En qui les électeurs vont-ils faire confiance pour changer le pays ? Par Simon Tisdall
The Guardian , Mardi 20 septembre 2005
De tous les discours sur le chaos, le message adressé dimanche par les électeurs allemands aux deux principaux leaders politiques lors du scrutin fédéral est assez clair : ils ont tous deux indubitablement reçu une sévère déculottée.
Pour les Sociaux Démocrates de Gerhard Schrõder, le résultat a été le plus mauvais score depuis 1990. Pour les Démocrates Chrétiens d'Angela Merkel, ce fut quasiment leur plus mauvais score national. La possibilité tant vantée que le SPD et la CDU forme une "grande coalition", excluant les plus petits partis qui ont mieux progressé que ce que l'on attendait, risque d'aliéner encore plus les électeurs qui ont montré peu de confiance dans l'un ou l'autre.
Pourtant, cette élection a mesuré bien plus qu'un vote de protestation ou qu'un arbitrage entre deux personnalités. Les réformes soi-disant néolibérales sur le travail, la protection sociale et les impôts ont dominé une campagne dont le thème central était : comment améliorer les perspectives économiques de l'Allemagne tout en maintenant un filet de sécurité social satisfaisant ? C'est la question centrale qui se pose dans toutes les démocraties en proie à la mondialisation et à la concurrence accrue sur les marchés.
Le résultat de ce scrutin a conduit certains analystes à suggérer que les électeurs allemands étaient allergiques à la réforme. "Les Allemands sont très têtus. Ils ne veulent tout simplement pas changer", a commenté un responsable du gouvernement. "Les électeurs veulent la réforme et en même temps ils ne la veulent pas", a déclaré de Berlin Constanze Stelzenmüller, du Fonds Marshall Allemand. "C'est comme lorsque vous allez chez le dentiste. Vous savez que vous devez y aller. Vous savez que c'est nécessaire. Mais lorsque vous êtes devant sa porte, vous vous arrêtez".
Mais la progression des Libéraux Démocrates, la stagnation des Verts et la percée du nouveau parti de Gauche, qui a remporté 54 sièges au Bundestag, suggèrent une autre conclusion. Tout en acceptant l'idée que des réformes douloureuses étaient inévitables, les électeurs n'ont fait confiance à aucun des leaders des deux principaux partis pour les mettre en place sous une forme digeste ou efficace.
Le record d'abstention (13 millions d'électeurs) a renforcé le rejet de la "politique habituelle". Le nombre d'abstentionnistes a dépassé le nombre d'électeurs ayant donné leur voix pour le FDP, les parties des Verts et de la Gauche réunis, et a mis en lumière la chute à long terme de la participation électorale.
Ce scrutin a aussi révélé un pays divisé entre les deux anciennes Allemagnes de l'Est et de l'Ouest, et entre le Nord et le Sud. Pour la première fois, le parti frère de la CDU - l'Union des Chrétiens Sociaux - a échoué à récolter 50% des suffrages dans la très conservatrice Bavière. La CDU a dominé dans les länder riches du Nord tandis que le SPD s'est mieux comporté dans les régions industrielles. "Dans tous les cas, la moitié des gens aura un chancelier dont elle ne veut pas", a déclaré Madame Stelzenmüller. "Je pense que cela va prendre une semaine pour se régler. Et je pense que Schrõder va garder son job".
Il semble bien que ces résultats reflètent l'humeur qui traverse l'Europe. Le rejet des solutions économiques néolibérales ou à la Blair est au cœur des votes "non" des Français et des Hollandais pour la constitution européenne. De même que la question de l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne. Et il se peut que l'opposition de Madame Merkel à l'adhésion complète de la Turquie ait galvanisé la population d'origine turque - nombreuse en Allemagne - pour la rejeter dans les urnes.
Les partis de centre-gauche français et italien trouveront un réconfort dans le vote allemand à un moment où l'Europe est supposée pencher à droite. Toutefois, il est peu probable que Tony Blair partage leur satisfaction. Les causes jumelles qu'il défend, à savoir des liens transatlantiques renforcés et la réforme de l'UE, ne seront pas aidées par un gouvernement de compromis à Berlin, assailli par un électorat divisé qu'il se sera aliéné.
Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon