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     Plus profond dans le bourbier iraquien
    Par Robin Cook
The Guardian, vendredi 22 octobre 2004

"Les troupes britanniques sont assimilées aux méthodes américaines"


Lorsque l'on écrira l'histoire de l'aventure irakienne, la décision de déployer des troupes britanniques dans le secteur américain pourra être vu comme le point de bascule où la patience a fini par échapper à ceux qui avaient jusqu'à présent donné a Tony Blair le bénéfice du doute. Dans les couloirs de Westminster il était habituel de trouver, ces deux dernières années, des députés qui défendaient bec et ongle la ligne officielle, tout en faisant part de leur incompréhension lorsqu'on leur demandait de s'enfoncer encore plus dans le bourbier.

C'est pourquoi nous sommes assurés que cette toute dernière débâcle n'a pas été pensée par les politiciens de Whitehall, mais qu'elle a été entièrement le fruit du travail des militaires en Irak. Mais cela n'explique pas pourquoi les politiciens n'ont pas brocardé ce non-sens lorsqu'il a été présenté au banc des ministres. En fait, l'affront véritablement inquiétant causé par les événements de cette semaine est la découverte que l'antenne politique de Downing Street est devenue si émoussée qu'ils ont été surpris par la force d'une réaction qui était entièrement prévisible.

Les partisans des travaillistes ont plaidé pour que l'on fasse en sorte que l'Irak échappe aux gros titres afin de laisser l'espace médiatique au programme de politique intérieure du parti travailliste. Une bonne partie de la furie de la semaine dernière vient de ce que leur propre gouvernement aurait dû trouver une bonne idée pour monter en épingle l'affaire de l'Irak et la propulser en une des gazettes.

Au lieu de mettre au point une stratégie de sortie permettant aux soldats britanniques de garder espoir, les ministres vont les pousser encore plus en profondeur dans le territoire des insurgés. C'est l'exact opposé de ce à quoi s'attendaient les supporters du parti travailliste pendant le compte à rebours d'une élection.

Ce redéploiement touche aussi le public là où il est le plus sensible vis à vis de notre implication en Irak. Il ne peuvent pas se défaire de leur suspicion selon laquelle nous avons envoyé un tiers de l'armée britannique en Irak non pas à la poursuite de nos propres intérêts mais en soutien au programme politique de la Maison Blanche. Cette dernière déformation de l'histoire conforte la perception selon laquelle c'est Washington qui a dicté sa loi et la Grande-Bretagne qui se trouve en première ligne. Même si cette requête est d'abord passée par les canaux politiques ou militaires, il est indéniable que l'initiative de déplacer nos troupes est venue des Etats-Unis.

Il est évident également que cette requête a été le résultat de la politique américaine. Il se peut que lorsque le général George Casey a décroché son téléphone pour appeler son homologue du côté britannique il ne lui est venu à aucun moment à l'esprit qu'il pourrait y avoir un bonus politique pour George Bush. Mais il a été conduit à appeler les britanniques plutôt que le Pentagone à cause des priorités politiques en Amérique. La critique de Donald Rumsfeld la plus préjudiciable est qu'il a passé outre les inquiétudes de son propre chef d'état-major qui l'avait mis en garde sur le fait qu'il essayait d'occuper l'Irak avec trop peu de soldats. Appeler à la maison pour demander qu'on lui envoie plus de troupes américaines en Irak n'était donc pas une solution adroite pour le général Casey. Cela confirme, dans la dernière ligne droite de l'élection présidentielle, que Rumsfeld s'était trompé.

Une grande partie du problème n'est pas tellement que les Etats-Unis manquent de soldats, mais plutôt qu'ils ne disposent pas de troupes entraînées au maintien de la paix. Ils ont amené avec eux leur culture militaire de force dominante et ont rencontré toutes sortes de résistances dans cette escalade. La majeure partie du ressentiment éprouvé par les Irakiens vis à vis de l'occupation vient des tactiques miliaires autoritaires des soldats américains et leur supposition implicite que chaque Irakien est un ennemi potentiel.

Une conséquence de cette décision (d'avoir installé des troupes britanniques dans le secteur américain), et à laquelle on ne peut échapper, est que nos forces seront à mettre dans le même sac que les méthodes américaines et seront tenues pour responsables des pertes civiles qui en résulteront. Ce risque est d'autant plus vif que le but établi de ce redéploiement est de libérer les forces américaines pour un assaut en règle sur Falloujah.

La dernière fois que le corps des marines américain a essayé de le faire ils ont laissé derrière eux des centaines de civils morts et ont causé une indignation dans tout l'Irak pour la manière dont ils ont traité les habitants de Falloujah. S'ils répètent maintenant ce degré de violence, non seulement les forces américaines n'extermineront pas la résistance mais elles alimenteront encore plus l'hostilité ressentie vis à vis de leur occupation. Cette stratégie ne peut être soutenue que par ceux qui croient encore en une solution militaire, parce qu'ils sont victimes de l'illusion selon laquelle les insurgés ne sont que quelques milliers de terroristes internationaux.

Cette semaine, une fois encore, nous avons été sermonnés [par les Américains] sur l'importance de prouver que nous sommes de bons et de solides alliés. Très bien. Mais la solidarité devrait agir dans les deux sens. Les ministres n'auraient pas dû accepter d'engager des troupes britanniques pour permettre une offensive sur Falloujah, à moins que nos alliés américains acceptent enfin de réduire les pertes civiles au minimum, pertes pour lesquelles la Grande-Bretagne sera maintenant tenue elle aussi pour responsable.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon