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     La Maison-Blanche des Horreurs
    Par Maureen Dowd
publié le 28 octobre 2004 dans le New York Times

Dick Cheney est en avance. Il reste encore quelques jours avant Halloween.

Cela faisait assez peur de penser que le vice-président avait créé sa propre réalité dans le but de la transformer. Mais s'il croit vraiment que l'Irak est "une réussite remarquable", alors, c'est véritablement sinistre. Il a déjà son personnage pour dimanche : le scientifique fou dans la maison hantée, tripotant des éprouvettes pour forcer le monde à se conformer à sa vision tordue.

Après le 11 septembre, M. Cheney a fait tournoyer sa grande cape noire et s'est accroupi dans son donjon secret, lisant des livres sur la variole et la peste et les pires scénarios terroristes. Son imagination macabre est partie dans tous les sens, et il a entraîné le président mal élu ainsi que le pays devenu nerveux dans sa maison des horreurs, dressant un tableau sanglant de la manière dont l'Irak pourrait laisser tomber des armes épouvantables entre les mains de malfaiteurs.

Il a entraîné brutalement l'Amérique dans la guerre pour éviter ce bain de sang effrayant. Mais dans une volte-face saisissante, l'invasion illégitime de l'Irak par ce gouvernement a laissé tomber des munitions épouvantables entre les mains des malfaiteurs. Il a aussi fabriqué les liens entre Al-Qaida et les Baasistes sunnites que M. Cheney et ses Igor[1] aux yeux de fous du Pentagone ont imaginés pour justifier leur soif de redessiner le Moyen-Orient.

On voit cela souvent dans les films d'horreur : vous jouez à être Dieu pour créer quelque chose à votre image, et le monstre que vous avez engendré finit par se retourner contre vous. Déterminé à causer une grande frayeur dans le monde arabe, le vice-président a abouti à réveiller la nuée d'esprits diaboliques habités par le Djihad qu'il avait conjurés, comme l'apprenti sorcier de "Fantasia". Le Pentagone a raté si lourdement l'occupation que cela a causé une insurrection qui croît à la vitesse du Blob[2] .

De la même manière que Catherine Deneuve avait des hallucinations bizarres dans le chef-d'œuvre de l'épouvante "Répulsion", M. Cheney et les néocons[3] étaient dérangés par une psychose idéologique, obsédés par des armes imaginaires pendant qu'ils permettaient aux ennemis de faire disparaître les vraies.

Les fonctionnaires chargés de nous protéger ont déclenché tellement de fausses alarmes qu'ils ont ignoré toutes les vraies alertes.

Le Président Bush est comme un de ces adolescents parfaitement ignorants dans le film "Vendredi 13", débitant des slogans comme "La liberté est en marche" tandis que Freddy Krueger est dans le placard, prêt à l'écorcher.

M. Bush a ignoré les mises en garde de ses propres experts qui lui disaient qu'Oussama ben Laden planifiait des attaques à l'intérieur des États-Unis, qu'une invasion de l'Irak pourrait créer un partenariat toxique entre des terroristes venus de l'extérieur et les Baasistes et créer un courant de sympathie en leur faveur à travers le monde islamique, que Donald Rumsfeld planifiait une guerre et une occupation avec trop peu de soldats, que les tubes d'aluminium de Saddam n'était pas pour des objectifs nucléaires, que les troupes américaines devraient garder 380 tonnes d'explosifs sous scellés qui pourraient descendre des avions et des immeubles, et que, après l'invasion, l'Irak pourrait éclater dans la guerre civile.

Et bien sûr, le président a ignoré la mise en garde de "la grange aux poteries " émise par Colin Powell : si vous le cassez, vous devez le réparer.

Leur pantin irakien, Iyad Allaoui, s'est retourné cette semaine contre M. Cheney et M. Bush, dans une scène digne de "Chucky". M. Allaoui a accusé les forces de la coalition de "négligence majeure" pour n'avoir pas protégé les stagiaires non-armés de la Garde Nationale Irakienne qui ont été massacrés par des insurgés portant des uniformes de la police irakienne. Les recrues irakiennes se font tuer si vite que nous ne pouvons même pas prétendre que nous allons leur remettre le pays entre leurs mains.

Si vous voulez vraiment avoir des frissons pendant Halloween, écoutez ce que Peter W. Galbraith, un ancien diplomate qui a aidé à faire avancer la cause de l'invasion de l'Irak à la requête de Paul Wolfowitz, a dit dans un article paru hier dans le Boston Globe.

Il a dit qu'il avait parlé à M. Wolfowitz des "conséquences catastrophiques de l'invasion, des pillages incontrôlés de toutes les institutions publiques à Bagdad, de la dévastation de l'héritage culturel irakien, de la colère des Irakiens ordinaires qui ne pourront pas comprendre pourquoi le seule superpuissance mondiale à laissé ceci arriver." Il a dit à M. Wolfowitz que des gangs pillaient des labos de VIH vivants et de virus de la fièvre noire et s'enfuyaient avec des barils de yellowcake [4]. "Même après mon résumé de la situation, les dirigeants du Pentagone n'ont rien fait pour garder les sites nucléaires en sécurité," a-t-il dit.

Dans son article, M. Galbraith a dit que les armes dérobées du site appelé Al Qaaqa pourraient avoir atterri en Iran, qui pourrait évidemment les utiliser pour mettre au point des armes nucléaires. En avril 2003 à Bagdad, a-t-il raconté, il a dit à un jeune lieutenant américain stationné de l'autre côté de la rue que des VIH et des virus de la fièvre noire avaient été dérobés. Le soldat a été horrifié et a répondu, "j'espère que je ne suis pas responsable de cet Armageddon."

Dommage que cela ne soit pas venu à l'esprit du Dr Cheneystein.

E-mail: liberties@nytimes.com

Traduit de l'américain par Jean-François Goulon


[1] Allusion à un des derniers jeux de PlayStation. Ce ludiciel fait découvrir l'atmosphère sinistre qui régnait en Transylvanie au 19ème siècle. Il faut éliminer des hordes de créatures maléfiques et tenter de terrasser Dracula, le loup-garou et Frankenstein (gageons que, dans ce cas, il s'agira à la fois du scientifique fou et de sa créature). On y rencontre aussi divers personnages secondaires, tels qu'Igor, ainsi que toutes sortes de créatures…

[2]Du film de Chuck Russell, Le Blob, monstre qui avale tout sur son passage et croît à une vitesse vertigineuse.

[3] Gardons la contraction américaine, car elle leur va si bien !

[4] Poudre d'oxyde d'uranium.