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La puissance et le peuple

    Par Simon Tisdall
The Guardian, Lundi 21 août 2006

L'Iran dit vouloir l'énergie nucléaire pour faire tourner son économie.
Les Etats-Unis, de leur côté, soutiennent que les Iraniens veulent
fabriquer une 'bombe islamique'. Mais que pensent les Iraniens de
la crise qui se creuse ? Simon Tisdall, à qui il a été accordé une
autorisation exceptionnelle, a parlé avec les gens de la rue, à Téhéran
— ainsi qu'aux hommes en charge du programme nucléaire du pays



Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, lors d'une conférence de presse à Shanghai.
Photographie : Elizabeth Dalziel/AP

Les tensions entre l'Iran et l'Ouest ont rarement été plus grandes qu'elles ne le sont aujourd'hui. D'un côté, le Président George Bush a accusé l'Iran d'être derrière l'attaque d'Israël par le Hezbollah, qui a déclenché la guerre du Liban ; et, aussi bien les Etats-Unis que la Grande-Bretagne disent que l'Iran se penche sur le développement d'armes nucléaires. De son côté, le Président Mahmoud Ahmadinejad a accusé l'administration Bush de fouler aux pieds, dans le monde entier, les droits des musulmans ; les Etats-Unis sont l'"Arrogance Globale" (terme qui a remplacé le "Grand Satan" dans le vocabulaire iranien) et les plans de Washington pour un "Nouveau Proche-Orient" ne sont qu'un programme destiné à subjuguer cette région aux Etats-Unis et à aux intérêts commerciaux.

Il y a tout juste une semaine, un article de Seymour Hersh (le très respecté journaliste d'investigation étasunien), affirmait que la guerre contre le Hezbollah, mandataire de l'Iran, était un échauffement prémédité dirigé par les Etats-Unis, en vue d'une attaque contre l'Iran lui-même. [Et cet article] a alimenté les craintes de Téhéran qu'une attaque aérienne contre ses installations nucléaires, voire un changement de régime, n'arrive à l'ordre du jour sur l'agenda étasunien. À Téhéran, les officiels s'inquiètent de ce que, après l'Afghanistan et l'Irak, l'Iran ne soit considéré par Bush comme "un boulot pas fini" — et que, sous la pression d'Israël, celui-ci est déterminé à détruire ce que ces deux pays perçoivent comme la menace "d'une bombe islamique" qui pointe. Lorsqu'ils entendent les paroles de Bush, [évoquant] des "fascistes islamiques", ils se demandent si Bush va bientôt les attaquer.

Il y a moyen d'en sortir

Demain, le gouvernement iranien présentera sa réponse, attendue depuis longtemps, à l'offre occidentale de la dernière chance d'un compromis sur l'énergie nucléaire. Cet ensemble de mesures, soutenu tardivement par les USA, offre à l'Iran toutes sortes de récompenses, allant de la sécurité implicite, des garanties territoriales et d'une fin des sanctions, à de nouvelles collaborations commerciales et technologiques. Mais d'abord, Bush exige que l'Iran suspende toutes ses opérations d'enrichissement d'uranium, que Washington croit être liées à ses tentatives d'acquérir la capacité de fabriquer des bombes.

Jusqu'ici, l'Iran a insisté sur le fait qu'il n'acceptera pas de telles conditions préalables. Les Iraniens déclarent qu'ils sont disposés à reprendre les négociations avec l'Ouest — mais sur un pied d'égalité. Ainsi, lorsque Ahmadinejad présentera la réponse officielle de l'Iran, lors d'une conférence de presse à Téhéran, la scène d'un désaccord épique, qui pourrait se répercuter dans tout le Proche-Orient et bien au-delà, sera dressée. Jusqu'à présent, cette affaire a surtout été rapportée de l'extérieur et sous un angle occidental. Mais, à l'intérieur de l'Iran, comment voit-on les perspectives de guerre et les espoirs de paix ? Durant ces deux dernières semaines, le Guardian a bénéficié d'un accès sans précédent pour explorer ce que pensent les Iraniens de la rue sur la question la plus oppressante à laquelle leur pays est confronté — et ce que certains des hommes les plus puissants du pays pensent qu'il se produira après.

