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     Les crises oubliées d'Afrique
    Par Simon Tisdall
The Guardian , jeudi 16 février 2006

En Afrique, tout est plus grand.
Depuis le début de la deuxième Intifada en 2000, environ 4.480 Palestiniens et Israéliens ont trouvé la mort — mais cela ne représente qu'un long week-end dans la République Démocratique du Congo où, selon l'ONU, 1.200 personnes meurent chaque jour pour des raisons liées à la guerre. Depuis 1967, environ 4 millions de personnes sont mortes et leur mort a été relativement peu remarquée et rapportée.

L'ouragan Katrina, l'été dernier, a déplacé temporairement des dizaines de milliers de personnes dans le Sud des Etats-Unis et la couverture médiatique était planétaire. Au Soudan, trois ans après le déclenchement du conflit au Darfour, environ 2 millions de civils sont toujours sans abri. Leur nombre s'est accru de 30.000 en janvier à cause de nouvelles déprédations de la part des milices, et c'est pratiquement passé inaperçu.

Au Congo et au Soudan, les efforts de la communauté internationale pour améliorer la situation se sont accélérés cette semaine. Mais la vaste étendue des problèmes de ces pays, ajoutés aux doutes concernant l'engagement du monde développé à les résoudre, n'encourage pas à l'optimisme. C'est ce que déclare Tom Cargill, du programme africain de l'Institut Royal des Affaires Internationales.

"L'occident peut essayer de forcer l'allure, même si en fin de compte c'est l'affaire de ceux qui sont sur le terrain" a déclaré M. Cargill. "Mais il y a souvent un manque de volonté politique pour prendre les décisions difficiles".

Une de ces décisions pèse sur l'UE, à laquelle il a été demandé d'envoyer des troupes pour soutenir les forces de maintien de la paix en vue des premières élections démocratiques du Congo, qui doivent se tenir en juin. Ce processus est considéré comme crucial pour la stabilisation du pays à la suite de la guerre de 1997-2003. Mais les combats se poursuivent dans le Nord du Kivu et ailleurs dans l'Est du Congo. Cette semaine, l'ONU a rapporté que : "Dans la province de Katanga, des dizaines de milliers de personnes ont été chassées par la violence et les atrocités continuelles".

Bruxelles a lancé ce lundi un appel aux Nations-Unis pour financer à hauteur de $680m (570m€) les projets préélectoraux, tels que de l'eau, de la nourriture et des abris pour les réfugiés retournant dans leurs villages. En disant que le Congo est "une crise oubliée", la Grande-Bretagne a promis $100m d'aide nouvelle. Mais en ce qui concerne le déploiement de troupes, les pays européens hésitent et certains, comme la Belgique, l'ancienne puissance coloniale, ont refusé.

Pourtant, une meilleure sécurité est une condition préalable au progrès, disent les analystes. "Si le Congo doit avoir quelque espoir de paix et de développement, une réforme du secteur de la sécurité est la question vitale", a déclaré Caty Clement, de l'International Crisis Group indépendant. "Tout le reste, des élections à l'aide humanitaire en passant par l'activité économique, dépend de la création d'un environnement sûr". Un rapport de l'ICG recommande vivement que L'UE étende son soutien pour aider à réformer l'armée et la police.

Le secrétaire aux affaires étrangères britannique, Jack Straw, a essayé de réactiver le processus de paix au Darfour lors d'une visite qu'il a rendue cette semaine à Abuja, au Nigeria, où le gouvernement soudanais est aux prises avec des pourparlers interminables avec les groupes rebelles. La communauté mondiale fera tout ce qu'elle peut, a-t-il assuré aux délégués, mais "ce qu'elle veut voir à présent est la fin du marchandage et des postures et le début d'une véritable action de votre part pour que le Darfour se remette ensemble". Il a brandit diverses carottes et bâtons. Mais M. Cargill a déclaré que les problèmes du Soudan, souvent peu réceptifs aux insistances extérieures, pourraient rester les mêmes — faisant encore de cela une question de volonté politique.

Cette semaine, les Nations-Unies ont requis l'assistance des Etats-Unis pour planifier une force de maintien de la paix au Darfour. Mais si une telle force doit se déployer, ce ne sera pas avant au moins un an. Et malgré la condamnation de la situation qui sévit là-bas — un véritable génocide — les Etats-Unis ont déjà dit qu'ils ne feront pas prendre de risques à leurs troupes. En Afrique, même les traîtrises sont plus grandes.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon