L'Invasion des Flagorneurs Par Maureen Dowd
Publié le 18 novembre 2004, dans le New York Times
WASHINGTON
L'autre soir, je suis allée voir "Périclès" au Shakespeare Theater. Cela se passe dans la Grèce antique : le prince de Tyr est épuisé de voir tous ces lèche-bottes autour de lui. Il décide donc de faire confiance au seul courtisan qui lui a dit de façon intrépide : "Ils flattent le roi pour l'abuser. … Mais la réprimande, soumise et ordonnée, convient aux rois, et puisqu'ils sont humains, ils peuvent se tromper."
Ne pas flatter le roi ? Ecouter les points de vue divergents ? Des dirigeants qui admettent leurs erreurs ?
Tout cela se passait av. D.C (avant Dick Cheney)
Aujourd'hui, au 21 ème siècle, sous le règne du Roi George II, la flatterie est de mise, la contestation est interdite, et ne pas reconnaître ses erreurs est le meilleur moyen pour s'en sortir. Le Président Bush est en train de faire la purge des contestataires qui ont essayé de calmer les ardeurs du fou-dangereux Dick Cheney et des malades-mentaux néoconservateurs, vis à vis de l'Irak. En premier, la foi a été plus forte que les faits. De nos jours, la loyauté est plus forte que la compétence. W., qui veillait au respect de la loyauté au sein de l'administration de son père, le fait maintenant pour la sienne.
Ceux qui ont été promus pour s'occuper de notre sécurité, de notre diplomatie et de nos libertés civiles ont été récompensés de leur plus grande loyauté envers M. Bush et M.Cheney qu'envers la vérité.
Le président et le vice-président sont en train de placer leurs flagorneurs dans les agences avec pour mission d'étouffer la contestation.
La mesure semble étrange, en ce que de toute manière pratiquement personne n'osait être en désaccord avec eux et qu'ils étaient nombreux à accepter de tordre la vérité pour eux. Regardez George Tenet, qui a assuré à M. Bush que le dossier fragile sur les ADM irakiennes était en béton. Et Colin Powell, qui s'est rabaissé à fabriquer le dossier bidon pour essayer d'entraîner l'ONU dans la guerre. Ensuite, lorsque que celui-ci a voulu rester plus longtemps afin d'explorer les ouvertures au Proche-Orient suite à la mort d'Arafat, il a été poussé vers la sortie par un président agacé par l'ambivalence et la popularité du diplomate.
M. Bush préfère les exécutants plus dévoués, comme Alberto Gonzales. Vous voulez faire frire les criminels sur la chaise électrique, torturer les prisonniers ? À vos ordres, chef !
W. et Vice veulent étendre leur contrôle personnel sur les bureaucraties qui, selon eux, auraient gêné leur politique étrangère. Il est alarmant d'apprendre qu'ils considèrent que la politique étrangère de leur premier mandat - une guerre fabriquée et une occupation ratée, la séparation avec nos vieux alliés et les ambitions de prolifération nucléaire en Corée du Nord, en Iran et en Russie - comme ayant été entravée. Une politique étrangère débridée ressemblera donc à quoi ?
La grosse-tête post-électorale a infecté tout le Capitole. Les Républicains de la Chambre, en charge de l'ordre public, ont modifié les règles afin que Tom Delay puisse rester le chef de la majorité même s'il est mis en examen ; Les Républicains du Sénat quant à eux menacent de décréter que les obstructions parlementaires des Démocrates soient excluent de tout ordre du jour.
En 2002, Cheney & Cie ont créé leur propre agence à l'intérieur du Pentagone pour contourner la CIA et faire apparaître comme par magie des preuves sur les ADM irakiennes. À présent, M. Cheney y a envoyé son laquais, Porter Goss, qui l'a aidé dans sa tentative d'étouffer la commission du 11 septembre et à intimider la CIA pour la faire rentrer dans le rang.
En leur faisant prêter des serments éculés et de mauvais augure sur la loyauté, M. Goss a mis en garde les employés de l'agence que leur boulot est de "soutenir dans notre travail le gouvernement et sa politique."
M. Bush ne veut plus qu'il y ait des fuites, comme celle montrant qu'il avait été prévenu, deux mois avant l'invasion de l'Irak, qu'une telle manœuvre pouvait conduire à un violent conflit interne et accroître le soutien aux Islamistes radicaux.
M. Goss s'est débrouillé pour aggraver encore un peu plus le dysfonctionnement de la CIA. Au lieu de pourchasser Al-Qaida, il est occupé à exécuter une purge parmi les hauts fonctionnaires, ceux-là même qui avaient pourchassé Al-Qaida - en les remplaçant par son cercle de militants issus du Capitole.
M. Cheney laisse son ancien mentor, Rummy, à son poste.
Qu'est-ce que cela peut bien faire si la doctrine de Rummy - un déploiement de force dangereusement insuffisant, pas de stratégie de sortie, arrachant aux Affaires Etrangères des forces d'occupation pour ensuite y foutre le bordel - a fait foirer la mission en Irak et laissé l'armée tellement au dépourvu qu'elle est obligée de rappeler des réservistes âgés et décatis au service actif ?
Condi Rice et Stephen Hadley n'ont pas fait leur boulot avant le 11 septembre consistant à coordonner la lutte contre Al-Qaida, et ils n'ont pas leur boulot après le 11 septembre consistant à éviter la débâcle en Irak. Ils ont non seulement détruit les preuves qu'avaient besoin de connaître les Américains pour démystifier le dossier des néocons., forgé de toute pièce pour envahir l'Irak, ils ont aidé à remplir de bobards les discours du président.
Le Dr Rice a tout fait aider le Dr No à monter en épingle ce champignon atomique imaginaire. L'histoire de la vie de Condi est peut-être inspirée. Mais la façon dont elle a récupéré les Affaires Etrangères ne l'est pas.
Non seulement les fonctionnaires de Bush qui ont échoué à protéger le pays et nous ont fourvoyés dans cette guerre ne perdent pas leur emploi.
Ils obtiennent une promotion !
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Traduit de l'américain par Jean-François Goulon