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     Laissons les Pères être Pères
    Par Nicholas D. Kristof
The New York Times, le 10 avril 2005

C'est tout simplement une question de survie : partout dans le monde, l'Eglise Catholique manque de prêtres. Aux Etats-Unis, en 1965, il y avait un prêtre pour 800 catholiques, aujourd'hui : un pour 1.400 — et leur âge moyen est de 60 ans. Sur l'ensemble du territoire américain, qui compte 65 millions de Catholiques, seuls 479 prêtres y furent ordonnés en 2002.

Le résultat est que l'Eglise catholique perd du terrain dans le monde entier, au profit des Eglises Evangéliques et surtout Pentecôtistes. Au Brésil, qui compte plus de Catholiques que tout autre pays, les Pentecôtistes progressent si vite qu'ils pourraient dépasser les Catholiques dans les prochaines décennies.

Personne ne comprend mieux les besoins du clergé que les cardinaux eux-mêmes. D'ailleurs, Jean-Paul II a lui-même posé les fondations pour mettre fin aux exigences de célibat.

Peu de gens le réalisent, mais il y a actuellement environ 200 prêtres mariés sous dispense spéciale donnée par le Vatican à des pasteurs d'autres dénominations — Episcopaliens, Luthériens, etc. — qui sont déjà mariés et souhaitent se convertir au Catholicisme Romain (typiquement parce qu'ils sentent que leurs Eglises deviennent déliquescentes en ordonnant des femmes ou des homos).

"En fait, c'est plutôt un non-problème," m'a déclaré le curé de Forth Worth, John Gremmels — l'un de ces prêtres catholiques mariés — à propos de son statut de père.

Le Vatican autorise aussi les Catholiques de rite oriental, à des endroits comme l'Ukraine et la Roumanie, d'avoir des prêtres mariés. Ce la faisait partie d'un accord ancien : ils seraient Catholiques et accepteraient l'autorité du pape, et resteraient en dehors de l'Eglise Orthodoxe, et en échange le mariage serait accordé à leur clergé et il leur serait permis de prononcer les liturgies dans les langues locales.

Les sondages montrent que 70 pour-cent des Catholiques américains pensent que les prêtres devraient avoir le droit de se marier. David Gibson, auteur de "The Coming Catholic Church,", rapporte que le Cardinal Roger Mahony lui a dit qu'il est légitime de soulever cette question et il a ajouté : "Nous avons eu un clergé marié depuis le premier jour, depuis Saint Pierre."

C'est vrai, Saint Pierre, le premier pape, était marié, ainsi que l'étaient nombre d'apôtres et de papes des premiers temps. Mais par la suite, les Catholiques commencèrent à mettre l'accent sur la chasteté, avec Tertullien qui décrivait les femmes comme étant "la porte d'entrée vers le diable."

Origène [1], le grand philosophe chrétien du 3ème siècle, s'est castré lui-même. Et Hugues de Lincoln, un évêque du 12ème siècle, qui fut plus tard canonisé, prétendait qu'un être divin lui avait rendu service en descendant du ciel et en le castrant, et après quoi il s'est senti beaucoup plus en paix.

À partir du Moyen Âge, l'Eglise mit un frein à la corruption et à la tendance des prêtres à léguer des actifs de l'Eglise à leurs fils. Ainsi, aux 11ème et 12ème siècles, les règles du célibat ont été formalisées.

Bien sûr, l'Eglise s'adapte de temps en temps aux cultures locales. C'est en Afrique que le Christianisme est le plus dynamique, mais le clergé africain s'est souvent plaint que l'effort pour attirer des prêtres est entravé par l'importance culturelle d'avoir des enfants. Il y a quelques années, en Afrique centrale, un prêtre italien m'a parlé des enfants d'un curé local. Je pensais qu'il parlait métaphoriquement des paroissiens, mais le missionnaire secoua la tète.

"Non, il a une femme," m'a dit le prêtre à propos de ce curé. "Ici, le célibat va tout simplement à l'encontre de la culture. En fait, si nous trouvons un prêtre qui se contente d'une seule femme, nous le nommons curé."

L'ordination des femmes serait aussi un excellent moyen de procurer de nouvelles sources au clergé. Jean-Paul II a écrit avec force sur la dignité et l'égalité des femmes, prenant même fait et cause pour l'orgasme féminin. L'un de ces successeurs à la charge pontificale appliquera certainement ces préceptes d'égalité à l'Eglise elle-même et permettra l'ordination des femmes. Mais peut-être pas durant la prochaine papauté.

Il est souvent fait remarqué que le Pape Jean-Paul II a choisit tous les cardinaux, à l'exception de trois, qui éliront le prochain pape, mais cela ne veut pas nécessairement dire un autre pape conservateur. Après tout, le Pape Pie XII avait choisit tous les cardinaux, sauf deux, qui élurent en 1958 son successeur, le Pape bien plus ouvert d'esprit Jean XXIII.

Comme mon confrère du Times, Peter Steinfeld, l'écrit dans "A People Adrift" ["Un Peuple à la Dérive"], son livre sur les Catholiques : "Aujourd'hui, l'Eglise Catholique aux Etats-Unis est, soit au bord d'un déclin irréversible, soit à la veille d'une transformation profonde." Confrontée à ce choix, partout dans le monde, perdant du terrain face aux Pentecôtistes, le prochain pape devra choisir la transformation.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon


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[1] C'est Origène qui a structuré la pensée théologique en un système logique et cohérent. Ainsi, la réflexion philosophique pénètre dans le christianisme. Son influence fut décisive, aussi bien dans la théologie grecque que latine et elle marqua aussi la dogmatique, l'exégèse et la spiritualité. Dans le discours de Dieu, Origène apporta de nouvelles formules et de nouvelles images ; l'étude de la Bible devint grâce à lui une véritable science. Ses commentaires et ses homélies furent lus, recopiés et abondamment utilisés, même par ses détracteurs, Jérôme, Ambroise de Milan, Augustin, ces grands exégètes de l'Antiquité qui reprirent de nombreuses idées de leur lointain prédécesseur.

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