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     Un roulement de tambour qui sonne familier
    Par Simon Tisdall
The Guardian , mardi 7 mars 2006

L'explication donnée par George Bush à propos de sa volte-face sur le projet présenté d'un pipeline Iran-Inde a manqué, semble-t-il, de sincérité. "Notre problème avec l'Iran n'est pas le pipeline", a déclaré samedi le président des Etats-Unis, après avoir retiré ses objections et donné son feu-vert aux nouveaux amis de Washington à Delhi. "Notre problème avec l'Iran est qu'ils veulent développer l'arme nucléaire".

Mais l'histoire ne s'arrête pas aux craintes des Etats-Unis, discutées hier à Vienne, concernant les armes atomiques. Washington est en train de compiler un dossier de griefs contre Téhéran, similaire dans son étendue et sa gravité aux accusations portées contre l'Irak avant de lui faire la guerre. Parmi les autres réclamations, on trouve l'ingérence de l'Iran en Irak, son soutien au Hamas en Palestine et au Hezbollah au Liban, ainsi que les atteintes aux droits de l'homme.

M. Bush fait régulièrement pression sur les Iraniens pour qu'ils s'emparent de la "liberté à laquelle ils aspirent et ils ont droit". Dans les ministères iraniens, cela ressemble à un appel au changement de régime. Bush a ignoré les propositions iraniennes de pourparlers et a renforcé les sanctions économiques des Etats-Unis contre l'Iran.

L'accélération officielle par Washington du roulement de tambour des hostilités commence à rappeler les attaques politiques contre le Libyen Muammar Kadhafi, le Panaméen Manuel Noriega et Saddam Hussein — attaques qui se sont toutes soldées par la violence. Les médias de droite américains réclament le passage à l'action, estimant que l'Iran est "une menace intolérable" au "cœur de la crise de la présidence de Bush".

Comme ce fut le cas pour l'Irak, la rhétorique de bas étage de l'administration fait son œuvre auprès de l'opinion publique — en dépit de la démystification ultérieure des accusations qu'elle avait portées contre l'Irak. Les sondages indiquent qu'un grand nombre d'Américains sont à présent convaincus que l'Iran est le nouvel ennemi public numéro un. 47% des personnes interrogées ont répondu à Zogby International qu'ils donnaient leur préférence à une action militaire pour stopper les activités nucléaires iraniennes.

Alors que les espoirs d'éviter la confrontation n'ont pas encore tous disparus, les mises en garde de John Bolton, selon lesquelles l'Iran pourrait faire face à des "conséquences douloureuses" pour ses activités nucléaires, ont fait écho aux refus répétés de M. Bush d'exclure la force armée. Les dirigeants iraniens pensent que les Etats-Unis sont déterminés à saper et si possible à renverser la théocratie iranienne et le gouvernement de son président, Mahmoud Ahmadinejad — sans tenir compte de savoir si un compromis est atteint sur le nucléaire. Cela aide à expliquer la position de négociation très ferme de Téhéran.

Les Iraniens citent la décision américaine de dépenser $75 millions (60m€) pour le financement de forces d'opposition potentielles iraniennes, y compris des ONG, des syndicats et des associations de défense des droits de l'homme, ainsi que des émissions de propagande en langue locale — des tactiques expérimentées en Serbie, en Géorgie et en Ukraine. L'Iran accuse les Etats-Unis d'attiser le mécontentement parmi les minorités kurde, baloutche et azérie, des soupçons alimentés par un corps d'investigation des marines venu jauger la force de l'opposition au gouvernement central au sein des groupes perses. Téhéran croit aussi que les Etats-Unis utilisent les Moudjahidin du Peuple, un groupe contre le régime, soutenu autrefois par Saddam Hussein et accusé de nombreuses attaques terroristes, pour collecter des renseignements et faire de la déstabilisation.

Ceux-ci ont récemment exigé que les soldats britanniques quittent Bassora, après les avoir liés aux troubles parmi les Iraniens arabes du Khuzestân, contigu au sud-est de l'Irak. La Grande-Bretagne a rejeté ces accusations.

"L'Europe des Trois" — la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne — restent focalisés sur la controverse nucléaire plutôt que sur les questions plus générales concernant l'Iran. Un responsable britannique a déclaré qu'ils soutiendraient, si nécessaire, des pressions "graduelles" sur l'Iran par l'intermédiaire du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, "pouvant conduire à des restrictions commerciales ou plus probablement, à des sanctions financières et des restrictions de voyages sur les personnes". Mais cet officiel a dit que les Européens "n'ont pas une vue claire de ce que nous ferons à un stade ultérieur" au cas ou l'Iran refuserait de plier.

En l'absence de progrès à Vienne, le fait de n'être pas parvenus à se mettre d'accord sur une stratégie peut encourager les faucons, misant tout sur Israël, à prendre l'initiative — même au risque d'une division européenne comme ce fut le cas pour l'Irak. Ils ont attendu le bon moment pendant trois ans. À présent, ils veulent de l'action. Pour commencer, on s'attend à ce que M. Bolton recherche un dernier délai de 30 jours imposé par l'ONU pour que l'Iran fasse marche arrière ou qu'il se retrouve confronté à des contre mesures.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon