L’élection afghane : une débâcle cinq-étoiles
Par Simon Tisdall
The Guardian, lundi 2 novembre 2009
article original : "The Afghan election: a five-star debacle"Avec la réputation de l’Onu qui est en miettes et Washington en dénégation sur
la sortie d’Abdullah, Obama doit renverser la tendance ou passer pour un perdant
Dans l’élection présidentielle afghane déshonorante de 2009, tout le monde est perdant. La « victoire » d’Hamid Karzaï, obtenue d’abord par la fraude et maintenant par défaut, laisse de lui l’image d’un personnage diminué et sali. L’administration US, qui a orchestré tout le processus, n’a toujours pas de partenaire crédible à Kaboul, essentiel à ses yeux pour réussir.
La réputation de probité de l’Onu, victime de l’inaction et des combats internes féroces parmi ses fonctionnaires, est sérieusement atteinte et touche le caniveau. La mission de l’Otan a l’air encore plus désorientée et mal définie qu’auparavant. La cause du peuple afghan, tour à tour perplexe ou terrorisé, n’avance plus et pourrait même, en vérité, avoir reculé.
Les officiels étasuniens ont frisé le ridicule en prétendant que le processus électoral restait crédible, malgré la décision d’Abdullah Abdullah, le seul rival restant de Karzaï, de se retirer du deuxième tour. Renvoyant à des précédents électoraux américains très dissemblables, la secrétaire d’état Hillary Clinton a déclaré que son retrait ne détruisait pas nécessairement la validité du deuxième tour – même si un unique candidat restait en lice.
« Il n’est pas surprenant qu’il [Adbullah] ne concourre par dans une élection qu’il n’allait pas gagner », a dit, sous condition d’anonymat, un officiel de la Maison Blanche au Washington Post. « Il ne s’agit en aucune manière d’une contestation du processus destiné à choisir le prochain président afghan. C’est politique ». Cet officiel a poursuivi : « Bien que cela secoue, ça n’affecte pas la légitimité du processus ».
Cette interprétation créative des événements du week-end ne tenait pas compte du fait que c’était Hillary Clinton et Richard Holbrooke, le représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, qui ont forcé Karzaï, il y a seulement quelques jours, à accepter un second tour. C’était essentiel, disaient-ils, étant donné que cette prétendue victoire du premier tour était frauduleuse jusqu’à la farce.
Les communicants de la Maison-Blanche ont escamoté la conclusion évidente, à la suite du retrait d’Abdullah, que nonobstant tout leur pouvoir et leur influence, les Etats-Unis, l’Onu et les diplomates occidentaux réunis, plus la Commission Electorale Indépendante d’Afghanistan, ont été incapables, en fin de compte, d’assurer un scrutin libre et honnête.
L’appel d’Abdullah au remplacement des officiels électoraux compromis a été ignoré. Le souhait de l’Onu que le nombre de bureaux de vote soit réduit pour diminuer les chances d’une répétition de la fraude a été rejeté sans ménagement. Il était devenu clair, ces derniers jours, qu’il n’y avait pas grand chose, voire rien, à faire pour empêcher un nouveau bourrage des urnes généralisé.
Que le deuxième tour se poursuive reste incertain à ce stade. Si Abdullah passe une sorte d’accord de partage du pouvoir ou d’unité nationale avec Karzaï, le scrutin pourrait être annulé et un embarras supplémentaire évité. Ou alors, il pourrait avoir lieu – mais plus « en douceur », étant donné qu’il n’y aura aucune véritable compétition. Certains officiels occidentaux semblent espérer en privé cette sorte d’esquive.
Peter Galbraith, un ancien diplomate américain de premier plan qui a été viré de la mission onusienne à Kaboul pour n’avoir pas voulu fermer les yeux sur le bourrage des urnes, a mis en garde la semaine dernière qu’un second tour entaché de fraude serait « catastrophique pour l’Afghanistan et la mission militaire allié combattant les Taliban et al-Qaïda ». Pour cette raison, d’autres pourraient dire que rendre inutile un second tour a des avantages évidents.
Galbraith a dit qu’un second mandat de Karzaï, quelle que soit la façon dont il sera remporté, sera « entaché, tant en Afghanistan qu’à l’étranger ». Pour surmonter cette crise de légitimité, il a préconisé l’adoption des réformes mises en avant par Abdullah, qui permettraient un plus grand partage du pouvoir entre les groupes ethniques, l’élection de gouverneurs provinciaux, un pouvoir accru pour les gouvernements locaux et la nomination d’un premier ministre et de son cabinet par le parlement, pas par le président.
Barack Obama pourrait insister sur de telles réformes, comme faisant partie de la refonte politique afghane qui n’est pas terminée. Réduire les pouvoirs de Karzaï de cette façon fournirait un cache-sexe à l’échec abject de Washington à garantir les avancées démocratiques et gouvernementales espérées, afin de justifier une implication militaire toujours plus coûteuse et toujours plus impopulaire des Etats-Unis et de l’Otan.
Dès vendredi dernier, Obama, tel un professeur dans sa tour d’ivoire se débattant pour voir la réalité en face, appelait toujours à plus d’options sur le papier de la part du Pentagone au sujet du futur niveau de troupes. Le dernier mot à Washington est que les forces étasuniennes seront augmentées, toutefois moins que les 40.000 soldats supplémentaires requis par son commandant, le Général Stanley McChrystal. Ils serviront à protéger des villes afghanes clés et des centres de population des attaques Taliban. En dehors des villes, les forces des Etats-Unis et de l’Otan pourraient passer aux tactiques contre-terroristes façon guérilla.
Il se peut que si on lui en donne le temps, Obama puisse changer les choses. Mais son incapacité à empêcher l’élection promue par les Etats-Unis de se transformer en une débâcle cinq-étoiles a été dommageable. Cela l’a fait passer pour quelque chose qu’il a rarement été dans sa vie – un perdant, exactement comme tout le monde. Les seuls vainqueurs hier étaient les « méchants ».
Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques] >