Laura Carlsen est la directrice de IRC- Programme des Amériques à Mexico, où elle travaille en tant qu'analyste politique depuis deux décennies.
les élections mexicaines ne sont pas encore terminées. Et les résultats finaux, quand ils seront connus, détermineront l'une des deux voies très différentes qui présidera au futur de ce pays et aux relations entre les Etats-Unis et le Mexique.
Les événements de la semaine passée ont laissé le Mexique dans le désarroi. Après le scrutin du 2 juillet, les résultats préliminaires ont donné Felipe Calderon gagnant de l'une des courses électorales les plus serrées de l'histoire du Mexique. Lorsque Andres Manuel Lopez Obrador, le candidat du Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD), de centre-gauche, a contesté ces résultats, l'Institut Fédéral Electoral (IFE) a commencé le comptage des voix qui ont déclaré Calderon vainqueur d'un demi-pour-cent.
Mais cette annonce prématurée n'était que le commencement d'un processus qui pourrait prendre des semaines à résoudre. Lopez Obrador a rejeté le compte officiel des bordereaux de dépouillement et a demandé que les urnes soient ouvertes pour un recomptage des bulletins un à un. Le PRD présentera des preuves à la Cour Fédérale Electorale pour appeler à une vérification des résultats électoraux. Pendant ce temps, Calderon, s'est déclaré vainqueur et a commencé à établir l'organigramme de son gouvernement.
Le problème auquel le Mexique est confronté aujourd'hui dépasse de beaucoup la question des technicités légales soulevées dans une élection serrée et chaudement disputée. Les deux candidats offrent des feuilles de route pour l'avenir du Mexique qui changeraient son alignement géopolitique dans une région qui se trouve elle-même à un carrefour.
Il est tentant de voir ce carrefour comme la divergence entre le Nord et le Sud. Pour beaucoup de raisons, cette métaphore géopolitique est juste. À l'intérieur du Mexique, le message de Lopez Obrador, d'éliminer les privilèges des riches et de s'occuper "d'abord des pauvres" plaisaient aux Etats du Sud, où la pauvreté continue d'être une réalité de la vie pour la majorité de la population. Des 16 Etats où le PRD a été officiellement reconnu vainqueur - la moitié du total national, y compris la ville de Mexico - sept sont situé dans le Sud. Calderon, lui, a gagné dans les Etats du Nord, plus riches.
La cassure régionale entre le Nord et le Sud, les riches et les pauvres, reflète la situation globale et définit aussi l'orientation de la politique étrangère épousée par chacun des deux candidats. Calderon défend l'économie libérale de marché et promet un alignement étroit sur les positions du gouvernement étasunien. Aussi bien lui-même que son parti, le Parti d'Action Nationale (PAN), ils ont été critiqués pour pourvoir à ces intérêts. Le président du PAN, Vicente Fox, est allé jusqu'à provoquer une division continentale lors du Sommet des Amériques à Mar del Plata, en novembre dernier, en tentant de forcer une déclaration en faveur du projet étasunien de former une Zone de Libre Echange des Amériques. Sa tentative avortée est passé à deux doigts de causer la rupture avec le Venezuela et l'Argentine et a fait naître des ressentiments qui subsistent toujours.
Bien que Calderon ait déclaré ses intentions de réparer les relations avec l'Amérique Latine, sa politique du marché-libre absolu le positionne entièrement dans le camp des Etats-Unis, à un moment où les voisins du Mexique situés au Sud appellent à des modifications profondes du "Consensus de Washington" - des prescriptions politiques basées sur les principes de la liberté des marchés et la discipline monétaire.
Une indication est son refus de chercher à négocier le volet agricole de l'ALENA, qui libéraliserait totalement le commerce du maïs et des haricots en 2008. Malgré des études prédisant un impact lourdement négatif sur les petits fermiers mexicains, les Etats-Unis ont refusé catégoriquement de rouvrir ce volet. Calderon a annoncé qu'il n'essayerait pas de renégocier, déclarant que, étant donné le contexte politique des Etats-Unis, "Je ne vois pas de grandes possibilités pour le Mexique de sortir gagnant d'une renégociation" et citant des bénéfices pour d'autres secteurs ruraux, selon cet accord.
Lopez Obrador, d'un autre côté, a exigé de renégocier la clause agricole de l'ALENA pour protéger le gagne-pain de trois millions de fermiers. Il a aussi appelé à des programmes gouvernementaux qui ne se reposent pas seulement sur la capacité à concourir sur les marchés internationaux mais aussi à fomenter des productions de subsistance et des marchés locaux et à créer des filets de sécurité sociaux sous la forme de pensions et de services subventionnés pour les pauvres, les personnes âgées et les infirmes.
Sa plate-forme lui a valu l'étiquette de "populiste" de la part des secteurs des affaires internationales au Mexique et aux Etats-Unis. Au Mexique, la communauté des affaires a contribué à la campagne de peur contre Lopez Obrador, dépensant des millions de pesos en publicités mettant sérieusement en garde sur un effondrement économique et une crise sous une présidence de centre-gauche.
Le Département d'Etat des Etats-Unis utilise l'étiquette du populisme pour discréditer des gouvernements démocratiquement élus qui ne sont pas d'accord avec les stratégies économiques et politiques des Etats-Unis dans la région. Bien qu'avant les élections le Département d'Etat ait déclaré qu'il travaillerait avec l'un ou l'autre candidat, ce n'est un secret pour personne qu'une présidence de Calderon, engagée à la "liberté dans les trois marchés : marchandises et services, investissements, main-d'œuvre" serait une bonne nouvelle pour l'administration Bush, alors qu'elle fait face, dans d'autres parties du monde, à des confrontations sur des accords de libre-échange. Mais est-ce une bonne nouvelle pour le Mexique ?
En 12 ans d'ALENA, entre 1,5 et 2 millions de fermiers ont été déplacés à cause des importations de maïs bon marché. Des milliers d'entre eux ont rejoint les rangs des immigrés vers les Etats-Unis. Les scénarios de croissance économique forte et de création d'emplois avec l'intégration économique se sont flétris, tandis que le taux moyen de croissance annuelle a tout juste dépassé 2% et que le chômage a explosé, atténué seulement par le secteur parallèle et les versements des Etats-Unis.
Un demi-million de Mexicains mécontents de cette politique a rempli la place centrale de Mexico le 8 juillet, où Lopez Obrador, se basant sur les nombreuses irrégularités, a dénoncé la fraude électorale et exigé un comptage de tous les bulletins. Dans un pays où, historiquement, la fraude a été la norme plutôt que l'exception, un comptage complet des bulletins est devenu pour beaucoup la mise à l'épreuve de la démocratie. La Cour Fédérale Electorale doit décider dans les prochains jours s'il faut entreprendre ce comptage.
Au milieu de ce maelström à sa frontière sud, le gouvernement américain doit agir avec responsabilité et respect des processus légaux mexicains. Le seul rôle correct des Etats-Unis dans ce désarroi post-électoral complexe est clair : rester en dehors. Cependant, le Président Bush est l'un des seuls quatre chefs d'Etat à avoir appelé Calderon pour le féliciter de sa victoire. Ceci est techniquement une violation du protocole, puisque Calderon n'a pas été certifié président-élu par la Cour Fédérale Electorale - la seule instance autorisée à certifier les élections.
Etant donné que les résultats électoraux ont été légalement contestés, c'est aussi une forme d'ingérence politique. Les médias conservateurs, tant aux Etats-Unis qu'au Mexique, ont cherché à ignorer le processus légal en instance et à présenter Calderon comme le nouveau président-élu. Si le gouvernement étasunien suit cette voie, il violera alors la souveraineté nationale et prendra parti dans une situation délicate, où à la fois la légalité et la confiance publique dans un processus électoral est en jeu.
Traduit de l'anglais [JFG-QuestionsCritiques]