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     Changement de pouvoir au Pakistan
    Par Simon Tisdall
The Guardian , mercredi 3 mai 2006

Dans les cloîtres des mosquées de Peshawar, en haut des passages accidentés de la frontière nord-est et dans les profondeurs des salons bien rembourrés de l'opposition à Lahore, il y a un consensus croissant pour dire qu'il est temps que Pervez Musharraf s'en aille. Mais qui remplacera le général-président, celui qui dirige le Pakistan depuis 1999 sans avoir été élu ? Et comment faire en sorte qu'il s'en aille ? Ces questions restent sans réponses. Cela signifie donc que, comme à chaque fois dans le passé, le changement de pouvoir inéluctable se produira probablement dans le désordre.

Alors que le pays progresse prudemment vers les élections promises pour l'année prochaine, les deux partis politiques principaux, tous deux dans l'actuelle opposition, doutent que des élections libres et honnêtes soient possibles sous le pouvoir actuel. D'ici aux élections, ils réclament un gouvernement intérimaire et une commission électorale vraiment indépendante. Certains militants prétendent que le trucage est déjà en cours.

Les dirigeants en exil de ces partis, Benazir Bhutto pour le PPP (Parti du Peuple Pakistanais) et Nawaz Sharif pour la Ligue Musulmane du Pakistan, tous deux anciens Premiers-ministres, ont temporairement uni leurs forces dans une "alliance pour la restauration de la démocratie".

Lors d'une rencontre à Londres qui s'est tenue la semaine dernière, ils ont formé le vœu de revenir sur les changements constitutionnels opérés par le Général Musharraf, qui a renforcé les pouvoirs présidentiels, et ils ont appelé conjointement à la fin de l'interférence militaire dans la politique.

Mais les deux dirigeants sont d'anciens ennemis qui ont tous deux travaillé étroitement dans le passé avec l'armée. Ils sont tous deux soupçonnés d'être capables de casser cette union et de passer un accord — si cela est la manière la plus sûre pour reprendre le pouvoir.

Pour Sherry Rahman, l'un des responsables du PPP, il faut garder les yeux sur Musharraf, car ce dernier est déterminé, advienne que pourra, à rester en place et ne gênera pas pour truquer les élections. "Il fait ce qui lui plaît, change les règles et la constitution. C'est une dictature de pacotille. [La seule chose qui intéresse Musharraf] est de garder le pouvoir coûte que coûte".

Le PPP a beau bénéficier d'une popularité sans précédent, ce parti est confronté à un dilemme qui menace, a déclaré Mme Rahman. "Benazir reviendra et sera arrêtée.

"Soit nous boycottons les élections et nous perdons, soit nous y participons et nous légitimons un imposteur".

Najam Sethi, le rédacteur en chef du Daily Times à Lahore, a esquissé un scénario moins dramatique :

Mme Bhutto accepterait d'attendre le bon moment, se positionnant comme successeur naturel du Général Musharraf. En retour, elle serait libérée de la menace d'une arrestation et serait en fait politiquement réhabilitée.

La semaine dernière, le Général Musharraf a dit au Guardian qu'il ne voyait personnellement aucune objection au retour de Mme Bhutto. Cependant, tous les commentateurs disent que les pressions économiques, sociales et de sécurité qui s'accroissent rapidement au Pakistan, menaçant de submerger tout futur gouvernement, mettent hors jeu les manœuvres habituelles des élites politiques.

"Si Musharraf est encore au gouvernement, les élections ne voudront rien dire", déclare Qazi Hussein Ahmad, l'influent dirigeant du Jamaat-e-Islami, force clé au sein d'une alliance de partis religieux qui soutenaient auparavant Musharraf. "S'il ne part pas, il y aura des protestations dans tout le pays. Nous prendrons toutes les mesures appropriées, jusqu'à ce que la violence explose".

Mubashir Hasan, ministre des finances sous Zulfikar Ali Bhutto (le père de Mme Bhutto), a déclaré que le problème fondamental du Pakistan n'était ni son déficit démocratique, ni même la pauvreté endémique. Le véritable problème réside dans l'absence de justice et de respect que montre la classe dirigeante (tant politique que militaire) vis-à-vis de la masse.

"Ce pays devient ingouvernable. La criminalité est en augmentation, de même que la contestation politique violente, la tension entre les provinces, ainsi que les antagonismes religieux et sectaires", a déclaré le Dr Hassan. "Tant que l'armée n'aura pas relâché son emprise sur la vie publique et que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne cesseront pas d'intervenir dans son gouvernement, rien ne changera pour le meilleur.

"Pour l'armée, l'élection n'est qu'un moyen de faire plaisir au reste de la planète", a-t-il dit. "Mais s'il y a des preuves que l'élection est truquée, on se retrouverait dans une situation similaire à la Thaïlande ou à l'Ukraine".

Si le Pakistan volait en éclat nous risquerions d'assister à un bouleversement politique majeur !

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]