accueil > archives > éditos


     L'Apocalypse Est (Presque) Là
    Par Nicholas D. Kristof
New York Times 24 novembre 2004

Si la gauche américaine laïque pense que c'est dur pour elle en ce moment, qu'elle attende seulement la Deuxième Venue [du Christ].

La série "Left Behind", les romans best-sellers pour adultes aux Etats-Unis, décrivent avec enthousiasme Jésus revenant sur terre pour massacrer tous ceux qui ne sont pas convertis au Christianisme. Dans le monde, les Hindous, les Musulmans, les Juifs et les agnostiques, avec beaucoup de Catholiques et d'unitariens, sont jetés dans un feu éternel : "Jésus a simplement levé la main de quelques centimètres et… ils tombèrent dedans, en hurlant et en criant."

Ça alors ! Quelle scène tonique!

Si les Saoudiens écrivaient une version islamique de cette série, nous exigerions avec acharnement que les Musulmans intelligents répudient une telle incitation à la haine. Nous devrions nous en tenir au mêmes normes.

Tim LaHaye et Jerry Jenkins, les co-auteurs de la série, m'ont tous deux envoyé un courriel (suite à mon article de juillet sur la série "Left Behind") pour protester que leurs livres ne "célèbrent" pas le massacre des non-chrétiens mais présentent simplement la douloureuse réalité de la Sainte Écriture. "Nous ne pouvons pas l'interpréter autrement juste parce que cela ressemble à une exclusion et que ce n'est pas politiquement correct," a déclaré M. Jenkins dans son courriel. "Ceci est notre épreuve, un message agressif et diviseur à une époque de pluralité et de tolérance."

Que suis-je bête ! J'avais oublié le passage de la Bible dans lequel Jésus a l'intention de rôtir tout le monde, des bons Samaritains à Gandhi, dans un feu éternel, simplement parce qu'ils n'étaient pas des Chrétiens convertis.

J'accorde à MM. Jenkins et LaHaye le fait qu'ils soient sincères. (Ils basent leurs conclusions sur Jean 3.) Mais je me suis assis dans des Mosquées pakistanaises et iraquiennes avec des Musulmans fondamentalistes, et ils ont émis la même défense : ils se contentent d'appliquer les mots de Dieu.

Maintenant, j'ai souvent écrit que les habitants des états à majorité démocrate devraient être moins condescendants à l'égard des Chrétiens fondamentalistes, et je réalise que cette colonne risque de paraître plutôt prétentieuse. Mais si je fais l'éloge du bon travail des évangélistes — comme leurs merveilleux efforts pour venir au secours du Darfour - je condamne aussi ce que je perçois comme étant de la bigoterie. Un dialogue sur de la foi doit se dérouler au-delà des tabous et discuter franchement des différences. C'est ce que les gens des états Démocrates et des états Républicains doivent faire à propos de la religion et des livres de la série "Left Behind".

Pour commencer, cela vaut la peine de faire remarquer que ceux qui prédisent une apocalypse ont un long passé foireux. En Amérique, des milliers d'adeptes de William Miller ont attendu avec impatience la réapparition de Jésus le 22 octobre 1844. Certains de ces "Milleriens" s'étaient débarrassés de tous leurs biens, et la non-réapparition fut appelée la Grande Déception.

Plus récemment, le best-seller non-fictionnel des années 1970 fut "L'agonie de notre vieille planète - vue d'ensemble des prophéties extraordinaires concernant notre génération" de Hal Lindsey, qui a vendu 18 millions de copies à travers le monde avec ses prédictions d'une Deuxième Venue. Puis, un des plus chauds best-sellers de 1988 fut la brochure "88 raisons pourquoi le ravissement aura lieu en 1988". Oh là là !

Se tromper a rarement été aussi lucratif.

À présent, nous avons l'empire financier "Left Behind" extrêmement rentable, dont le site web déclare platement que les auteurs "pensent que cette génération sera témoin de la fin de l'histoire". Le site vend toutes sortes de produits dérivés "Left Behind" imaginables, dont des économiseurs d'écran, des prophéties envoyées régulièrement sur votre téléphone mobile, des versions pour enfants de leurs livres, des livres audio, des romans illustrés, des vidéos, des calendriers, de la musique et un abonnement à un club de prophéties pour 6,50 dollars par mois. Cela n'est pas de la religion, c'est de la gestion de marque.

Si MM. LaHaye et Jenkins croyaient honnêtement que la fin du monde est imminente, pourquoi ne renonceraient-ils pas à leur royalties ? Pourquoi n'utiliseraient-ils pas leurs millions de dollars de profits pour aider les pauvres - et augmenter ainsi leurs propres chances d'accéder au paradis ?

M. Jenkins m'a déclaré qu'il donne de 20 à 40% de ses revenus à des œuvres de bienfaisance, et c'est très louable. Mais il reste encore des millions qui viennent de là. MM. LaHaye et Jenkins devraient passer moins de temps à se prendre la tête sur des passages obscurs du Livre des Révélations et plus de temps sur le langage simple et direct de Matthieu 6 :19 :"Ne gardez pas pour vous les trésors sur terre". Ou dans Matthieu 19 :21, où Jésus avise un homme riche : "Vendez vos biens et donnez l'argent aux pauvres… Ce sera difficile pour un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux".

Alors je propose un pari aux auteurs : dans l'éventualité que l'Apocalypse arrive dans les 10 prochaines années, je donne 500 dollars pour la bataille contre l'Antéchrist ; si cela n'arrive pas, vous donnerez 500 dollars pour une œuvre de bienfaisance que je choisirai et qui combat la pauvreté - et la bigoterie.

Alors, Messieurs ! Avons-nous un deal ?

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon