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L'intervention iranienne ravive une inimitié ancienne

    Par Simon Tisdall
The Guardian, vendredi 21 juillet 2006

Les gouvernements arabes Pro-occidentaux ont vivement critiqué le Hezbollah d'avoir provoqué les frappes israéliennes sur le Liban. Loin de soutenir la tentative de la milice libanaise de prendre les armes contre l'ennemi traditionnel du monde arabe, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Jordanie et les Etats du Golfe — mais pas la Syrie — ont conjointement condamné cette semaine les actes "irresponsables et inacceptables" de ce groupe. Leur position est apparue comme une surprise bienvenue pour Israël et ses supporters étasuniens.

La réaction exactement opposée est évidente dans la rue arabe. La sympathie pour les civils du Liban est égale à l'indignation croissante vis-à-vis de la réponse d'Israël et de l'impuissance et du consentement des dirigeants arabes, perçus comme tels. La critique officielle d'Israël se développe ; hier, l'Arabie Saoudite a durci sa position. Mais certains analystes politiques suggèrent que, si les appels arabes à un cessez-le-feu restent vains, la crédibilité, déjà au plus bas depuis le 11/9, des régimes de la région, pour la plupart non élus, pourrait subir un nouveau coup sérieux.

"Le Hezbollah a gagné beaucoup de respect parmi les Arabes pour la manière dont il s'est battu contre les Israéliens," a commenté Chris Doyle, le directeur du Conseil pour la Compréhension Arabo-Britannique. "Le temps est révolu où les gouvernements arabes pouvaient méditer sur la confrontation ouverte avec Israël, en raison des déséquilibres militaires et économiques profonds. Ils craignent constamment que la colère publique concernant Gaza et les territoires occupés les pousse dans un conflit qu'ils perdraient certainement. Ainsi, leur instinct présent, comme toujours, est d'essayer de garder le contrôle des choses."

La crainte qu'inspire le Hezbollah est aussi ancrée dans l'inquiétude des cercles de pouvoir qu'un schisme sunnite-chiite se produise dans tout le monde arabe, a dit M. Doyle. Cela fait presque deux ans que le Roi Abdallah de Jordanie a prévenu de l'arrivée d'un Chiisme "croissant" s'étendant de l'Iran et de l'Irak au Liban, absorbant et stimulant potentiellement les minorités chiites qui peuplent les zones-clés de production de pétrole.

Et la revendication par le Cheik Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah chiite, selon laquelle son mouvement est le nouveau et audacieux titulaire de référence de l'Islam, a jeté un froid dans le dos des régimes sunnites conservateurs et autoritaires de la région. "Le Hezbollah ne livre pas une bataille pour le Hezbollah ou même pour le Liban", a déclaré M. Nasrallah cette semaine. "Aujourd'hui, nous livrons une bataille pour la nation [islamique]".

Mouin Rabbani, analyste confirmé sur le Moyen-Orient au Groupe International de Crise à Amman, a dit que le spectre d'un schisme pouvait être exagéré. Seulement 10% des musulmans du monde sont chiites. "Le monde arabe n'est pas la Yougoslavie" a-t-il dit. Les sunnites de l'opposition islamiste interdite d'Egypte, les Frères Musulmans, ne semblent pas inquiets. Ils soutiennent avec enthousiasme le Hezbollah.

Les experts régionaux conviennent qu'un facteur au-dessus de tous les autres génère surtout l'hostilité des gouvernements arabes vis-à-vis du Hezbollah : la conviction que cette milice est la créature de l'Iran, financée, armée, entraînée, secourue et dirigée par des éléments extrémistes au sein de l'appareil de sécurité de Téhéran et utilisée pour projeter son influence dans la sphère arabe. On pense largement que l'Iran à l'intention d'affirmer son leadership régional. Et cela, en retour, ravive l'inimitié ancienne entre les Arabes et les Perses qui met au second plan le problème avec Israël.

À part cela, parmi les nombreux Arabes ordinaires qui s'opposent aux gouvernements arabes, le président iranien violemment anti-Israélien, Mahmoud Ahmadinejad, qui a été élevé au rang de héros, est disposé, à la différence des chefs du cru, à se dresser pour tous les Musulmans, qu'ils soient palestiniens ou libanais. Une autre raison, peut-être, pour laquelle les régimes régionaux espèrent que le Hezbollah échoue et qu'Israël gagne.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]