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     Pourquoi les néocons américains veulent avoir la peau de Kofi Annan
    Par Robin Cook
The Guardian, vendredi 1er avril 2005

"Les Etats-Unis sont déterminés à faire dérailler les réformes progressistes du secrétaire général."


Le débat sur le Darfour au conseil de sécurité de la nuit dernière est un rappel salutaire que le seul espoir pour les peuples abandonnés de leurs gouvernements réside dans une communauté internationale efficace.

Ce fut un gouvernement travailliste qui accueillit dans le Londres d'après-guerre la conférence qui donna naissance à l'Organisation des Nations Unies. Aujourd'hui, le gouvernement travailliste actuel a l'occasion de la moderniser en relevant le défi que représente le projet de Kofi Annan : Une O.N.U. pour le 21ème siècle.

À l'époque où L'O.N.U. fut fondée, la plupart de ses membres actuels n'étaient pas encore des états indépendants - et encore moins des nations industrialisées. Les membres permanents s'y retrouvèrent car ils étaient, pour la plupart, les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. À ce jour, l'Allemagne et le Japon n'ont jamais surmonté leur exclusion initiale en tant que vaincus, et les nouveaux géants industriels que sont le Brésil ou l'Inde restent dans la salle d'attente.

Pas un seul membre permanent ne représente le monde musulman, bien que la nécessité de développer une relation positive et tolérante entre l'Ouest et l'Islam soit une des questions les plus pressantes de notre temps. La solution évidente est que soit accordé à l'Egypte ou à l'Indonésie l'un des quatre sièges que le "package" Annan propose pour l'Afrique et l'Asie.

Les nouveaux membres permanents ne disposeront pas du droit de veto, ce qui amène à la question suivante : qu'advient-il du droit de veto des cinq membres permanents actuels ?

En vérité, le droit de veto britannique est déjà un vestige.
Lorsque je suis allé pour la première fois à l'ONU, j'ai causé la consternation en demandant quand avions-nous utilisé le veto britannique pour la dernière fois. Après avoir passé de nombreux coups de fil à des diplomates à la retraite, il fut établi que nous avions utilisé notre veto une douzaine d'année auparavant, bizarrement sur un sujet en relation avec le Canal de Panama. Toutefois, je n'ai jamais trouvé quiconque pouvant se rappeler au juste ce qui avait été si important au Panama qui méritât le veto britannique.

Pour les Américains, le problème est que leur droit de veto à l'ONU occupe le même rôle talismanique que notre droit de veto dans l'Union Européenne. Le meilleur espoir est que les cinq membres permanents actuels prennent l'engagement plein d'abnégation qu'ils n'utiliseront leur droit de veto que sur des sujets d'intérêt national immédiat. La Grande-Bretagne pourrait donner l'exemple en faisant une telle déclaration unilatérale, ce qui ne devrait pas être trop difficile puisque, désormais, nous n'utilisons pas notre droit de veto du tout.

Le conseil économique et social des Nations-Unies n'a jamais accédé au même statut que le conseil de sécurité.

Le rapport Annan fait remarquer de façon convaincante la perversité de ce déséquilibre. En effet, les conflits violents, qui trouvent leurs racines dans l'échec à promouvoir un développement pacifique, occupent une grande partie du programme du conseil de sécurité.

La part d'autorité qui fait défaut au conseil économique et social des Nations-Unies est à l'origine de la défaillance de coordination entre les agences de l'ONU qui se font concurrence dans ce domaine. Ceci témoigne de manière frappante de la difficulté qu'ont les Nations-Unies à exercer le leadership en matière de développement. Et il est rarement mentionné, suite à la controverse créée par la nomination de Paul Wolfowitz, que la Banque Mondiale est techniquement un corps des Nations-Unies. Personne ne demande qu'il soit accordé à Kofi Annan un droit de veto sur la nomination de Wolfowitz, mais il ne semble pas déraisonnable d'exiger une meilleure coordination centrale pour que la Banque Mondiale cesse de poursuivre des politiques néolibérales qui entrent en conflit flagrant avec les programmes de développement des autres agences.

Ceci nous amène à l'obstacle en béton armé qui se dresse en travers des réformes d'Annan.

Le monde est confronté au choix entre deux modèles concurrents de gouvernement mondial.

La direction indiquée par Kofi Annan est de régénérer l'ONU en la dotant d'une nouvelle autorité pour prendre les décisions collectives. Cependant, il ne peut y avoir de prise de décision collective que si ceux qui y prennent part y disposent d'une large équivalence. Et voilà le hic : Les néocons qui dirigent l'administration américaine veulent la suprématie, pas l'égalité. Pour l'Amérique, ils rêvent d'un modèle alternatif de gouvernement global dans lequel le monde est organisé, non pas par le processus fastidieux de la construction d'un consensus international, mais par l'exercice pur et simple de la puissance des Etats-Unis.

Il existe des façons pour afficher cette puissance plus subtilement qu'en envoyant un vaisseau aérien. Dans les six derniers mois, l'influence [des néoconservateurs] s'est déployée dans la presse lourde pour descendre Kofi Annan, épaulé fidèlement en cela par des organes de droite de la presse britannique - honte à eux !.

Il y a une hypocrisie à couper le souffle dans l'accusation contre Kofi Annan à propos du programme pétrole contre nourriture pour l'Irak. Ce fut les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui conçurent ce programme, piloté par des résolutions des Nations-Unies qui lui conféraient l'autorité. C'était eux qui siégeaient au comité chargé de l'administrer, et encore eux qui conduisaient le blocus pour le faire respecter. Je le sais, parce que lorsque j'étais au Foreign Office j'ai passé une grande partie de mon temps à essayer de faire réussir ce programme. S'il y a eu des problèmes, alors Washington et Londres devraient se retrouver sur le banc des accusés avec Kofi Annan, qui avait la malchance d'être secrétaire général à l'époque des faits.

Il y a un niveau encore plus profond de perversité dans le dénigrement de Annan orchestré par la droite américaine. [Les néocons] réclament depuis longtemps la réforme de l'ONU et Kofi Annan vient juste de proposer la restructuration de l'ONU la plus aboutie de son histoire. De plus, il est le secrétaire général qui a le plus de chance de fédérer son soutien. S'ils persistent à le dénigrer, ils auront toutes les chances de faire dérailler son paquet de réformes. Ils sont soupçonnés de préférer une ONU déliquescente et inefficace, qu'ils pourraient contempler comme un jeu de massacre, à un forum moderne et représentatif, qui les obligerait à respecter les décisions collectives.

La sélection excentrique de John Bolton comme ambassadeur de Bush à l'ONU est cohérente avec une telle stratégie de sabotage plutôt que de réforme. Son hostilité à toute contrainte à l'unilatéralisme américain est si profonde, (et sa vie si triste), qu'il a décrit son "moment le plus joyeux" comme étant celui où il a signé la lettre adressée à Kofi Annan pour lui signifier que les Etats-Unis n'auraient rien à voir avec la cour pénale internationale. Le plaisir évident qu'il a tiré de ce geste est très révélateur, car cette question n'était pas dans les attributions de son job, et il a plaidé, comme une faveur spéciale, pour être autorisé à signer.

Ironiquement la première confrontation à laquelle les Etats-Unis ont dû faire face depuis sa nomination a été le vote de la nuit dernière sur la proposition de déférer les crimes de guerre commis au Darfour à la cour pénale internationale. Le problème pour les unilatéralistes de Washington avec leur tentative de stopper cette proposition est que la brutalité et le génocide au Darfour est un cas classique où pour faire respecter la loi internationale il faut un processus multilatéral.

À son crédit, le gouvernement britannique a fait savoir depuis longtemps qu'ils soutiendraient la résolution française évoquant la cour pénale, sans tenir compte de ce que font les Etats-Unis. Une telle position est la bienvenue, non seulement en tant que bonne politique pour le Darfour, mais comme démonstration que la Grande-Bretagne soutient le modèle d'Annan pour un système moderne et multilatéral de gouvernement global, et cette fois-ci, du moins, elle a décliné à accepter la suprématie des Etats-Unis.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon


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