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     Pire que sans intérêt
    Par Robin Cook
The Guardian, vendredi 29 juillet 2005

"Remplacer Trident est à la fois contre nos intérêts et nos obligations internationales"


Là-bas, à Aldermaston, ils dépensent des centaines de millions de livres de notre argent pour le rééquipement de l'unité de production des ogives nucléaires. On nous assure que cette décision n'a pas été prise pour remplacer le système nucléaire Trident. Ben voyons ! Cet investissement est seulement dans l'intention de garder nos options ouvertes !

Si nous voulons exercer l'option de produire plus d'armes, on nous dit que nous devons le décider au sein de ce parlement. Ce n'est pas parce que Trident est en danger imminent de se retrouver hors service. Les sous-marins britanniques peuvent continuer de plonger et de faire surface pendant encore vingt ans. Le problème est que cela prendra trop de temps pour commander, construire et armer une nouvelle flotte pour les remplacer.

Ceci est une excellente occasion pour Tony Blair de prouver qu'il est un vrai modernisateur. L'axe fixe de son discours politique est qu'il représente une cassure nette avec l'ancien Parti Travailliste. C'était le gouvernement de Wilson qui construisit, lança et nomma la flotte Polaris, dans les années 60. Ce fut Jim Callaghan qui le premier passa un accord au sujet de Trident avec le Président Carter, de manière excentrique dans une hutte en Guadeloupe. Tony Blair pourrait trouver un moyen plus convaincant, pour rompre avec le passé et démontrer qu'il est un véritable modernisateur, en défendant la cause selon laquelle les armes nucléaires n'ont à présent, dans le monde moderne, plus aucun rapport avec la Défense de la Grande-Bretagne.

La justification, à la fois de Polaris et de Trident, est que nous faisions face à l'ours soviétique hostile et à ses griffes nucléaires. Les missiles étaient placés sur des sous-marins, précisément parce que l'océan était la seule place où nous pouvions nous cacher de la puissance de feu soviétique. Mais il s'agit de calculs datant d'une époque révolue depuis longtemps. L'Union Soviétique s'est désintégrée, ses satellites sont nos alliés dans l'Union Européenne, et l'Occident dépense à présent des sommes très importantes pour aider la Russie à désamorcer et à démanteler les ogives qui, autrefois, nous faisaient peur.

Aucune autre menace nucléaire crédible n'a surgi en lieu et place de l'Union Soviétique pour justifier le système britannique d'armes nucléaires. Pour en être sûr, deux ou trois autres nations ont émergé avec une capacité nucléaire rudimentaire, mais aucune d'entre elles n'a développé la capacité ou la motivation d'attaquer la Grande-Bretagne.

Il n'est pas aisé de voir quel a été le retour pratique sur investissement de la Grande-Bretagne, eu égard aux sommes extravagantes que nous avons investies dans nos systèmes nucléaires. Cela n'empêcha le Général Galtieri de prendre les îles Falkland, bien que la Grande-Bretagne possédât la bombe nucléaire et pas l'Argentine. Mais la fin de la guerre froide a ôté jusqu'à la justification théorique de notre possession d'armes nucléaires stratégiques.

Cependant, l'esprit de la guerre froide perdure dans les esprits de ceux qui ne peuvent pas s'empêcher d'avoir peur et qui ont besoin d'un ennemi pour étayer leur propre identité. C'est pourquoi le vide laissé par la guerre froide a été comblé par la guerre globale contre le terrorisme de George Bush. Il est tristement tragique que le terrorisme, en partie la conséquence [de cette nouvelle guerre], est devenu une pire menace que jamais auparavant.

Mais les armes nucléaires sont désespérément sans intérêt contre la menace terroriste. Les théories élégantes de la dissuasion apparaissent toutes hors sujet face à un kamikaze qui recherche activement de finir en martyr. Et si jamais nous nous faisions des illusions pour assouvir notre vengeance en lançant un nouvel Hiroshima sur une ville musulmane, nous inciterions contre nous le terrorisme fanatique pendant une génération.

Investir dans un nouveau système nucléaire stratégique serait pire que sans intérêt. Ce serait une diversion extravagante des ressources nécessaires à la priorité plus pertinente de combattre le terrorisme. Trident nous a coûté plus de £ 12 Mds (environ 18 Mds d'€) - à peu près la moitié de tout le budget annuel de la Défense. Même si son successeur ne coûtait pas aussi cher, il ne pourrait pas être acheté sans la réduction de la capacité conventionnelle de nos forces armées. Ce sera plus difficile cette fois-ci de trouver les fonds pour un nouveau système d'armes nucléaires sans que ces réductions nous fassent mal, parce que le budget de la Défense, en pourcentage du PIB, est aujourd'hui plus faible que les programmes Polaris et Trident le furent.

Notre armée se débarrasse déjà de soldats et de chars. Pourtant le rôle le plus précieux de la Grande-Bretagne en ce qui concerne la stabilité mondiale est la contribution professionnelle et expérimentée de nos soldats dans les missions de maintien de la paix, qui nous vaut bien plus de bienveillance à travers le monde que nos sous-marins nucléaires arpentant les mers. Le monde serait moins stable et la Grande-Bretagne moins en sécurité si nous en arrivions à remplacer encore plus de ses unités de l'armée de terre par des enfants-de-Trident. Ce ne sont pas seulement les militants pour la paix qui s'opposeront à un tel choix. Je suspecte qu'une claire majorité au sein du corps des officiers voterait contre la diversion du budget de la Défense pour financer une nouvelle génération d'armes nucléaires.

Ce n'est pas comme si les sommes importantes qui nous seraient nécessaires pour rester dans le jeu nucléaire pouvaient nous payer une arme indépendante. Dan Plesch documente dans un rapport impressionnant à venir que tous les niveaux du système Trident dépendent de notre coopération avec les Etats-Unis. Nous ne possédons même pas ces missiles, ils nous sont loués à bail par le Pentagone selon un accord que Denis Healey a autrefois surnommé "louage de missile" [rent-a-rocket]. Le renouvellement de notre collaboration avec les Etats-Unis sur les armes nucléaires dépend des liens entre Downing Street et la Maison Blanche, au moment même où le reste de la nation attend une position plus indépendante.

Il est en conséquence contre les intérêts nationaux britanniques de remplacer Trident. C'est aussi contre nos obligations internationales, et en particulier notre engagement de procéder en toute bonne foi au désarmement nucléaire, selon le traité de non-prolifération.

Pour être équitable, il faut dire que le New Labour a jusqu'à présent une bonne réputation en ce qui concerne l'avancement vers cet objectif. Durant les dix dernières années, le Parti Travailliste a détruit les autres armes nucléaires britanniques, a signé le traité d'interdiction des essais nucléaires et a réduit le statut d'alerte de nos sous-marins de plusieurs jours. Mais ces pas positifs seraient effacés si nous allions au pas de charge dans la direction opposée en commandant un tout nouveau système nucléaire.

Il y a un abîme trop large à franchir pour la logique, entre l'argument selon lequel la Grande-Bretagne doit maintenir ses armes nucléaires pour garantir sa sécurité, et le reproche fait à l'Iran (et aux autres) que la sécurité du monde serait compromise s'ils agissaient comme nous.

Malgré l'angoisse actuelle causée par la prolifération, plus de nations ont abandonné les armes nucléaires dans la dernière génération que de nations les ont développées. Le Brésil et l'Argentine ont négocié un traité pour mettre fin à leurs programmes nucléaires rivaux. L'Ukraine et les autres anciennes républiques soviétiques ont renoncé à la capacité nucléaire dont elles avaient héritée. L'Afrique du Sud, post-apartheid, a abandonné son programme nucléaire et démantelé ses armes.

Aucun de ces pays ne se considère moins en sécurité qu'avant. Pas plus que nous, si nos dirigeants pouvaient trouver le courage de laisser Trident être la dernière obsession futile et coûteuse de la Grande-Bretagne avec son statut nucléaire.



Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon