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     Les Eurosceptiques Pourraient Bien Être Reconnaissants Envers La Gauche Française
    Par Simon Tisdall
The Guardian , Mercredi 20 avril 2005

Les Français sont peut-être sur le point de tourner le dos au traité constitutionnel de l'Union Européenne, et ils le prennent, sans aucun doute, au sérieux.

"La Constitution Européenne", par le politologue Philippe Moreau Defarges, est arrivée en numéro deux sur la liste des best-sellers non fictionnels de Livres Hebdo de la semaine dernière. En contraste, en Grande-Bretagne c'est Jaime's Dinners [un livre de recettes de cuisine] qui est arrivé numéro un du classement de Waterstone, suivi par le Guinness Book of World Records.

Le dégoût britannique pour les recettes politiques de l'Europe n'est pas nouveau. Mais le non français qui est prédit au référendum du mois prochain sera un choc, surtout pour les Français.

Comme les autres enquêtes, un sondage paru hier dans Le Figaro place le camp du oui 10 points derrière le non. Un tel rejet de la part d'un membre fondateur de l'Europe (et flambeau autoproclamé) laisserait ce traité mort-né.

Les conséquences d'une telle issue sont incalculables. Même Jack Straw, le ministre [britannique] des affaires étrangères, admet qu'il n'a aucune idée sur ce qui arrivera après.

Mais une condamnation française aurait des implications désastreuses pour l'intégration future de l'UE, pour son élargissement, la monnaie unique et l'influence de l'Europe dans le monde. Le projet européen pourrait s'immobiliser — du moins temporairement.

"Je ne pense pas que ce serait forcément une crise majeure," a dit Richard Gowan, du Foreign Policy Centre. "Mais il y aurait un sentiment d'épuisement, qu'il est temps de faire une pause. Il y aurait un sentiment que l'Europe se replie sur elle-même."

Une certitude absolue est qu'un vote en faveur du non signerait la fin du Premier ministre impopulaire français, Jean-Pierre Raffarin. Dominique de Villepin, le ministre de l'intérieur, et Nicolas Sarkozy, le chef de la majorité UMP, rivalisent pour son poste.

Un résultat possible est que l'ambitieux M. Sarkozy soit accusé de ne pas s'être battu assez fort pour la victoire du oui. Mais l'intervention personnelle du Président Jacques Chirac, la semaine dernière, dans la campagne a peut-être été contre productive.

Selon un officiel français, "En grande partie, le vote ne concerne pas l'UE, il a à voir avec le mécontentement vis-à-vis du gouvernement et de Chirac. Pour certains à gauche, il s'avère difficile de voter pour Chirac une deuxième fois [après le deuxième tour de 2002 contre Jean-Marie Le Pen]. Il n'y a aucun doute que certains électeurs veulent lui infliger une correction."

La désillusion causée par la réduction de l'influence française dans une Europe élargie est surtout confinée au sein de l'élite politique, a dit cet officiel. "La plupart des Français soutiennent toujours largement l'UE. Mais ils ont l'impression de ne pas être entendus. Ils sont ce que Raffarin nommait 'la France d'en bas'. Tout cela est très confus. Et le résultat va être très serré."

Les objections du parti socialiste et des syndicats à la dérive libérale soi-disant "anglo-saxonne" de la constitution ont été alimentées indirectement par la critique véhémente de la directive des services de la commission européenne faite par M. Chirac. Mais M. Gowan a dit qu'une grande part de cette difficulté trouve son origine dans les divisions de la gauche.

Paradoxalement, si le traité est battu, M. Chirac et l'UMP pourraient en sortir politiquement renforcés sur le long terme.

"Oubliez l'idée que la Grande-Bretagne sera d'une manière ou d'une autre tirée d'affaire. La présidence britannique de l'UE [qui commence en juillet prochain] pourrait se retrouver face à une France réclamant plus d'intégration et une Europe plus sociale, toutes les choses que les Britanniques n'aiment pas," a dit l'officiel français.

M. Gowan est d'accord pour dire que la défaite du traité serait interprétée en France comme un mandat pour bloquer la réforme de la politique agricole commune. Cela serait aussi vu dans toute l'Europe comme un vote contre un futur élargissement, et en particulier contre l'entrée de la Turquie.

Aurore Wanlin, du Centre for European Reform a déclaré que l'effondrement constitutionnel minerait les politiques communes étrangère et de sécurité — une perspective plaisante pour les conservateurs américains comme pour les eurosceptiques britanniques.

"S'ils veulent toujours avoir un ministre des affaires étrangères européen ou changer le système de vote, cela nécessitera un nouveau traité. Ils devront tout recommencer depuis le début," a-t-elle dit.

Le vote du 29 mai semble avoir toutes les chances d'être beaucoup plus serré que ce que les sondages actuels indiquent. Selon le best-seller M. Defarges, que la défaite serait plus qu'un tremblement. Cela serait un désastre.

Il a déclaré récemment : "L'Europe est comme un vélo, elle ne peut rester stable que si elle avance."

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon