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crise économique

Alors que la demande mondiale se contracte, le spectre de la déflation pointe son nez

Par Peter S. Goodman
The New York Times, le 31 octobre 2008

article original : "Specter of Deflation Lurks as Global Demand Drops"


L’usine Mansfield à Dongguan, en Chine. La crise économique mondiale menace les emplois industriels
(Agence France-Presse — Getty Images)

Tandis que des douzaines de pays s’enfoncent un peu plus dans la détresse financière, une nouvelle menace pourrait se renforcer au sein de l’économie américaine – la perspective que les biens de consommation s’empilent en attendant de trouver des acheteurs et que les prix chutent, étouffant les nouveaux investissements et aggravant le chômage pendant des mois, voire des années.

Le mot qui décrit cela est la déflation ou la baisse des prix, un terme qui fait frémir les économistes.

La déflation a accompagné la dépression des années trente. Des prix continuellement en baisse étaient au cœur de ce que l’on a appelé la décennie perdue du Japon après l’effondrement catastrophique de sa bulle immobilière à la fin des années 80 – période dans laquelle certains experts voient désormais un parallèle à la situation difficile américaine.

"C’est assurément la vision du risque que je perçois", a déclaré Robert J. Barbera, le chef économiste de la société de recherche commerciale ITG. “C’est la crise à laquelle nous sommes confrontés.”

Avec les économies qui s’affaiblissent dans le monde entier, la demande de pétrole, de cuivre, de céréales et des autres ressources naturelles a diminué, entraînant vers le bas les prix de ces matières premières. Mais les prix doivent encore baisser sensiblement pour la plupart des biens et des services, à une exception notable – les logements. Encore que la réduction de la demande, selon les données du gouvernement [américain], commence à faire baisser les prix de quelques produits, tels que les meubles et la literie, qui sont légèrement plus bas qu’au début de 2007. Les prix de quelques appareils électroménagers, équipements et matériel informatique chutent également.

Il y a encore quelques mois, les décideurs politiques américains s’inquiétaient du problème inverse – la hausse des prix ou inflation – tandis que les coûts du pétrole et de l’alimentation, alors en forte augmentation, se propageaient à l’économie. En juillet dernier, la moyenne des prix était 5,6 % plus élevée qu’un an auparavant – le rythme d’inflation le plus élevé depuis 1991. Mais dès la fin du mois de septembre, l’inflation annuelle était tombée à 4,9 % et l’on s’attendait largement à ce qu’elle se réduise encore.

La nouvelle préoccupation est que dans le pire des cas, la fin de l’inflation pourrait être le début de quelque chose de malveillant : une longue et lente restriction des dépenses dans laquelle les consommateurs et les entreprises dans le monde entier perdent les moyens d’acheter, faisant baisser les prix de nombreux produits. Bien que cela soit toujours considéré comme improbable, cela pousserait les entreprises à ralentir leur production et à accélérer les licenciements, réduisant d’autant les salaires qui alimentent l’économie et affaiblissant encore plus la demande.

Le danger est la difficulté de trouver un remède. Les décideurs politiques peuvent généralement enrayer l’inflation en augmentant les taux d’intérêt, ce qui ralentit l’activité économique et réduit la demande. Mais, ainsi que le Japon en a fait les frais, une économie peut rester prise au piège de la déflation pendant de nombreuses années, même lorsque les taux d’intérêt sont réduits à zéro : la chute des prix rend les entreprises réticentes à investir, même lorsque le crédit est gratuit.

Au cours de la plus grande partie des années 90, les prix de l’immobilier et de nombreux biens de consommation ont constamment chuté au Japon. Tandis que les licenciements augmentaient et que le pouvoir d’achat déclinait, les prix sont tombés encore plus bas, dans une spirale descendante de fortunes allant en diminuant. Si la récession est profonde et prolongée, certains craignent que l’économie américaine puisse sombrer vers un sort similaire, alors que les consommateurs perdent du pouvoir d’achat en même temps que l’Europe, l’Asie et l’Amérique Latine succombent à un ralentissement.

"A ce stade, c’est un risque sérieux", a dit Nouriel Roubini, économiste à la Stern School of Business de l’Université de New York, qui avait prévu la crise économique de façon précoce et qui mettait en garde depuis des mois sur le risque de déflation. "Nous pourrions entrer dans le cercle vicieux d’un malaise qui se creuse".

La plupart des économistes – y compris MM. Roubini et Barbera – dissent que les décideurs politiques américains disposent d’outils pour éviter cette sorte de trou noir déflationniste dans lequel le Japon s’était retrouvé piégé. La dernière fois que les Etats-Unis ont craint la déflation, c’était en 2003, mais la Réserve Fédérale a contré cette menace avec des faibles taux d’intérêt, qui ont maintenu la croissance économique. Cette fois-ci, la Fed fait à nouveau preuve d’agressivité, en abaissant, cette semaine, son objectif à 1 %. Et les divers plans de subvention du gouvernement [américain] ont aussi injecté de l’argent dans l’économie.

"Si vous imprimez suffisamment d’argent, vous pouvez créer de l’inflation", a déclaré Kenneth S. Rogoff, un ancien chef économiste du Fonds Monétaire International, à présent professeur à Harvard.

Mais alors même que les autorités américaines déversent du crédit, la menace s’est intensifiée. Non pas parce que la dépression a vu tant de pays confrontés en même temps à de si nombreux problèmes. La crise financière est devenue mondiale, à la façon d’un virus qui mute face à toutes les cures expérimentales. De la Corée du Sud à l’Islande et au Brésil, la pandémie s’est répandue, amenant avec elle un resserrement du crédit qui a affamé même les compagnies financières en bonne santé. "Nous entrons dans une récession mondiale réellement violente", a dit M. Rogoff. "On a permis à une crise financière considérable de se métamorphoser en une panique mondiale généralisée. C’est une situation très dangereuse. Le danger est qu’au lieu d’avoir quelques mauvaises années, nous allons avoir une nouvelle décennie perdue."

Ces dernières années, la croissance économique mondiale a fleuri, fertilisée en grande partie par de l’investissement à crédit. C’est ce qui a fait pousser des royaumes immobiliers en Floride et en Californie, des aciéries en Ukraine, des abattoirs au Brésil et des centres commerciaux en Turquie.

Cette marée prend à présent un sens inverse. Les banques et les autres institutions financières comptabilisent pour des centaines de milliards de dollars d’investissements désastreux. Tandis qu’elles se débattent pour reconstituer leur capital, elles interrompent les prêts à de nombreux consommateurs et exigent des remboursements rapides auprès de nombreux autres. Elles écoulent leurs actifs – les maisons vendues après saisies, les investissements liés aux prêts hypothécaires et aux sociétés. Ces ventes poussent les prix encore plus vers le bas, réduisant la valeur des actifs qui restent sur leurs bilans, déclenchant, dans certains cas, de nouvelles séries de ventes.

"On a cette boucle de répercussion négative où les actifs continuent de perdre de la valeur", a déclaré M. Barbera. "Pour l’essentiel, on exerce une forte pression vers le bas sur l’économie mondiale."

Lors des crises passées, à l’instar de celles qui ont dévasté le Mexique en 1994 et une grande partie de l’Asie en 1997 et en 1998, les économies faibles ont réussi à se remettre en exportant de façon agressive, entre autre vers les Etats-Unis. Mais cette fois-ci, les consommateurs américains sont très éprouvés. Après des années d’emprunts en mettant des maisons en gage et en exploitants les cartes de crédit, les consommateurs font machine arrière.

De l’Asie à l’Amérique Latine, les exportations se ralentissent et devraient continuer de le faire au fur et à mesure que l’appétit mondial se resserre. Cela engendre la peur que des producteurs majeurs comme la Chine et l’Inde – qui ont massivement étendu leur capacité de production ces dernières années – devront mettre massivement des produits sur les marchés mondiaux, afin de maintenir leurs usines en activité et d’empêcher les licenciements, poussant les prix encore plus bas.

Au début de l’année, certains analystes suggéraient que les entreprises américaines puissent continuer de prospérer, alors même que la consommation intérieure reculait, en vendant sur les marchés étrangers. Les ventes de Caterpillar, le fabricant d’équipements pour la construction, pouvait bien baisser aux Etats-Unis, disait cet argument, mais des énormes projets, de la Russie à Dubaï, nécessitaient des chargeuses frontales. L’Australie et le Brésil avaient besoin d’engins de terrassement pour étendre leurs opérations minières, afin d’accroître leurs exportations de minerai de fer vers les fonderies d’Asie du Nord-Est.

Mais, à présent, l’inquiétude de Caterpillar est aussi grande que les efforts déployés par la planète. "L’année prochaine sera sans aucun doute un défi", a prévenu récemment James W. Owens, le PDG de Caterpillar.

La Chine a longtemps été au centre des affirmations selon lesquelles le monde pouvait continuer de croître indépendamment des problèmes américains. La Chine importait du coton d’Inde et des Etats-Unis, des composants électroniques de Corée du Sud, de Malaisie et de Taiwan, du bois de construction de Russie et d’Afrique et du pétrole du Moyen-Orient.

Mais un grand nombre des produits finis que produit la Chine avec ces matériaux ont atterri au bout du compte aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Lorsque la consommation recule dans ces pays, les usines chinoises en ressentent l’impact, en même temps que leurs fournisseurs de part le monde.

Moins d’ordinateurs portables exportés de Chine impliquent une demande plus faible pour les processeurs. La semaine dernière, la société Toshiba – le plus gros fabricant de processeurs du Japon – a dit qu’elle avait perdu 275 millions de dollars de juillet à septembre, attribuant ses problèmes à la surabondance mondiale. Une demande plus faible pour les écrans-plats de télévision signifie un besoin réduit pour les composants nécessaires à leur fabrication. Ce mois-ci, Samsung, le géant coréen de l’électronique, a dit que la sur-offre mondiale dans cet article a provoqué le plus gros plongeon de ses bénéfices trimestriels en trois ans.

A présent, une surabondance de produits pourrait s’accumuler aux Etats-Unis. Les commandes de camions utilisés par les entreprises se sont effondrées. Les investissements en équipement industriel sont en baisse. Et les stocks augmentent toujours.

"Je m’inquiète d’une économie qui ressemble au Japon", a déclaré Barry P. Bosworth, professeur-associé à la Brookings Institution. "Nous allons devoir nous battre pendant encore plusieurs années pour trouver un moyen de remettre tout ça en ordre de marche."

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]