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     La Résistance grandit contre l'idée de la suprématie des Etats-Unis
    Par Simon Tisdall
The Guardian , mercredi 1er février 2006

Mettre l'accent sur le caractère indispensable du leadership mondial des Etats-Unis fait partie du menu habituel des discours sur l'Etat de l'Union. Celui de George Bush hier soir n'a pas dérogé à la règle. Mais la série de revers qu'a connu leur politique étrangère a mis en lumière les failles croissantes dans cette de suprématie internationale, chérie depuis longtemps par Washington.

L'ascension rapide de la Chine est le défi à long terme le plus évident contre l'ascendance américaine. La Chine a récemment dépassé la Grande-Bretagne et l'Italie pour devenir la quatrième plus grande économie du monde. Et son influence politique croît encore plus vite, comme le rappelait la semaine dernière Robert Zoellick, le Secrétaire d'Etat adjoint.

En visite à Pékin, M. Zoellick a déclaré que les Etats-Unis voulaient que la Chine devienne un "actionnaire responsable" de la bonne gouvernance mondiale. "La Chine pourrait jouer un rôle très positif dans le système international, des questions traitant de la non-prolifération à la sécurité énergétique en passant par le contre-terrorisme", a-t-il déclaré.

Mais M. Zoellick a rapidement semé le trouble lorsqu'il est entré dans les détails. Son appel à la Chine pour qu'elle soutienne le renvoi officiel des activités nucléaires iraniennes devant le Conseil de Sécurité de l'ONU en vue d'éventuelles sanctions sévères a été repoussé. L'obstructionnisme de Pékin rappelait son action similaire de blocage sur le Darfour.

La Chine, qui fêtait simultanément à Pékin la venue du Roi Abdallâh d'Arabie Saoudite, a offert au même moment une perspective différente et troublante sur les questions de sécurité énergétiques soulevées par M. Zoellick. En effet, des accords conjoints portant sur l'extraction et le raffinage indiquent que l'augmentation des quantités de pétrole brut saoudien ira à la Chine plutôt qu'aux Etats-Unis, client numéro un de Riyad depuis fort longtemps.

La tentative de séduction chinoise du dirigeant nord-coréen, Kim Jong-Il, qui a visité secrètement la Chine le mois dernier, ne peut qu'aggraver une autre des inquiétudes de M. Zoellick - comment retirer à Pyongyang les bombes nucléaires qu'il prétend posséder. Ajoutant à la déconfiture américaine, le président de la Corée du Sud, Roh Moo Hyun, a mis en garde Washington de ne pas faire usage ou même menacer de faire usage de la force pour aboutir à un changement de régime et au renversement de M. Kim. Un tel langage de mutinerie de la part d'un allié traditionnellement proche des Etats-Unis aurait été autrefois impensable - mais pas aujourd'hui.

Des refus qui ébranlent de manière similaire l'autorité américaine, autrefois incontestée, prolifèrent. Le vote palestinien en faveur du Hamas a ignoré la pression américaine et son coup de pouce financier et a laissé la politique de paix au Moyen-Orient en lambeaux.

Alors que ces pays auraient pu autrefois acquiescer en silence, l'Inde et le Pakistan ont réagi vivement et publiquement aux tentatives récentes américaines de bloquer le commerce avec l'Iran ainsi qu'à l'attaque "non-autorisée" contre une cachette supposée d'Al-Qaïda. Faisant jouer sa puissance énergétique, la Russie a tout simplement ignoré les protestations américaines sur la manière dont elle traite les ONG et sur ses querelles de gazoducs avec l'Ukraine et la Géorgie.

Malgré l'annonce de Condoleeza Rice de prendre un nouveau départ post-Irak, l'opinion européenne a été écartée une fois encore totalement par la querelle stupéfiante d'interprétation. En Irak même, des alliés tels que l'Italie quittent les rangs et ont l'intention de rapatrier leurs troupes, que M. Bush estime ou non que le travail est terminé.

Dans son livre, The Opportunity, Richard Haass suggère que les objectifs américains trop ambitieux, comme on a pu le voir avec l'Irak et avec la "vision" grandiose de M. Bush consistant à libérer le monde, sont en partie responsables de la tendance à rejeter le leadership des Etats-Unis. "Il n'est ni souhaitable, ni viable, de faire de la promotion de la démocratie une doctrine de politique étrangère", a déclaré M. Haass, qui est un ancien haut-fonctionnaire du gouvernement américain. "Toutes les menaces actuelles dans lesquelles les vies de millions de personnes sont en jeu (des menaces telles que la prolifération nucléaire et le génocide) ne seront pas résolues par l'émergence de la démocratie".

Et Haass soutient que la suprématie des Etats-Unis est aussi de plus en plus vulnérable aux défis non-militaires, qui échappent au contrôle de toute administration [américaine]. Les Etats-Unis devraient poursuivre des politiques plus intégrées et de collaboration - sinon ils risquent de voir se lever une "résistance passive" internationale. "Dans le futur immédiat, la non-coopération sera probablement un problème plus grand et plus fréquent pour la politique étrangère des Etats-Unis que l'opposition directe".

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon