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     Ahmadinejad et Israël:
danger planétaire ou corps à corps politique ?
    Par Simon Tisdall
The Guardian , Mardi 20 décembre 2005

Les moqueries hostiles de Mahmoud Ahmadinejad à l'encontre d'Israël ont offensé la quasi-totalité de la planète. Mais les spécialistes de l'Iran sont divisés entre ceux qui pensent que les remarques du président iranien marquent un tournant dangereux dans la conception internationale de Téhéran et ceux qui pensent que cela fait partie de la lutte interne pour le pouvoir.

La menace de M. Ahmadinejad de "rayer Israël de la carte" devrait être prise au sérieux, a dit Martin Indyk, un ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès d'Israël et qui travaille à la Brookings Institution à Washington. "Israël doit-il être satisfait d'avoir marqué un point en isolant un peu plus l'Iran ?" a-t-il demandé. "La réponse selon moi est clairement non".

M. Indyk a déclaré que les menaces du président iranien relevaient de la "guerre par procuration", livrée par l'intermédiaire du Hezbollah au Liban et du Djihad Islamique en Palestine, et qui a duré toute une décennie. M. Ahmadinejad n'est pas non plus tout seul à penser ainsi. L'Ayatollah Ali Khamenei, le dirigeant suprême iranien, a déclaré en septembre dernier que "le Djihad est le seul moyen d'affronter l'ennemi sioniste".

Mais la capacité militaire de l'Iran est limitée - et ne rivalise pas avec un Israël doté de l'arme nucléaire. Selon l'International Institute for Strategic Studies, l'Iran met actuellement une version améliorée du missile balistique Shahab-3, capable de toucher Israël. Si l'Iran acquérait des armes nucléaires, l'équilibre stratégique s'en trouverait radicalement altéré. Mais l'Iran nie avoir une telle ambition ; et des pourparlers sur cette question doivent reprendre le 21 décembre à Vienne.

Un haut-fonctionnaire britannique a fait remarquer que la république islamique, en dépit de son discours anti-occidental, n'a pas de passé d'agression contre un autre état depuis la révolution de 1979 qui a renversé le shah. M. Ahmadinejad ne peut pas non plus changer soudainement sa position militaire. Selon cette même personne, "Au conseil suprême iranien à la sécurité nationale, il n'est qu'une voix parmi de nombreuses autres".

Une explication possible est que M. Ahmadinejad, disciple de feu l'Ayatollah Khomeyni, essaye de ressusciter le rôle de l'Iran en tant que phare révolutionnaire, non contaminé par le contact avec l'Occident.

"Il se considère lui-même comme un dirigeant pan-islamiste s'exprimant pour le compte des masses musulmanes oppressées partout dans le monde", déclare Karim Sadjapour, un analyste de l' International Crisis Group. "Il y a un débat intense au sein de la droite radicale iranienne sur le développement de l'adaptation diplomatique au sujet de la question nucléaire. Une nouvelle génération de partisans d'une ligne dure, dont fait partie Ahmadinejad, s'oppose à cela. Et les pragmatistes s'opposent à eux.

"Il est possible qu'il essaye de se faire bien voir du public pour qu'il soutienne sa position. Mais la plupart des Iraniens ne réagiront pas favorablement. Ils considèrent Israël comme une question arabe. Le chômage et les mesures qu'Ahmadinejad a promises pour améliorer l'économie sont au cœur de leurs préoccupations", a ajouté M. Sadjapour.

Ray Takeyh, du Council for Foreign Affairs, basé aux Etats-Unis, a déclaré que M. Ahmadinejad était "largement indifférent" à l'opinion mondiale extérieure. Mais l'Iran ne pourrait pas se permettre d'abandonner ses efforts post-Khomeyni de s'ouvrir au commerce et à l'investissement étrangers, particulièrement dans le secteur de l'énergie.

Ses partenaires clés, la Russie et la Chine, se sont joints aux critiques à la suite de ses déclarations anti-israéliennes. Une source iranienne bien informée a dit : "Ce qu'il a déclaré à propos d'Israël a ravi les néocons américains, cela a ravi nos rivaux arabes, cela a ravi les Israéliens… Et c'était complètement contre les intérêts nationaux iraniens". Mais l'hostilité des Etats-Unis a été en partie responsable de l'ascension de M. Ahmadinejad. "Vos jusqu'au-boutistes ont créé nos jusqu'au-boutistes."

En prétendant (à l'instar de George Bush) être en mission divine et en prédisant la deuxième venue du Douzième Imam, M. Ahmadinejad a choqué certains observateurs. Charles Krauthammer, un chroniqueur américain conservateur, a dit de lui qu'il était un "fou dont l'état justifie l'internement".

Mais c'est la faiblesse de la politique intérieure iranienne qui explique probablement le mieux son comportement. C'est ce que nous a dit le haut-fonctionnaire britannique. Sa surenchère consistant à purifier la révolution a suscité une vive opposition dans les rangs de la vieille garde conservatrice, des réformistes (qui disent que sa politique est illusoire) et des "oligarques religieux" corrompus qui dirigent les puissants bonyads - ces entreprises semi-officielles très lucratives que M. Ahmadinejad veut contenir.

Toujours selon notre haut-fonctionnaire, M. Ahmadinejad essayait "d'être plus religieux que les mollahs".

"Mais il est très naïf. Il a perdu beaucoup de ses soutiens en ne tenant pas les promesses qu'il avait faites aux gens ordinaires. Tout cela est une question de dynamique interne. Ce n'est pas l'Iran contre l'Occident, c'est l'Iran contre l'Iran. Et plus ça continue, plus il est probable que l'ensemble de ce régime horrible s'effondrera".

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon