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     Washington s'enracine dans une 'longue guerre',
tandis que Rumsfeld lance un appel mondial aux armes
    Par Simon Tisdall
The Guardian , mardi 7 février 2006

L'administration Bush réinterprète sa "guerre globale contre la terreur". Devenue la "longue guerre", nul doute que cette re-formulation sera interprétée comme un aveu des Etats-Unis qu'ils ont commencé quelque chose qu'ils ne peuvent terminer. Mais, vu du Pentagone, ce changement d'approche reflète une mise à jour significative de la menace "générationnelle" posée par l'activisme islamiste mondial, que les militaires américains pensent avoir sérieusement sous-estimé.

Cette réaffirmation, contenue dans le passage en revue quadriennal de la défense que le Pentagone a présenté hier au Congrès, présage une nouvelle campagne des Etats-Unis pour rallier les alliés internationaux dans un conflit en cours, illimité dans le temps et dans l'espace. Pour de nombreux membres européens de l'OTAN - dont la Grande-Bretagne - de même que pour les gouvernements du Moyen-Orient, cette perspective est problématique, politiquement, financièrement et militairement.

Selon ce rapport quadriennal, une campagne militaire irrégulière et de longue durée, comprenant des opérations anti-émeutes et de sécurité, de maintien de la stabilité, de transition et de reconstruction, est nécessaire et inévitable. Fini le temps des victoires rapides d'avant l'invasion de l'Irak en 2003 ! Nous aurons une guerre d'usure, livrée sur de nombreux fronts, nous dit cette Defense Review.

Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense des Etats-Unis, a suggéré pendant le week-end que les démocraties occidentales doivent reconnaître qu'elles sont aux prises avec une guerre à la vie à la mort comparable à celles contre le fascisme et le communisme. "L'ennemi a dessiné et distribué une carte où les frontières nationales sont effacées et remplacées par un empire islamique extrémiste mondial".

M. Rumsfeld a contesté que l'invasion de l'Irak se soit avérée être un catalyseur pour le recrutement de terroristes - mais il a dit qu'al-Qaïda et ses alliés voulaient se servir de l'Irak comme front central dans la bataille plus longue dont nous parlons. "Une guerre a été déclarée contre toutes nos nations et leur avenir repose sur la détermination et l'unité", a-t-il déclaré. "Comme pendant la Guerre Froide, le combat à venir promet d'être une longue guerre"

La Review du Pentagone propose une série de mesures afin d'équiper les Etats-Unis et ses alliés pour cette longue marche, construite autour de la proposition d'un budget monstre pour la défense en 2007, d'un montant total de 550 milliards de dollars (450 Mds €). Ces mesures comprennent une augmentation des effectifs des forces spéciales et du nombre d'aéronefs non habités ou de drones, des unités élargies dédiées à la guerre psychologique et aux affaires civiles (pour gagner "les cœurs et les esprits"), et plus de missiles mer-terre à longue portée armés de têtes conventionnelles. Des pays tels que l'Iran remarquerons ces plans à propos d'équipes secrètes destinées à "détecter, localiser et sécuriser" les armes nucléaires, chimiques et biologiques.

S'adressant devant l'Institut International des Etudes Stratégiques à Londres hier, le Général de Brigade Mark Kimmitt, directeur adjoint du commandement central américain pour le Moyen-Orient, a déclaré que pour remporter cette "longue guerre" il serait nécessaire pour les alliés d'accroître "l'assistance en matière de sécurité, le partage d'informations et les conseils des services de renseignements". "Les nations régionales doivent participer et conduire le combat", a-t-il déclaré.

Une coalition internationale ravivée et élargie pourrait permettre aux Etats-Unis de "repositionner" leurs forces d'infanterie au Moyen-Orient, une fois que la stabilité en Irak et en Afghanistan serait atteinte, a-t-il dit. Les forces d'infanterie qui resteraient pourraient être rapidement déployées ailleurs ; et leur zone d'opérations s'élargirait pour inclure d'anciens et de nouveaux théâtres en Asie du sud-ouest et en Afrique d'Est et du Nord.

Le général Kimmitt a déclaré qu'il était tout aussi important d'amélioration la capacité de la coalition de forger à long terme des réseaux diplomatiques et d'application de la loi pour contrer l'utilisation "étonnante" par al-Qaïda et ses alliés des "domaines physiques et virtuels" tels que l'internet.

"Les forces fondamentales qui sont en jeu dans cette longue guerre ne devraient pas être sous-estimées", a-t-il déclaré. "Une idéologie extrémiste cherche à retourner en arrière à l'époque de la dictature théocratique, de la répression et de l'intolérance" tout en employant la dernière technologie pour le faire. Il a dit que l'objectif de ce mouvement était de mettre fin à l'influence occidentale dans le monde musulman et de renverser les régimes "apostats" du monde musulman, et que celui-ci n'hésiterait pas à utiliser les ADM.

La doctrine de la "longue guerre", formalisant la division du monde, selon le Président Bush en bons et en mauvais, a toutes les chances de s'avérer hautement controversée au fur et à mesure que ses implications plus larges se dévoileront. Washington sera accusé d'alarmisme et d'exacerber le clash des cultures. Ne serait-ce qu'aux Etats-Unis, le coût humain et moral des guerres post-11/9 est déjà sous surveillance critique, des familles des soldats à l'ancien président Jimmy Carter.

Le général Kimmitt a admis que la plus grande des batailles pourrait avoir lieu ici, aux Etats-Unis : "Il faudra un leadership fort pour continuer à plaider auprès du peuple que cette guerre est nécessaire et doit être livrée pendant peut-être une génération supplémentaire".

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon