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     Leur relation est difficile, mais les Etats-Unis ont encore besoin d'Islamabad
    Par Simon Tisdall
The Guardian, jeudi 4 mai 2006

Après le 11/9, lorsque le monde de l'Amérique a changé, le Président Pervez Musharraf s'est adapté plus vite que la plupart. Il a rompu les liens officiels que le Pakistan entretenait avec les Taliban, il a soutenu la guerre américaine contre la terreur d'al-Qaïda et il a commencé à dompter les zones tribales rebelles le long de la frontière afghane. Le Général Musharraf est devenu le musulman préféré de George Bush.

Mais Washington a la mémoire courte et, au bout de cinq ans, leur relation est devenue difficile. Les Etats-Unis ont fait écho aux revendications afghanes, selon lesquelles le Pakistan ne montre pas beaucoup de zèle à combattre les opérations frontalières des extrémistes "talibanisés" du Waziristân et d'ailleurs. Les officiels marmonnent sombrement sur la "performance inconsistante" et la "pauvre exécution" à attraper les rebelles d'al-Qaïda.

Une attaque aérienne non-annoncée à l'intérieur du Pakistan en janvier a affaibli le Général Musharraf (et 18 personnes y ont trouvé la mort). Des divergences se sont développées à propos des activités nucléaires voisines de l'Iran ainsi que sur une entreprise de pipeline gazier avec Téhéran. Des investissements chinois lourds dans le port de Gwadar au Baloutchistan, sur la mer arabique, semblent aussi avoir offensé les sensibilités géostratégiques de Washington.

En retour, les responsables pakistanais ont accusé l'Inde, et donc les Etats-Unis, d'attiser les séparatistes baloutchis. Ils se plaignent que Washington n'apprécie pas totalement les risques encourus par le Général Musharraf et les pertes de l'armée au Waziristân. S'exprimant la semaine dernière, le secrétaire aux affaires étrangères, Riaz Khan, a déclaré que "changer l'état d'esprit" des extrémistes était une tâche de long-terme. "Cela ne sert à rien de faire du Pakistan un souffre-douleur".

La récente visite de M. Bush, de passage à Islamabad à la suite de son accord nucléaire avec le rival de toujours, l'Inde, a aggravé les problèmes. Son appel maladroit à des élections libres l'année prochaine a ajouté l'insulte à la blessure.

"Y a-t-il eu un contrecoup à la visite de Bush ? Oui, sans aucun doute", a déclaré un officiel bien informé. Mais il n'y a pas eu de rupture, a-t-il ajouté. Le plan de jeu régional de Washington est toujours centré sur le Général Musharraf et aucun remplaçant n'est en vue pour l'instant. Le dirigeant du Pakistan, manquant de base politique solide et en proie à des problèmes intraitables, avait besoin du soutien des Etats-Unis, quasiment à n'importe quel prix.

"D'un point de vue américain, ce pays est hautement instable. La situation au Waziristân penche en faveur des Taliban. Il y a des troubles au Baloutchistan, au Cachemire, à Karachi. Il y a les partis religieux … La moitié de la population de ce pays est d'un anti-américanisme virulent qui ne fait que croître", a dit cet officiel. "Et puis, il y a Musharraf, assis au sommet de ce volcan. Il est plutôt indispensable. Nous ne sommes qu'à un doigt d'une instabilité considérable. Mais je ne suis pas sûr que nous avons quelqu'un d'autre".

Malgré des pressions publiques américaines pour des élections libres, les diplomates occidentaux à Islamabad prédisent que des considérations stratégiques et de sécurité plus vastes de la part des Etats-Unis seront plus fortes que leurs inquiétudes concernant la démocratie dysfonctionnelle du Pakistan. "Nous n'abandonnons pas l'agenda démocratique", a dit un diplomate. "Mais les drogues, le terrorisme et l'instabilité sont les questions qui ont un impact international direct". Ce sera à la Grande-Bretagne et à l'UE de s'inquiéter du trucage des élections.

Le rédacteur en chef Najam Sethi, a dit que les Etats-Unis voulaient que les partis politiques classiques occupent le devant de la scène pour contrebalancer les groupes religieux - mais il sous-entend qu'au sommet de l'Etat pas grand chose ne changera. "En dépit de ces problèmes, et à moins d'une balle ou d'une explosion mystérieuse, Musharraf restera au pouvoir, continuera de dépenser de grosses sommes d'argent pour ses forces armées et continuera d'être renfloué par la communauté internationale", a-t-il dit.

Cela veut dire que les conflits internes pourraient s'envenimer et se répandre, a mis en garde Samina Ahmed de l'International Crisis Group. "Musharraf n'a aucune base électorale civile. Si les élections étaient vraiment libres et honnêtes, sa position se désintègrerait. Mais l'occident ne l'abandonnera pas et les problèmes se creusent donc. Ils ne font tout simplement pas confiance au peuple".

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]