accueil > archives > éditos


     Une lettre qui nécessite une réponse
    Par Simon Tisdall
The Guardian, mardi 9 mai 2006

La lettre que Mahmoud Ahmadinejad a envoyée lundi à George Bush — première prise de contact annoncée aussi publiquement depuis la révolution iranienne de 1979 — est peut-être, au-delà de la tentative, une étape importante vers des pourparlers directs avec les Etats-Unis. Etant donnés le niveau de l'inquiétude internationale à propos des activités nucléaires de l'Iran et la réponse que les Etats-Unis pourraient y apporter, il se pourrait que cette lettre soit la missive la plus importante ayant atterri depuis des années sur le seuil de la Maison Blanche.

D'un autre côté, il est tout aussi possible que l'Iran, confronté à une isolation diplomatique croissante, essaye d'exploiter les divisions qui règnent sur la question nucléaire entre les Etats-Unis et le Conseil de Sécurité de l'ONU. Cette offre floue mais alléchante d'Ahmadinejad, qui propose de rechercher des "solutions nouvelles" aux problèmes internationaux, pourrait durcir l'opposition russe et chinoise à la résolution de l'ONU potentiellement fatale, que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France espèrent faire passer cette semaine.

Les Iraniens auront certainement remarqué le cortège qui s'allonge des figures républicaines, qui pressent l'administration Bush de ravaler ses préjugés, d'arrêter de travailler par l'intermédiaire des mandataires européens et de parler directement à Téhéran. John McCain, le rival de M. Bush en 2000 à la nomination républicaine et l'un des candidats probables aux élections présidentielles de 2008, a ajouté sa voix ce week-end. Des discussions directes sont "une option que vous avez probablement considérée", a-t-il déclaré.

Richard Lugar, le président républicain de la commission du Sénat aux affaires étrangères, a proposé que l'Iran se joigne à l'Inde, la Chine, les Etats-Unis et d'autres pays dans le cadre d'un dialogue sur l'énergie et la sécurité. Il a déclaré sur la chaîne ABC qu'il était trop tôt pour faire pression sur des sanctions onusiennes. "Je pense que pour le moment nous devrions calmer celle-là". Malgré les accusations d'apaisement émises par les néocons, des pressions pour que les Etats-Unis engagent la discussion plutôt que des menaces sont aussi venues de Richard Armitage, le secrétaire-adjoint aux affaires étrangères dans le premier mandat de M. Bush, de Kofi Annan, le secrétaire-général de l'ONU, et de Mohammed El-Baradeï, le patron du nucléaire à l'ONU.

Jusqu'à présent, M. Bush a ignoré de tels appels, comptant en partie sur la menace d'une action militaire qui plane pour influencer Téhéran. Des discussions limitées sur l'Irak entre les Etats-Unis et l'Iran doivent encore débuter. Mais une impatience, teintée d'inquiétude sur les dangers inhérents à cette impasse, monte aussi en Europe.

"Du côté européen, le sentiment grandissant est que les Etats-Unis doivent s'impliquer et élargir l'ordre du jour", a déclaré un diplomate, ajoutant que les Américains subissaient des pressions en privé pour changer d'approche. L'Allemagne, où l'opposition à l'action militaire américaine est la plus forte, fait publiquement pression pour engager des pourparlers.

La réponse officielle de Bush à la lettre d'Ahmadinejad sera cruciale. La tentation sera grande pour Bush de voir cela comme un signe de faiblesse et de repousser cette offre, comme cela est arrivé en mai 2003 lorsque Téhéran proposa des pourparlers inconditionnels et approfondis. Cette proposition, similaire à celle d'aujourd'hui, qui avait été transmise par des diplomates suisses, ne reçut aucune réponse de la part d'une Maison Blanche focalisée sur la chute de Bagdad. Mais à l'époque, M. Bush était bien plus fort, politiquement et militairement, qu'aujourd'hui. Une génération d'inimitié, de différences idéologiques pointues et un dégoût personnel seront en balance avec des considérations pragmatiques. Un rejet sec sera interprété par Téhéran et d'autres comme la confirmation que les Etats-Unis utilisent la question nucléaire comme levier pour un changement de régime.

À la question de savoir si cette lettre était le signal d'un virage politique, une source à Téhéran a déclaré : "Lorsque vous écrivez une lettre à quelqu'un, vous vous attendez à recevoir une réponse. Peut-être cela est-il annonciateur de bonnes nouvelles". Mais il ne faudrait pas grand chose pour aller vers la confrontation.

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]