![]() |
La foi en l'Amérique | |
Par Paul Krugman publié le 2 novembre 2004 dans le New York Times |
Le scrutin avancé de la Floride était destiné à rendre le vote plus facile, mais une quantité énorme d'électeurs a véritablement inondé les bureaux de vote qui étaient en nombre limité. Sur tout le week-end, des gens dans certains bureau de vote ont dû faire la queue pendant quatre, cinq ou six heures, bien souvent sous un soleil brûlant. Certains d'entre eux - surtout des Afro-Américains - ont sûrement suspecté que ces queues étaient si longues parce que les officiels voulaient que ce soit difficile pour eux de voter. Pourtant ils ont refusé de se laisser décourager ou intimider.
Voici ce qu'un correspondant en Floride a écrit à Joshua Marshall, de talkingpointsmemo.com : "Voir les gens sortir - des vieux, des handicapés, des aveugles, des pauvres ; des gens qui ont dû faire du stop, prendre des bus, etc. - et qui ont ensuite dû faire la queue pendant des heures et des heures… Eh bien, c'est humiliant. Et c'est redoutable. Et c'est aussi très beau."
Oui c'est vrai. Je me sens toujours un peu nerveux quand je me rends à l'école du coin pour exprimer mon vote. L'humilité de l'environnement met en valeur la majesté du processus : c'est la démocratie, le magnifique cadeau de l'Amérique au monde, en action.
Mais ces derniers jours j'ai vu des images de la Floride qui sont encore plus majestueuses. Elle montrent des longues files d'électeurs, serpentant à travers les immeubles et sur les trottoirs : des citoyens attendant patiemment d'accomplir leur devoir électoral. Ces gens croient encore en la démocratie américaine, et parce que c'est leur cas, c'est aussi le mien.
En vérité, je ne savais pas trop ce qui allait se passer en Floride cette année. Après tout ce qui s'est mal passé avec le vote dans cet état, il semblait plus que possible que de nombreuses personnes laissent tout simplement tomber et restent à la maison.
Mais il est déjà clair que le peuple de Floride - et, je crois, l'Amérique dans son ensemble - a refusé de céder au cynisme et à la désinformation.
Loin d'être découragés par ce qui s'est produit en 2000, ils semblent réaliser plus que jamais - et mieux que ceux d'entre nous qui sommes des bourgeois de gauche - quelle chose vraiment précieuse est le droit de vote. Et ils sont déterminés à exercer ce droit.
Et ce n'est pas seulement la Floride. Des histoires semblables se passent dans tout le pays, partout où le vote avancé est permis : dans tous ces endroits, une quantité phénoménale d'électeurs se déplacent pour voter, déterminés à exercer leurs droits démocratiques.
Bien sûr, la plupart des Américains n'auront pas la chance de voter avant aujourd'hui, mais je n'ai aucun doute qu'ils se déplaceront en nombre record. Je ne crois pas que la pluie qui recouvrira certaines parties du territoire les en dissuadera. Quelle que soit leur opinion politique, la plupart des Américains comprennent que cette élection est cruciale, et que jamais auparavant leur vote n'à été aussi important pour le destin de la nation.
Les commentateurs à la télé formuleront à n'en pas douter tout ceci dans des termes partisans : un taux de participation faible favorisant tel parti, un taux élevé favorisant tel autre. C'est assez vrai ! Mais ce n'est pas un jeu à somme nulle : plus il y a de gens qui votent, plus notre démocratie est vivante.
En allant voter, les citoyens votent littéralement pour la confiance en la démocratie américaine. Et en agissant ainsi, ils prouvent qu'ils sont plus sages que certains de ceux qu'ils ont élus.
Ceux qui nous gouvernent semblent avoir appris bien peu de la débâcle électorale de l'an 2000 : les machines à voter ne sont toujours pas fiables, les fonctionnaires électoraux sont toujours des partisans indécrottables.
Mais le public donne l'impression d'avoir appris une leçon. Au lieu d'être devenus cyniques, les gens semblent être devenus motivés. Après une élection dans laquelle quelques centaines de voix ont déterminé le sort de la nation, après quatre années d'un gouvernement qui a prouvé, pour le meilleur comme pour le pire, qu'il importe énormément de savoir qui devient le président, les citoyens savent que leurs votes comptent. Et ils sont déterminés à voter.
Qu'arrivera-t-il lorsqu'ils voteront ? Je ne sais pas ; ni d'ailleurs personne d'autre ne le sait. C'est ainsi que la démocratie fonctionne.
Mes lecteurs réguliers n'auront aucun doute sur celui que je souhaite voir gagner, bien que les règles du New York Times m'interdisent de donner un soutien explicite. (Un tuyau : c'est le camp à qui profite une large participation.) En fait, par dessus tout, je veux voir le bien-fondé de la démocratie, et la tache de l'an 2000 effacée, grâce à une élection honnête dans laquelle autant de gens que possible se déplacent pour aller voter, et que ces votes soient bien comptés.
Et toutes les évidences montrent que c'est ce que les Américains veulent aussi. Que nous soyons tous exaucés !
E-mail: krugman@nytimes.com
Traduit de l'américain par Jean-François Goulon