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     Le Japon Devient le Gendarme Américain
de la Zone Pacifique
    Par Simon Tisdall
The Guardian , Mardi 19 avril 2005

Illustrée violemment par les protestations anti-nippones, renouvelées ce week-end à Shanghai et dans d'autres grandes villes, la tension qui monte avec la Chine fait monter la pression sur Tokyo pour accroître sa capacité militaire et pour soutenir une alliance stratégique renforcée avec les Etats-Unis, de l'Asie orientale jusqu'au Golfe Persique.

La Constitution pacifiste japonaise de l'après-guerre restreint son armée à l'autodéfense. Les quelques 50.000 soldats américains postés à Okinawa et dans d'autres bases garantissent la sécurité du pays en échange d'une contribution financière de 5 Mds de dollars (3,85 Mds EUR).

Mais les analystes militaires disent que la menace chinoise, perçue comme telle, un état d'esprit japonais nationaliste et plus assuré ainsi que le souhait de Washington d'utiliser le Japon comme poste de commandement pour des opérations s'étendant jusqu'au Moyen-Orient sont en train de modifier la position militaire du Japon, jusqu'à présent semi-indépendante.

En d'autres termes, après 60 années passées en grande partie à garder le profil bas, le Japon semble destiné à supplanter l'Australie en tant que "gendarme de Washington" de la zone Asie-Pacifique et à devenir un pilier de l'architecture sécuritaire du 21ème siècle américain.

Selon Kazuya Sakamoto de l'Université d'Osaka, le Japon et la Grande-Bretagne sont au cœur de la révision radicale, post 11 septembre, du déploiement des forces américaines à l'étranger. Voici ce que le Professeur Sakamoto a écrit dans le dernier numéro du magazine japonais Echo : "L'idée de base est que les Etats-Unis vont graduellement se retirer de la masse terrestre eurasienne tandis qu'ils attribueront aux deux îles situées à l'est et à l'ouest de l'Eurasie, le Japon et la Grande-Bretagne, une importance encore plus grande en tant que bases stratégiques pour assurer la stabilité de l'Europe et de l'Asie."

Un élément important de cette transformation s'est mis en place la semaine dernière lorsque le Japon a accepté le principe de permettre au QG de commandement du 1er Corps de l'Armée Américaine son transfert de l'Etat de Washington, sur la côte pacifique des Etats-Unis, vers Camp Zama, situé à proximité de Yokohama, au sud de Tokyo.

Le 1er Corps est responsable des opérations dans les océans Pacifique et Indien, avec un prolongement jusqu'aux zones de conflit et aux champs pétroliers du Golfe Persique. Son déploiement avancé se concentrera d'abord, selon toute évidence, sur la défense de Taiwan et sur les défis régionaux posés par l'expansion militaire de la Chine et l'impasse nucléaire avec la Corée du Nord.

Mais les Etats-Unis, selon certaines sources, a proposé que les opérations de commandement de la 13ème division de l'armée de l'air, pour l'instant basée à Guam dans le Pacifique — une base pour les bombardiers et les avions ravitailleurs à long rayon d'action qui sont souvent déployés au Moyen-Orient — soit déplacée vers la base aérienne de Yokota, à Tokyo.

Christopher Hugues, de l'Université de Warwick, a écrit dans un papier publié par l'Institut International des Etudes Stratégiques que les ramifications de ce dispositif feront que le Japon servirait essentiellement de poste de commandement avancé pour les Etats-Unis dans les opérations de la zone Asie-Pacifique et au-delà.

Une chose est sûre: les déploiements avancés américains seront considérés comme suspects par la Chine, et d'autres, et ils se heurteront à une opposition politique au Japon. Selon le traité de sécurité nippo-américain, les bases américaines ne peuvent être utilisées que "dans le but de contribuer à la sécurité du Japon et au maintien de la paix et de la sécurité internationale en Extrême-Orient". Il ne dit rien, par exemple, sur l'Iran.

Mais le Dr Hugues nous explique que puisque le Japon a déjà donné aux Etats-Unis l'entière liberté d'utiliser ses bases dans le cadre des opérations au Moyen-Orient, Tokyo "pourrait être obligé d'accepter le rôle plus important de pivot du commandement militaire des Etats-Unis".

Les inquiétudes du Japon vis-à-vis de la Chine constituent la raison principale d'accepter les plans américains, qui balayent effectivement toutes les illusions pacifistes qui pourraient subsister. Cependant, dans tous les cas, l'assurance militaire de Tokyo devient de plus en plus réelle sous l'impulsion de son Premier ministre, Junichiro Koizumi.

En effet, le Japon a envoyé des troupes non combattantes en Irak et sa marine s'est jointe à "l'Initiative de Sécurité contre la Prolifération" conduite par les Etats-Unis. Sa coopération militaire avec l'Australie, la Corée du Sud et les Etats d'Asie du Sud-Est se développe.

Le Japon est en train d'acquérir un système de défense par missiles balistiques ainsi qu'une nouvelle capacité de renseignement par satellite. Il a promis d'aider à préserver la paix à Taiwan. Et des pourparlers, en vue d'attaques préventives contre la Corée du Nord et d'une dissuasion nucléaire japonaise, ont même eu lieu.

Bref, le Japon, sortant de l'ombre de son passé, est une nouvelle fois en train de devenir une puissance militaire avec un rôle global et il espère obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

Les actions de la Chine peuvent ainsi être mieux expliquées. Et, de plus grandes manifestations d'hostilité ne feront qu'exacerber le glissement vers une guerre froide asiatique.

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon