Pas de Capitulation !
    Par Paul Krugman
Publié dans le New York Times le 5 novembre 2004

Le Président Bush n'est pas un conservateur. C'est un radical - le chef d'une coalition qui déteste profondément l'Amérique telle qu'elle est. Une partie de cette coalition veut démolir l'héritage de Franklin Roosevelt, vider de son contenu l'Aide Sociale et, à la fin, l'assistance médicale aux personnes âgées. Une autre partie veut éradiquer les barrières entre l'Eglise et l'Etat. Et grâce à la participation écrasante des Chrétiens évangélistes, M. Bush bénéficie de quatre années supplémentaires pour faire avancer son programme.

Les Démocrates se sont désormais engagés, ce que l'on comprend, dans leur autocritique. Mais alors qu'il est OK de penser que les choses sont terminées, ceux qui abhorrent la direction que fait prendre M. Bush au pays doivent maintenir leur ferveur ; ils ne doivent pas succomber au défaitisme. Cette élection n'a pas prouvé que l'ont ne peut pas battre les Républicains. M. Bush n'a pas remporté une victoire écrasante. Sans l'aura du 11 septembre, s'estompant mais toujours forte, où la nation était prête à se rallier à n'importe quel leader, il n'aurait jamais gagné. Et des événements futurs offriront très certainement des occasions pour un retour des Démocrates.

Je ne souhaite pas de nouveaux et pires scandales et échecs durant le second mandat de M. Bush, mais je m'y attends. La résurgence d'Al-Quaida, la débâcle en Irak, l'explosion du déficit budgétaire et l'échec à créer des emplois ne sont pas des choses qui sont arrivées par hasard pendant le tour de garde de M. Bush. Ce sont les conséquences de mauvaises politiques conçues par des personnes dont l'idéologie dénie la réalité.

Ces personnes ont toujours l'oreille de M. Bush, et sa victoire électorale ne fera que leur donner l'assurance nécessaire pour commettre des erreurs encore plus grandes.

Alors, que devraient faire les Démocrates ?

Un courant du parti appelle déjà les Démocrates à se différencier des Républicains. Ou du moins, c'est ce que je pense. Al From, du Comité Directeur Démocrate est sérieux quand il dit : " Nous devons combler la différence culturelle. " Mais c'est une proposition perdante.

Oui, les Démocrates doivent dire clairement qu'ils soutiennent la vertu individuelle, qu'ils apprécient la fidélité, la responsabilité, l'honnêteté et la foi. Ce ne devrait pas être trop difficile à démontrer : les Démocrates peuvent être d'aussi fidèles époux et bons parents que les Républicains, et les Républicains peuvent être comme les Démocrates adultères, joueurs ou usagers de drogues. L'état du Massachusetts a le plus bas taux de divorce du pays ; les états bleus [Démocrates], en général, ont des taux plus faibles de naissance hors mariage que les états rouges [Républicains].

Mais les Démocrates n'obtiendront pas le soutien des ceux dont le vote est motivé, par-dessus tout, par leur opposition à l'avortement ou aux droits des homosexuels (et, en ligne de fond, par leur opposition aux droits des minorités). Tous ce qu'ils réussiront à faire s'ils essayent de satisfaire l'intolérance est de s'aliéner leur propre base.

Cela veut-il dire que les Démocrates sont condamnés à un statu minoritaire permanent ? Non. La droite religieuse - à ne pas confondre avec les Américains religieux en général - n'est pas une majorité, ou même une minorité dominante. Ils ne sont qu'un bloc d'électeurs, que le Parti Républicain a appris à mobiliser sur des questions subalternes comme le débat de cette année qui s'est polarisé sur le mariage gay.

Plutôt que de satisfaire les électeurs qui ne les soutiendront jamais, les Démocrates - qui se débrouillent pas mal pour obtenir les suffrages des modérés et des indépendants - doivent être aussi efficaces pour mobiliser leur propre base.

En fait, ils ont fait de bons progrès, en montrant beaucoup plus d'unité et d'intensité qu'on aurait pu le penser il y a un an. Et sans l'aura persistante du 11 septembre, ils auraient gagné.

Ce qu'ils ont besoin de faire, maintenant, c'est de développer un programme politique destiné à maintenir et à renforcer leur ferveur. Cela veut dire fixer des objectifs réalistes mais cruciaux pour l'année prochaine.

Les Démocrates ne devraient pas céder à M. Bush lorsqu'il essaye de nommer des juges hautement partisans - même si les efforts pour bloquer une mauvaise nomination échouent, cela montrera ou supporters que le parti signifie quelque chose. Ils devraient se préparer pour tenter de reprendre le Sénat ou du moins ouvrir une brèche importante dans l'avance Républicaine. Ils devraient continuer à mettre la pression sur M. Bush lorsqu'il prend des décisions politiques épouvantables, ce qu'il fera.

Il n'y a pas de problème à prendre quelques semaines pour y penser. (Avis aux lecteurs : Je vais faire une pause prévue depuis longtemps pour travailler sur un manuel d'économie. Je reviendrai en janvier.) Mais les Démocrates ne doivent pas laisser tomber le combat. Ce qui est en jeu n'est pas seulement le sort de leur parti, mais le sort de l'Amérique telle que nous la connaissons.

E-mail: krugman@nytimes.com

Traduit de l'américain par Jean-François Goulon