Une partie d'échecs diplomatique

Dans le sanctuaire aux tapis épais et haut de plafond du bâtiment du Conseil Suprême de Sécurité Nationale, qui ressemble à une forteresse en plein centre de Téhéran, Ali Larijani passe en revue avec patience les facteurs qui joueront un rôle dans la décision de l'Iran. La CIA aimerait énormément pénétrer dans ces murs. Peut-être l'a-t-elle déjà fait : les téléphones mobiles et autres appareils électroniques des visiteurs sont confisqués. En Iran, Larijani est un homme important. En tant que secrétaire du conseil de sécurité et négociateur nucléaire en chef, c'est lui et son prédécesseur Hassan Rowhani qui ont tour à tour alléché, tourmenté et fâché l'Ouest, pendant les trois années de discussions sur le dossier nucléaire. L'Iran joue un jeu de négociation, long et astucieux, que Larijani compare à une "partie d'échecs diplomatique". Les Iraniens déclarent qu'ils ont appris en servant leurs maîtres : les puissances européennes qui ont exploité la Perse tout au long du "Grand Jeu" du 19ème siècle. La Grande-Bretagne est toujours désignée sous le nom du "Vieux Renard".

Larijani, qui était le chef sévère de la télévision d'Etat et dont les programmes étaient aussi édifiants moralement que totalement ennuyeux, a une réputation intimidante. L'Occident a vu sa nomination par Ahmadinejad comme la représentation d'un retour sinistre à l'esprit récalcitrant. Mais, en tant que personne, c'est un homme charmant et courtois.

"L'Iran recherche l'énergie nucléaire pour de nombreuses de raisons," déclare-t-il. "L'histoire de notre activité nucléaire remonte à 45 ans, à l'époque de l'ancien régime du Shah. Mais après la révolution islamique, certains pays occidentaux condamnèrent l'Iran et annulèrent les accords nucléaires qu'ils avaient passés avec nous. Par exemple, les Américains avaient signé un accord sur un réacteur de recherches scientifiques à Téhéran, dans lequel ils s'engageaient également à fournir le combustible. Mais ils ont annulé cet accord et n'ont pas rendu l'argent. Les Allemands ont fait la même chose. La leçon était donc la suivante : Nous devons être autosuffisants pour fournir nous-mêmes le combustible".

Il continue : "Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions arrêter la recherche scientifique de notre pays. Nous comprenons pourquoi ceci est très sensible. Mais ils (les Occidentaux) classent les pays dans des catégories. Quelques pays peuvent accéder à la haute technologie nucléaire. Aux autres, on leur dit qu'ils peuvent produire du jus de fruit et des poires ! Voici ce qu'ils disent : 'Ne cherchez pas à fabriquer une bombe nucléaire.' Nous n'avons aucune objection à cela. Mais malheureusement, les responsables dans certains pays, comme au Royaume-Uni, disent : 'Nous ne voulons pas que vous ayez la connaissance de la technologie nucléaire '. Ce n'est pas logique. Et nous n'y prêtons pas attention."

Les impulsions contradictoires des Américains sont responsables de cette impasse, a-t-il dit. "Après le 11 septembre 2001, ils ont rencontré un problème avec l'Afghanistan. Ils ont demandé l'aide de l'Iran et nous la leur avons donnée. Mais ensuite, une fois le problème terminé en Afghanistan, ils ont dit que nous étions 'l'axe du mal'. Ce paradoxe a toujours été leur manière de faire. Ils veulent vous embrasser sur une joue, mais en même temps ils veulent aussi gifler l'autre."

L'Iran est toujours prêt à négocier, conclut Larijani, mais il ne renoncera pas à son programme d'énergie nucléaire. Il ne se pliera pas non plus aux conditions préalables telles que l'exigence de Bush d'une suspension immédiate de l'enrichissement d'uranium. "S'ils veulent parvenir à un accord imposé en faisant pression contre nous, nous ne l'accepterons pas. Si l'atmosphère n'est pas appropriée, nous pouvons retarder notre réponse. Si vous essayez de cultiver une fleur dans de la terre salée, elle ne se développe pas".

Pour Larijani, le respect est un minimum. Et son manque évident de la part de Washington, amplifié par les propos inconsidérés d'imposer un changement de régime, est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles l'Iran se tourne vers le nucléaire.

Une société changeante

Téhéran est une ville aux parcs élégants. Et aucun d'eux n'est plus serein que le Parc Saï, à deux pas de l'avenue Vali-e Asr, l'une des principales artères de la capitale. Connu sous le nom de "parc des amoureux", c'est là où les jeunes — et pas si jeunes — couples s'assoient au crépuscule sous une voûte de chinars, de cyprès et de pins parfumés, bavardant ou échangeant un peu d'intimité, partageant crème glacée et échangeant leurs numéros de téléphone.

Selon Reza, 27 ans, et sa petite amie, les choses sont plus faciles à vivre socialement qu'elles ne l'étaient il y a 10 ans. Ils attribuent ce changement à la présidence de Mohammed Khatami, le prédécesseur réformiste d'Ahmadinejad. Malgré les instincts conservateurs d'Ahmadinejad, le nouveau gouvernement n'a pas pu pas faire rentrer dans sa bouteille le Génie de la culture qui vient de la rue, déclare Reza.

"Il y a plus de libertés individuelles. Vous n'êtes plus harcelé comme avant. Les jeunes changent les comportements des anciens. Ils doivent l'accepter — ils n'ont pas le choix, ils suivent donc le mouvement". Et dans un pays de 70 millions d'habitants, où les deux-tiers de la population a moins de 30 ans, la tendance semble irréversible.

Le gouvernement extrémiste actuel n'est pas populaire auprès d'un grand nombre de citoyens que l'on rencontre au Parc Saï. Ils se plaignent de son échec à étendre et à diversifier une économie contrôlée environ à 80% par l'Etat. Les plus jeunes se font des soucis pour leurs emplois et leurs carrières et s'inquiètent des difficultés pour voyager à l'étranger et de la censure Internet. Ils regrettent le manque de choses à faire et les endroits pour se réunir. Leila, 27 ans, dit qu'elle aimerait bien se rendre dans des soirées, allez en discothèque ; elle voudrait chanter. "Mais ils n'autorisent pas les femmes à chanter, le saviez-vous? Les chanteuses sont interdites. Ils disent qu'elles attirent trop les hommes. Pauvres hommes ! Comme ils ont des cerveaux bien faibles!"

Yousouf, 63 ans, voit les choses différemment. "J'étais métallurgiste jusqu'à ma retraite. J'ai été formé aux Etats-Unis pendant le régime du Shah. J'ai travaillé toute ma vie. Mais maintenant, je dois prendre du travail à temps partiel parce que ma pension n'est pas suffisante. Ce gouvernement n'est pas bon du tout, ce sont tous des bons à rien." Yousouf a une autre plainte à formuler : le gouvernement envoie de l'argent au Hezbollah, au Liban, et [cet argent] serait mieux dépensé ici. "Vous devez d'abord vous occuper de vos propres citoyens."

Son ami, Ali, en convient. Il veut savoir dans quelles poches atterrissent les revenus pétroliers records de l'Iran. "Certains d'entre eux [l'élite gouvernante] achètent des voitures à 100.000 dollars [env. 80.000 €]. Vous rendez-vous compte ?! Ont-il obtenu cet argent en travaillant ?"

De la même manière, le style personnel d'Ahmadinejad, teinté de populisme nationaliste et caractérisé par la manière provocante dont il gère la question nucléaire, lui vaut beaucoup d'admirateurs dans le Parc Saï et au-delà. "Pourquoi ne nous laissent-ils pas tout simplement tranquilles et vivre selon nos propres règles ?" demande un ingénieur de 32 ans.

"L'Iran a droit à l'énergie nucléaire," a scandé une foule à Ardabil, au nord de l'Iran, la semaine dernière. À chacun des meetings, d'une série de neuf, auxquels s'est adressé Ahmadinejad, les sentiments exprimés par les gens ordinaires sont les mêmes. Les tentatives occidentales de refuser à l'Iran l'accès à la technologie nucléaire sont "une tentative évidente de nous maintenir vers le bas, comme ils veulent maintenir vers le bas tous les pays en voie de développement," dit Madjid, 30 ans, qui enseigne à Téhéran. "Nous ne voulons pas d'armes nucléaires. Mais nous voulons construire notre pays. Qu'est-ce qui ne va pas avec ça ?"

Les Iraniens peuvent être coupés du monde moderne occidental de beaucoup de manières, mais ils connaissent bien la longue histoire de l'intervention occidentale en Perse. Du Traité de Golestân en 1813, grâce auquel la Russie a pris le contrôle des territoires caucasiens de l'Iran, au coup d'Etat de 1953, mené par la CIA et qui a renversé le Premier ministre iranien démocratiquement élu, Mohammed Mossadegh, en passant par la prise d'otages à l'ambassade des USA et le scandale de l'Irangate [Iran-Contra], une histoire d'assujettissement national et d'humiliation, on comprend mieux le contexte dans lequel l'Iran perçoit l'Occident. Et pour les Iraniens, les discours occidentaux désobligeants sur "les mollahs fous" font écho à la référence moqueuse d'un diplomate britannique du 19ème siècle : ces "orientaux incompréhensibles". Cela sent l'irrévérence.

Et maintenant, avec les néoconservateurs de Washington d'un côté et les néoconservateurs d'Ahmadinejad de l'autre, cet antagonisme réciproque et ce malentendu sont arrivés à un stade critique. Certaines analyses soutiennent que cela conduit les deux pays au bord d'une confrontation militaire. Selon les experts, l'attaque possible des USA pourrait prendre la forme de "frappes de précision" sur les quatre installations nucléaires principales et probablement sur les forces armées iraniennes, ainsi que les bases des Gardiens de la Révolution. Mais les planificateurs du Pentagone savent que l'Iran a le potentiel d'exercer des représailles, comme l'a montré le succès inattendu du Hezbollah au Liban. Cette semaine, l'ambassadeur des Etats-Unis en Irak a accentué ce qu'il a dit des tentatives iraniennes consistant à pousser les militants chiites à attaquer les forces de la coalition en Irak. Et Bagdad n'est qu'un théâtre possible des représailles iraniennes si les USA appuyaient sur la gâchette.

Mohammed Saïdi a le sens pratique. Évitant les aspects politiques, idéologiques et historiques de la querelle nucléaire avec l'Ouest, le vice-président de l'Organisation Iranienne à l'Energie Atomique de l'Iran est fixé sur un ensemble de problèmes, devant être résolus logiquement, pour que le pays et le peuple puissent se développer à pleine capacité. "Les réserves de pétrole et de gaz de l'Iran dureront encore 25 ou 30 ans, au maximum," dit-il. "Par conséquent nous devons assurer d'autres ressources".

Environ 7.000 personnes travaillent dans l'establishment atomique iranien — principalement à Téhéran et aux complexes de Bushehr, d'Arak, d'Ispahan et de Natanz. Saïdi indique qu'il y a des plans pour construire un total de 20 centrales nucléaires, pour un coût de 24 / 25 milliards de dollars [19 à 20 milliards d'Euros]. On s'attend à ce que la première d'entre elles, Bushehr, construite avec l'aide de la Russie, commence sa production l'année prochaine. Saïdi explique qu'en se tournant vers le nucléaire, l'Iran ne fait que suivre la voie des autres pays dont la population augmente en même temps que la demande d'énergie. L'énergie nucléaire est meilleur marché, et son composant brut, l'uranium naturel, est très abondant dans les déserts du centre de l'Iran.

Depuis qu'Ahmadinejad a annoncé, en avril dernier, que l'Iran maîtrisait désormais le processus d'enrichissement de l'uranium, c'est la cascade de 164 centrifugeuses construite à Natanz qui a attiré l'essentiel de l'attention internationale. Ce fut Natanz qui a finalement décidé les Etats-Unis à se joindre aux négociateurs européens dans l'offre globale des récompenses accompagnant le compromis qui est à présent avancé. Mais, à l'instar de Larijani, Saïdi insiste sur la nature de ce travail qui n'en est qu'au stade de la recherche et sur les inspections continues de Natanz et des autres centrales par l'Agence Internationale à l'Energie Atomique.

Essayer de détourner le matériau nucléaire dans le but de fabriquer des bombes, sans que l'Onu le sache, serait "impossible", dit-il, et si nous parvenions à un accord, Téhéran serait prêt à réintroduire les contrôles sur place. Mais, de toute façon, la fabrication de bombes n'est pas l'objectif de l'Iran — même s'il en avait la capacité, ce qu'il n'a pas — déclare Saïdi. Les experts mondiaux et indépendants tendent à convenir que l'Iran, actuellement, n'a pas les moyens de construire une arme nucléaire. Mais cela ne veut pas dire pas qu'il ne les aura pas dans le futur.

Saïdi réfute que l'Iran a gardé secrètes ses installations de Natanz, comme l'a prétendu en 2003 l'administration de Bush. Il dit qu'il n'y avait aucune nécessité légale d'en informer l'AIEA avant que le matériau nucléaire ne pénètre dans la centrale. "Natanz est une très grande centrale. On ne peut pas la cacher. Elle n'a jamais été secrète."

Malgré le flot de révélations sur le réseau de prolifération dirigé par le scientifique pakistanais, AQ Khan, il nie également recevoir l'aide du Pakistan, que ce soit actuellement ou par le passé. "Nous n'avons aucune relation avec le Pakistan sur les questions nucléaires. Tous les équipements et composants que nous employons sont fabriqués par des compagnies et des usines iraniennes." Inutile de dire que de telles déclarations sont contestées par les USA et d'autres gouvernements occidentaux, qui soupçonnent que l'Iran pourrait poursuivre un programme secret et parallèle d'enrichissement d'uranium, en utilisant des centrifugeuses plus avancées. Ils craignent aussi que l'Iran expérimente le retraitement de plutonium. Mais toutes les affirmations de ce genre reçoivent un démenti catégorique.

"Nous n'avons aucun programme secret. Nous n'avons aucun secret", déclare Saïdi. L'Iran ne veut pas la bombe, insiste-t-il, comme les autres responsables ; et il n'a aucun plan pour construire une. Ce qu'il veut est un futur approvisionnement abondant en énergie nucléaire pour alimenter l'essor d'une nouvelle nation plus puissante — et dans cette ambition, l'Iran ne tolèrera aucun obstacle.

La vision d'Ahmadinejad

L'homme qui pourrait faire toute la différence est Ahmadinejad lui-même. Il insiste sur le fait que les intentions de l'Iran ne sont pas de fabriquer la bombe : "Les Iraniens ont réussi à maîtriser par eux-mêmes le cycle complet de l'enrichissement d'uranium. Mais nous l'emploierons à des buts pacifiques, pour l'énergie nucléaire. C'est notre droit et personne ne peut nous l'ôter". Mais l'homme est mieux connu à l'Ouest pour son désir de "rayer Israël de la carte" et de sa mise en doute de l'Holocauste. Ce fils de forgeron qui s'est hissé jusqu'à devenir le maire de Téhéran avant de gagner inopinément la présidence il y a un an ce mois-ci, est une figure controversée aussi à l'intérieur de l'Iran. Un grand nombre d'Iraniens, surtout dans la classe ouvrière et les régions rurales, l'adorent. Les autres, en particulier dans l'élite intellectuelle de Téhéran, craignent que sa croyance islamique dévote et ses instincts politiques conservateurs isolent un peu plus le pays.

