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Grande-Bretagne : Secrets militaires à vendre

"Les réclamations des scientifiques mettent la sécurité nationale en danger"

Jamie Doward, rédactrice à la rubrique société
Dimanche 31 octobre 2004

The Observer

Un expert en missiles qui a travaillé sur des projets militaires top-secrets pour le gouvernement [britannique] prétend que des scientifiques militaires de la Grande-Bretagne menacent la sécurité nationale en colportant leurs services à l'étranger. Cette accusation a provoqué une levée de bouclier de la part de parlementaires qui s'inquiètent de ce que l'expertise militaire britannique - financée par les contribuables - pourrait atterrir entre les mains de gouvernements étrangers.

Cet expert est tenu sous contrat avec QinetiQ, le successeur de la DERA (Defence Evaluation and Research Authority) [l'autorité de la recherche et de développement de la défense], privatisée par le gouvernement. En juin dernier, il a écrit à Alan Garwood, le chef des services exports de la défense, pour dire ses craintes selon lesquelles certains de ces collègues cherchaient à offrir leurs services à des agences de défense à l'étranger. Si ces scientifiques étaient amenés à discuter, ou à exploiter, des travaux qu'ils auraient faits alors qu'ils étaient sous contrat avec le gouvernement britannique, ils violeraient la loi sur les secrets officiels.

Notre expert en missiles, qui a demandé à ce que son identité ne soit pas divulguée, a donc écrit à Garwood une lettre que l'Observer a obtenue : " Alors que les scientifiques de QinetiQ ont la liberté de parcourir le globe, la sécurité nationale est en danger. Je serais heureux de pouvoir vous faire un compte-rendu plus détaillé de mes inquiétudes. " Il dit qu'il a tiré la sonnette d'alarme quand il a appris qu'un de ses collègues à QinetiQ, qui avait travaillé sur un projet anglo-américain pour développer un dispositif anti-torpille et qui avait de nombreuses années d'expérience dans ce domaine, avait offert son expertise à un gouvernement étranger.

Cet employé, dont le nom est connu de l'Observer mais qui ne sera pas publié pour des raisons de sécurité, a fait cette démarche en mai dernier. Dans un courriel que nous avons obtenu, ce spécialiste parle de monter une société dans le but d'offrir son savoir-faire au département de la recherche de la défense d'un gouvernement d'extrême orient : " Je serais intéressé de découvrir s'il y a des moyens pour que je vous sois utile. En fait, ma requête est de me renseigner si [vous] seriez prêt à traiter avec une petite société [comme la mienne]. Votre avis serait le bienvenu ".

Le collègue qui l'accuse, et qui est au centre d'un procès avec QinetiQ pour des engagements non honorés de lui payer toute une série de commissions, a dit qu'il pense que nombre d'autres scientifiques gouvernementaux pourraient envisager de faire ce type de démarche parce qu'il sont persuadés qu'ils peuvent gagner plus d'argent à l'étranger.

Une porte-parole de QinetiQ a déclaré : " Il y a quelques temps, lorsque nous avons été informés de ces accusations spécifiques non fondées, nous les avons transmises immédiatement, selon nos procédures, aux autorités externes appropriées pour enquêter. Nous n'avons eu aucune information émanant de ces autorités qui suggèreraient quelque violation que ce soit de la sécurité. "

Hier soir, Llew Smith, le député travailliste de Blaenau Gwent (Pays de Galles) , a dit qu'il avait mis à l'ordre du jour une question parlementaire demandant au Ministre de la Défense de clarifier comment étaient protégées les recherches conduites par des scientifiques du gouvernement, lorsque des employés de QinetiQ démissionnent, et " qui essayent ensuite de tirer un avantage personnel de leurs connaissances. Ce n'est pas normal que l'argent des contribuables puisse être utilisé pour financer des technologies de pointe ou autres découvertes, et que les bénéfices aillent directement dans la poche de gens qui quittent le secteur public pour gagner plus d'argent en opérant dans le privé. "

Dans une lettre ouverte à Geoff Hoon, le ministre de la défense, envoyée en août dernier, notre expert en missiles a accusé la privatisation de la DERA de changer la culture de l'organisation. " Lorsque le gouvernement décide de retirer le statut de fonctionnaire à des milliers de scientifiques et d'ingénieurs de la défense… il retire aussi un niveau de contrôle qui assurait que la sécurité nationale était solide, " a-t-il écrit.

A la suite de la privatisation, une part dans QinetiQ a été achetée par le Groupe Carlyle, la puissante firme bancaire américaine qui a employé George Bush père comme conseiller, John Major comme président de sa branche européenne, et qui a investi de l'argent pour le compte de la très riche famille saoudienne ben Laden.

Mais la porte-parole de QinetiQ a déclaré que la société avait des directives très strictes et que ces dernières assuraient que ses projets restent secrets. " Tout le personnel qui rejoint QinetiQ doit signer une reconnaissance selon laquelle leurs responsabilités sont placées sous la Loi relative aux Secrets Officiels. Cette procédure n'a pas changée depuis que QinetiQ a été partiellement privatisée, et il est totalement faux d'affirmer que la privatisation ait eu un effet sur la nature rigoureuse de ces procédures ".


Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon