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     La Gifle
    Par Nicholas D. Kristof
The New York Times, le 12 avril 2005

Jim Taricani, un reporter de télévision pour une station de NBC, a été libéré le week-end dernier après quatre mois passés en maison d'arrêt pour avoir refusé de révéler ses sources. Et Judith Miller, du New York Times, ainsi que Matthew Cooper de Time Magazine ont été condamné jusqu'à 18 mois de prison ferme, bien qu'ils restent en liberté jusqu'au procès en appel, pour le fait de protéger leurs sources.

Bref, le climat en ce qui concerne la liberté de la presse aux Etats-Unis a l'air plus inquiétant qu'il ne l'a été pendant des décennies. Une réponse appropriée est de protester avec véhémence et de chercher à faire passer une loi fédérale de protection pour les journalistes. Mais il est aussi vital pour nous de réfléchir pourquoi cela arrive maintenant - et une des raisons principales, je crois, est que nous, dans les médias d'information, sommes largement perçus comme arrogants, hors coup et indignes de confiance.

Les juges ne prennent pas leurs décisions en se basant sur le sentiment du public, mais leurs décisions reflètent les valeurs de leur société. Et dans notre société, le soutien public aux médias d'informations n'a fait que s'évaporer.

Un rapport récent émanant du Pew Research Center, "Tendances 2005", est douloureux à lire. Ce rapport dit que 45% des Américains croient peu ou pas du tout ce qu'ils lisent dans leurs journaux, ils n'étaient que 16% il y a vingt ans dans ce cas-là.

Dans cette sorte d'environnement, il n'est pas surprenant que les journalistes soient conduits en prison. A travers l'histoire, le filet de sécurité pour les journalistes américains n'a pas été tellement le Premier Amendement - c'est plutôt l'approbation du rôle de la presse par le public. L'approbation publique est notre système de survie, et il est aujourd'hui en danger.

Depuis 1973, le National Opinion Research Center a mesuré la confiance du public dans 13 institutions, dont la presse. Toutes les autres institutions ont en général gardé une bonne dose de respect public, mais la confiance dans la presse a chuté sérieusement depuis 1990.

Nous autres, dans la presse, avons tendance à nous mettre sur la défensive au sujet de notre crédibilité chancelante. Nous protestons en disant que nous sommes les boucs émissaires de démagogues partisans, surtout à droite, et je pense que cela est vrai. Mais la méfiance pour les médias d'information, même si elle est injuste, est la nouvelle réalité - et il va nous falloir travailler dur, plus dur pour regagner notre crédibilité auprès du public.

En tout cas, de nos jours, ce ne sont pas seulement les sympathisants de droite qui se méfient des médias. Le Pew Research Center a découvert que, tandis que seuls 14% des Républicains croient tout ou presque ce qu'ils lisent dans le New York Times, même parmi les Démocrates ce chiffre est seulement de 31%. D'autres organismes de presse parmi les plus importants sont confrontés au même problème. La chaîne Fox News est considérée crédible par moins d'un tiers des Républicains - et encore par un plus petit nombre de Démocrates. Vraiment, il est rare qu'un organisme de presse ait la confiance de plus d'un tiers des gens (quel que soit leur parti). La seule chose sur laquelle les Démocrates et les Républicains sont d'accord : les médias d'information ne sont pas dignes de confiance.

Je ne vois pas de solutions faciles, mais la presse écrite, la radio et la télévision ont toutes besoin de prendre des mesures bien plus hardies pour se "reconnecter" avec le public.

Une plus grande ouverture, une meilleure volonté à publier les rectificatifs, plus de médiateurs, une plus grande reconnaissance de nos erreurs - voilà les sortes de mesures sont déjà en court et qui devraient être accélérées. Cela aiderait si les organismes de presse s'engageaient plus profondément auprès du public pour expliquer qui ils sont et comment ils fonctionnent, avec des présentateurs ou des rédacteurs qui conduiraient les lecteurs à travers les terrains minés comme par exemple pourquoi nous choisissons d'appeler telle personne un "terroriste" ou comment nous brandissons des termes tels que "anti-avortement" ou "favorable à l'avortement".

Nous avons aussi besoin de plus de salles de rédaction diversifiées. Lorsque l'Amérique était secouée par les émeutes raciales à la fin des années 60, les principaux organes d'information réalisèrent trop tard que leur manquement à embaucher des journalistes noirs avait affecté leur capacité à couvrir l'Amérique. De la même manière, notre manquement à embaucher des évangélistes d'états conservateurs limite notre compréhension pour, et notre capacité à, couvrir l'Amérique d'aujourd'hui.

Je pense que nous sommes fous de ne pas réguler les armes à feu plus strictement, mais je pense aussi que les propriétaires d'armes à feu ont raison lorsqu'ils se plaignent que les sujets sur ces armes semblent souvent couverts par des gens qui ne savent pas faire la différence entre un calibre 12 et un AR-15 (fusil d'assaut).

Si un seul mot peut rendre de que le public ressent vis-à-vis des journalistes américains, j'ai bien peur que ce soit "arrogant". Sans surprise, je pense que cette accusation est grossièrement injuste. Mais il est impératif que nous répondions à cette accusation - pas en l'occultant, mais en travaillant avec beaucoup plus de diligence pour nous reconnecter avec le public.

A moins de pouvoir retrouver la confiance du public, nos protestations à propos des journalistes qui vont en prison passeront pour des jérémiades intéressées. Et nous nous réveillerons un jour pour nous retrouver du mauvais côté de l'histoire.

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon


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