Car le président iranien est un vrai croyant. Il maintient que la révolution 1979 qui a renversé le Shah a été souillée et trahie, après la mort de son chef, l'Ayatollah Ruhollah Khomeyni, par les pragmatiques et les mercantilistes corrompus, par les corrupteurs et les réformistes pro-occidentaux. Le célèbre style de vie humble d'Ahmadinejad, souligné par ses vestes froissées et sa barbe négligée, n'offre qu'un seul indice de l'esprit fondamentaliste qui l'anime. Les habitants de Téhéran disent que sa vision est un retour aux idéaux de 1979, incluant un conservatisme social revigoré, une piété populaire rétablie et le rejet de principe de l'Occident "Croisé" chrétien et sioniste.

Beaucoup de politiciens modérés, de diplomates occidentaux et de citoyens ordinaires disent que la vision d'Ahmadinejad est de remonter le temps à une époque plus honnête et plus consciencieuse. Et y a-t-il une meilleure manière de démontrer les vertus toniques et la force de ce retranchement religieux que le défit lancé à l'Ouest sur la question nucléaire ? Voici une occasion magnifique de réaffirmer l'indépendance et la dignité compromises de l'Iran — et de restaurer à la fois le respect international et les valeurs religieuses, selon lesquelles Ahmadinejad croit que la révolution, depuis 1989, a été dilapidée. C'est la chance d'Ahmadinejad.

Il peut être naïf de croire que le gouvernement iranien, entouré de voisins dotés de l'arme nucléaire et directement menacé par les USA, ne cherche pas à acquérir une capacité nucléaire. "Depuis la victoire de la révolution, les Américains n'ont pas cessé de chercher à changer le régime iranien," lance Larijani. Si l'on prend en compte ces convictions largement répandues, ainsi que l'exemple de plusieurs autres pays qui ont fabriqué des armes atomiques sans affronter de sanctions sérieuses, les dirigeants iraniens pourraient passer pour négligents en ne cherchant pas à s'armer eux-mêmes.

Mais plus naïve, peut-être, et potentiellement encore plus déstabilisante, est l'apparente croyance d'Ahmadinejad, qu'en se confrontant avec l'Occident sur la question nucléaire, il peut ressusciter l'ère Khomeyni idéale et pure de la révolution islamique fondamentaliste dans un pays qui change rapidement. La plupart des Iraniens soutiennent la poursuite du gouvernement vers l'énergie nucléaire. Mais la plupart s'oppose à la théocratie intolérante qui est le legs de Khomeyni.

Dons son brillant nouveau livre, "Confronting Iran", Ali Ansari dépeint comme une force imparable la "sécularisation" croissante de la société iranienne. "De moins en moins de personnes montrent de l'intérêt pour une religion organisée", écrit-il. Et, à Téhéran, cette évidence est partout. L'Iran est un pays riche mal dirigé. Lentement mais sûrement, son peuple exigera et obtiendra le changement. L'Iran semble vraiment destiné à redevenir une grande puissance régionale, mais ce destin a toute chance de se produire malgré ses dirigeants religieux — et malgré l'intimidation contre-productive de l'administration Bush.

Ahmadinejad, le champion des droits nationaux iraniens, qui s'exprime bien, est un personnage puissant. Mais Ahmadinejad, le chef visionnaire potentiel d'une révolution résurgente qui attend le retour de l'Imam caché, vit dans une illusion dangereuse. Et ce sont aux Iraniens, pas à l'aviation étasunienne, auxquels ont devrait permettre de briser son rêve.

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]