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EDITORIAL
     Le Jour de la Marmotte
   
New York Times, le 20 novembre 2004

Arrêtez-nous si vous avez entendu celle-là ! Le gouvernement de Bush est en train de créer une fausse urgence à propos de la menace nucléaire d'un certain pays du Moyen-Orient. Les tenants de la ligne dure parlent de liens entre ce pays et les terroristes. Ils caricaturent les initiatives diplomatiques que l'Europe a prises pour désamorcer les tensions comme étant une tentative vouée à l'échec d'apaiser un état voyou dont la parole ne peut jamais être crue de toute manière. Le Secrétaire d'Etat Colin Powell lance des alertes bruyamment inquiétantes à propos de nouveaux renseignements... qui s'avèrent être douteux !

C'est ainsi que le Président Bush, lors de son premier mandat, a précipité le pays dans un conflit inutile avec l'Irak et nous venons de voir, toute cette semaine, les signes inquiétants d'une telle approche vis à vis de l'Iran.

Essayons d'y voir clair : l'Iran a un programme nucléaire actif qu'il n'a pas vraiment essayé de cacher et a été malhonnête dans ses affaires avec l'Occident. Mais nous n'avons rien observé qui puisse suggérer de nouveaux développements en Iran, à traiter d'urgence, et qui devraient inciter les responsables américains à commencer de parler "d'option militaire". En fait, les tous derniers développements ont été encourageants. La semaine dernière, sous la menace d'un délai fixé par les Nations-Unies, et qui se rapproche dangereusement, Téhéran a déclaré qu'il était prêt à geler toute transformation d'uranium et de plutonium et à permettre aux inspecteurs internationaux de revenir.

Cette avancée, résultant des initiatives de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne, a été bien accueillie, et a montré que même les tenants de la ligne dure à Téhéran sont sensibles aux pressions économiques. Si les négociations sur les programmes nucléaires iraniens se passent bien, l'Europe a promis de renouer le dialogue vers un accord commercial préférentiel. Si elles se déroulent mal, alors on passera aux sanctions économiques. Après avoir rencontré le premier ministre britannique Tony Blair, M. Bush a fait tout son possible pour faire l'éloge des initiatives européennes et les soutenir.

Mais mercredi, M. Powell a soudainement émis des propos qui font peur à propos de nouveaux renseignements censés montrer que l'Iran ne travaillait pas seulement à enrichir de l'uranium (un grand pas vers la fabrication d'une bombe) mais travaillait aussi aux moyens de fixer une telle arme sur un missile. Le ton alarmiste de Powell avait quelque chose de déconcertant, puisque tout le monde est déjà d'accord sur le fait que l'Iran a des ambitions nucléaire, et il est difficile d'imaginer un pays désirant posséder une bombe nucléaire sans qu'il explore les moyens de l'utiliser. Le monde sait aussi depuis des années que l'Iran testait des missiles téléguidés.

L'interrogation a tourné à l'alerte hier lorsque le Washington Post a rapporté que les commentaires de M. Powell se basaient sur des informations non vérifiées qui avaient été rapportées aux Etats-Unis par une source encore inconnue dont la fiabilité et l'authenticité doit encore faire l'objet d'une enquête approfondie. Cela nous rappelle certainement quelques vieux souvenirs - de M. Powell assurant au monde que l'Irak développait des armes nucléaires, en se basant sur des rapports farfelus, émanant des services de renseignements, au sujet de tubes d'aluminium.

Steven Weisman du Times a rapporté que les faucons du gouvernement évoquaient aussi des renseignements tout frais à propos du soutien de l'Iran au Hezbollah, ce que le monde sait depuis des décennies, ainsi que le soutien de l'Iran aux insurgés en Irak, une autre veille histoire. Les faucons semblent déjà prêts à commencer à jeter de l'eau froide sur les perspectives d'une solution négociée quant au problème nucléaire iranien, tout en essayant d'ouvrir la porte vers la perspective d'une option militaire. Un responsable au gouvernement a raconté au Times que M. Powell faisait tout pour éviter de rencontrer le ministre des affaires étrangères iranien lors d'une conférence à laquelle assisteront les deux hommes en Egypte, et qui aura lieu la semaine prochaine.

On comprend mieux pourquoi les Européens ont commencé à accuser Washington d'essayer de saper la diplomatie avec l'Iran, exactement de la même manière que l'administration Bush avait concentré ses efforts pour mettre fin aux inspections onusiennes de l'Irak - inspections efficaces, et nous savons maintenant à quel point elles le furent.

L'Iran est depuis longtemps une des cibles des faucons du gouvernement, qui sont sans nul doute en pleine forme depuis la fin des élections. Mais nous espérons que le Président Bush a suffisamment appris de l'aventure irakienne pour comprendre les dangers qu'il y a à utiliser des renseignements fantaisistes pour créer un faux sens de l'urgence sur une menace à la sécurité nationale.

Evidemment, un Iran possédant l'arme nucléaire, dirigé par le genre d'extrémistes actuels qui ont déformé la religion pour soutenir le terrorisme, pourrait être un réel motif d'inquiétude. Mais ici, il n'a pas de solution militaire. Le programme nucléaire iranien, secret et éparpillé, ne peut pas être bombardé et rayé de la carte. Et même si les Etats-Unis n'avaient pas étiré en Irak leurs forces militaires jusqu'à la limite, en envahissant l'Iran - pays de presque 70 millions d'habitants - ils commettraient une erreur catastrophique.

Le gouvernement de Bush a déclaré que stopper la prolifération d'armes nucléaires est en tête de son programme politique. C'est comme ça ! Mais cet objectif ne peut être poursuivi que grâce à une vraie diplomatie internationale, dans laquelle les Etats-Unis travailleraient avec les alliés européens, au lieu d'essayer de les faire capoter ; et, les Européens seraient prêts à se ranger derrière Washington avec une menace crédible de sanctions économiques, à condition qu'elles soient justifiées. Il ne peut pas constituer une excuse pour faire la guerre ou même pour prétendre que la guerre est une option rationnelle.


Traduit de l'anglais (américain) par Jean-François Goulon