder dans le futur à une invasion plus massive".

Dans chacune de ses guerres précédentes, Israël a combattu et vaincu les armées conventionnelles des Etats arabes. Il a toujours bénéficié d'une supériorité. Mais la guerre asymétrique d'aujourd'hui s'avère bien plus dure à gérer pour Israël et exige un tribut plus important en terme de pertes humaines. D'abord, est arrivée la reprise des attentats-suicides palestiniens, que les chars sont impuissants à faire échouer. À présent, se sont les missiles à longue portée qui ont tué plus d'Israéliens en une semaine que les missiles Scud de Saddam Hussein en 1991.

Il est vrai qu'Israël ne combat plus pour son existence comme il le faisait en 1967 et en 1973, quand les forces arabes pénétrèrent dans le pays. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir quelle quantité de souffrance peuvent infliger les ennemis des politiques extrémistes d'Israël. L'état est en sécurité mais cette crise a renforcé le sentiment d'insécurité individuelle qu'éprouve chaque Israélien.

Cela change la base politique de tous les calculs stratégiques. Que se passerait-il si les missiles à longue portée, de la sorte que Hezbollah détient, devaient remplacer les roquettes artisanales des Palestiniens ? Israël ne devra-t-il pas enfin penser sérieusement à un règlement négocié de la question palestinienne ?

Les faucons israéliens reconnaissent les dangers. Une analyse du général de division en retraite, Yaakov Amidror, et de Dan Diker, de l'Institut aux Affaires Contemporaines à Jérusalem, reconnaît que toute invasion terrestre du Liban" aurait des implications de grande envergure en termes de pertes potentielles pour les Forces de Défense Israéliennes". Ils remettent en cause la "préparation [d'Israël] à absorber des dommages sur le front intérieur" et disent qu'il faudra une détermination beaucoup plus grande qu'en 1991.

Les questions clés pour le Liban sont : le Hezbollah émergera-t-il de la crise plus fort ou plus faible ? Et, les divisions sectaires qui ont déclenché la dernière guerre civile réapparaîtront-elles assez profondément pour en déclencher une nouvelle ? Dans les premières heures du bombardement israélien, beaucoup de politiciens libanais ont critiqué la milice de l'avoir provoqué. Mais tandis qu'Israël continue de détruire l'infrastructure du pays, tuant plus de 300 civils et obligeant plus d'un demi-million de personnes à fuir, la colère a forgé l'unité de tout le Liban. Dans le grand Moyen-Orient, le Hezbollah a probablement gagné le soutien pour se défendre contre Israël même si, une fois encore, les Etats arabes n'ont rien fait.

Les commentateurs libanais fortement anti-Hezbollah, tels que Michael Young du Daily Star, craignent que Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, en sortira victorieux. "Il n'a pas besoin d'une victoire militaire pour assurer sa résurrection politique. Il a juste besoin de survivre avec sa milice intacte et suffisamment de sang israélien versé", a-t-il soutenu hier. Mais alors même que le Hezbollah s'en sortira probablement bien, les soupçons de ses adversaires et le ressentiment qu'ils éprouvent se seront développés, affaiblissant encore la tentative d'unité du Liban. Donc, tout indique la nécessité d'un cessez-le-feu immédiat. Bush et Blair semblent impassibles par la catastrophe humaine au Liban et, à un plus petit degré mais non moins terrible, en Israël. Ils devraient au moins comprendre quel dommage politique cela produit.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]