Notre Presse Qui n'Est Pas Si Libre Par Nicholas D. Kristof
Publié dans le New York Times le 10 novembre 2004
Appel à la Chine : Aidez-nous !
Faites pression sur le gouvernement américain
pour qu'il respecte la liberté de la presse !Cela semble paradoxal, n'est-ce pas ? En général, ce sont la Chine et le Zimbabwe qui jettent les journalistes en prison, tandis que les Etats-Unis dénoncent la répression qui sévit là-bas.
Mais aujourd'hui, des abus semblables sont sur le point de se dérouler aux Etats-Unis, ils font partie du nouveau climat alarmant d'agression contre la liberté de la presse américaine. Ces derniers mois, trois juges fédéraux différents, tous nommés par Ronald Reagan, ont condamné un total de huit journalistes pour outrage à magistrat parce qu'ils ont refusé de révéler leurs sources confidentielles, et le premier d'entre eux pourrait se retrouver en prison avant la fin de l'année. Quelques-uns uns des autres journalistes pourraient se retrouver en prison d'ici le printemps.
Le premier de ces journalistes qui a toutes les chances d'être jeté en prison s'appelle Jim Taricani, reporter de télévision pour la station de NBC à Providence, dans le Rhode Island. M. Taricani a obtenu et diffusé, en totale illégalité, un enregistrement vidéo d'un fonctionnaire municipal alors qu'il acceptait une enveloppe remplie de billets.
Le juge fédéral des Etats-Unis, Ernest Torres a condamné M. Taricani pour outrage à magistrat parce qu'il refusait d'identifier la personne qui lui avait donné l'enregistrement vidéo, et le juge l'a condamné à une astreinte de 1.000 dollars par jour. Cela n'a pas démonté M. Taricani, alors le Juge Torres a fixé une audience au 18 novembre pour décider éventuellement de faire pression contre lui en le jetant en prison.
Ensuite, il y a Patrick Fitzgerald, le très zélé procureur spécial qui est en quelque sorte l'Inspecteur Javert d'aujourd'hui. M. Fitzgerald n'a pas avancé dans sa poursuite des fonctionnaires de la Maison-Blanche soupçonnés d'avoir révélé l'identité de l'officier de la CIA, Valerie Plame, à Robert Novak. Mais M. Fitzgerald semble déterminé à mettre en prison deux journalistes qui n'ont commis aucun crime, Judith Miller du New York Times et Matthew Cooper de Time, parce qu'ils ne veulent pas jacasser sur leurs sources confidentielles.
Le juge fédéral, Thomas Hogan, menace de les envoyer en prison ; une audience est fixée pour le 8 décembre. En ce qui concerne M. Novak, il ne semble pas en danger, pour des raisons qui restent obscures.
Et puis il y a une troisième affaire, un procès au civil entre le scientifique nucléaire Wen Ho Lee et le gouvernement. Le Juge Thomas Penfield Jackson a condamné cinq journalistes qui ne sont même pas parties de ce procès au civil pour outrage à magistrat parce qu'ils refusent de révéler leurs sources confidentielles.
Et encore dans une autre affaire, le Ministère de la Justice soutient les efforts d'un procureur pour obtenir la liste des appels téléphoniques passés par deux journalistes du New York Times - révélant ainsi toutes leurs sources confidentielles de l'automne 2001. Mettons ceci bout à bout et nous constaterons une agression massive de la liberté de la presse qui nous scandaliserait si cela se passait au Kazakhstan.
La responsabilité vient surtout des juges plutôt que de l'administration Bush, sauf pour la demande de liste d'appels téléphoniques et pour la nomination de " l'Inspecteur Javert " en tant que procureur spécial. Mais ce n'est probablement pas une coïncidence que nous observions une offensive contre les libertés de la presse sous un gouvernement qui a des fondamentaux Brejnéviens en ce qui concerne le secret.
Nous, les journalistes, sommes dans ce foutoir, en partie parce que nous sommes considérés comme étant arrogants et manquant d'objectivité, et nous devons nous battre sérieusement sur ces questions. Mais lorsque les reporters font face à la prison pour avoir fait leur travail, la victime ultime est la libre circulation de l'information, l'appareil circulatoire de toute démocratie.
Le gouvernement chinois a arrêté récemment Zhao Yan, un assistant de recherche pour le New York Times à Pékin, et l'administration Bush a beaucoup aidé à protester contre cette affaire. Peut-être que Colin Powell peut mettre au point un deal : Le gouvernement chinois cessera d'emprisonner des journalistes si le gouvernement américain fait la même chose.
Protéger les sources confidentielles est un précepte éthique sacré de l'édition depuis que John Twyn fut arrêté en 1663 pour avoir imprimé un livre qui offensait le roi. Twyn refusa de révéler le nom de l'auteur de cet ouvrage, et il fut alors castré et éviscéré en place publique, et ses membres furent arrachés de son corps. Chaque partie de son corps fut clouée sur une porte ou un pont de Londres. Donc, pour voir les choses du bon côté, nous avons manifestement progressé.
En mai dernier, la police secrète iranienne m'a détenu à Téhéran et a exigé que j'identifie un gardien de la révolution que j'avais cité disant " que les mollahs aillent en enfer. " Mes interrogateurs me menacèrent de m'emprisonner à moins que je ne révèle mes sources. Mais au bout d'une impasse, les bouffons iraniens m'ont laissé partir. Emprisonner des journalistes occidentaux au prétexte qu'ils protègent leurs sources était par trop médiéval, même pour eux. Espérons que le système judiciaire américain montrera la même retenue que ces voyous iraniens.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon