La manœuvre de l'UE pour bloquer l'aide économique aux pays pauvres
    Par Larry Elliott
The Guardian , Jeudi 19 mai 2005

Dans une lettre qui vient d'être divulguée, on apprend que Mandelson va faire pression sur Blair pour affaiblir l'accord avec les pays en voie de développement.


Les documents de Bruxelles divulgués hier soir révèlent que Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, cherche à persuader Tony Blair de réviser la position de la Grande-Bretagne en faveur des pays pauvres sur la libéralisation du commerce - pièce centrale du programme de développement pour 2005 du gouvernement britannique.

Dans une lettre de Peter Carl, le plus haut fonctionnaire au commerce de la Commission Européenne, il est dit que M. Mandelson - toujours proche confident du Premier ministre britannique - était utilisé pour retourner ce que Bruxelles condamne comme "un changement majeur et malvenu" dans l'approche du Royaume-Uni.

En effet, le gouvernement britannique a insisté en mars dernier pour dire que les négociations sur les accords de partenariat économique (APE)[1], en cours entre l'Union Européenne et quelques uns des pays les plus pauvres du monde, ne doivent pas servir de moyen dérobé pour ouvrir leurs marchés par la force. Ce à quoi, la commission a violemment répliqué en disant que cette politique avait été élaborée dans la dernière ligne droite avant l'élection législative, à la suite d'un puissant lobbying de la part des organisations pour le développement.

Elle a ajouté que l'approche britannique avait été influencée par des "célébrités et des ONG qui pressent désormais à agir", et qu'elle n'aurait aucun impact sur la position de négociation de la commission.

L'annonce de cette fuite a suscité une réponse ferme de Whitehall et de la part des organisations pour le développement. Une source au sein du Ministère du Commerce et de l'industrie a dit : "Notre position se base sur une règle de conduite. Nous regrettons que la commission ait mal interprété notre point de vue et nous allons soulever cela avec eux."

Gareth Thomas, ministre délégué au Développement International, a déclaré : "[M. Carl] a tort dans son analyse. Nous sommes disposés à faire en sorte que les APE soient aussi adaptés que possible au développement."

Un porte-parole d'Oxfam a déclaré : "Voici un exemple où la Commission Européenne bâillonne les Etats membres favorables au développement. Tony Blair essaye de faire quelque chose pour aider les pauvres dans le monde et il est entravé par l'Europe, qui agit en tant que bloc commercial.

"La Commission Européenne veut clairement utiliser les APE comme outil pour ouvrir les marchés et servir ses propres intérêts. Ce n'est pas bon. Les APE dans leur forme actuelle seraient néfastes au développement. Ce sont des accords de libre échange déguisés sous un autre nom et ils sont destinés à ce que l'Europe obtienne le plus sans prendre en considération, comme il conviendrait, les effets négatifs sur les pays-partenaires en voie de développement les plus faibles."


Dans sa lettre aux chefs de la délégation de l'UE, dans les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), M. Carl, directeur-général de la direction du commerce à Bruxelles, a ajouté : "Nous discutons actuellement avec le Royaume-Uni des implications de ce texte.

"Peter Mandelson soulève nos inquiétudes auprès du Royaume-Uni et va faire pression pour qu'ils revoient leur position, en faisant remarquer que leur déclaration est contraire à la position de l'UE qui a été convenue et qu'elle porte atteinte à notre objectif commun consistant à promouvoir le développement par le commerce".
Des sources au sein de la direction au commerce, à Bruxelles, ont confirmé que M. Mandelson avait eu des discussions avec l'ancien ministre du commerce et de l'industrie, Patricia Hewitt, pressant le gouvernement britannique d'adopter une ligne plus modérée.

"Dans l'ensemble, c'est ce que le Royaume-Uni a fait. La Grande-Bretagne n'a pas défendu très fermement sa position", a déclaré une autre source.

Cette dernière a ajouté que Bruxelles pensait que le Parti Travailliste avait été influencé outre mesure par les militants pour le développement et que les accords de partenariat économique en négociation avec les pays pauvres tomberaient sous le coup des règles de l'Organisation Mondiale du Commerce, à moins qu'ils ne contiennent des obligations de la part des pays en voie de développement d'ouvrir leurs marchés à un moment ou à un autre.

"Le Royaume-Uni a adopté cette approche afin de garder les ONG à bord en vue du sommet de Gleaneagles", a-t-il dit. "Cela peut se comprendre, mais le gouvernement a prélever une part trop grande dans le programme des ONG."

Des sources britanniques ont fermement démenti la nuit dernière que le gouvernement faisait marche arrière et ont fait remarqué que le manifeste du Parti Travailliste contenait un engagement à ce que les pays pauvres soient autorisés à libéraliser à leur propre rythme. La Grande-Bretagne a fait de l'accès commercial à l'occident pour les pays pauvres une de ses exigences principales pour sa présidence du G8 en 2005, et insiste pour dire qu'il doit être accordé aux pays pauvres un minimum de vingt années pour libéraliser leurs marchés en retour.

Dans la lettre de M. Carl, on peut lire que la position du Royaume-Uni "pourrait bien rendre plus difficiles les négociations des APE en renforçant les vues des pays les plus sceptiques de la zone ACP et en soulevant la perspective d'alternatives qui sont, dans la réalité, impraticables".

Un résumé joint à la lettre de M. Carl fait remarquer : "Ce texte a été élaboré … à la suite d'un lobbying puissant effectué par la communauté britannique des ONG et de la publication du rapport de la Commission britannique pour l'Afrique … le Royaume-Uni a mis cette commission en place pour faire le point sur le développement de l'Afrique en préparation des présidences britanniques du G8 et de l'UE. La motivation d'une telle commission est venue de célébrités et d'ONG qui poussent à présent le Royaume-Uni à agir."

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon


[1]Accords économiques, désaccord politique, par Jérôme Guillas (16 octobre 2003.