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La classe dirigeante mondiale

Les milliardaires

The Economist, le 24 avril 2008

article original : "Billion-dollar babies"



John Paulson, la puissance personnifiée (reuters)

QUI dirige le monde ? Les réponses les plus fréquentes à cette question sont tellement polluées par la paranoïa qu'il est tentant d'écarter la question. Si les Juifs sont si puissants, alors pourquoi ont-ils dû endurer des épreuves aussi épouvantables ? Si les hommes et les femmes de Davos sont si puissants, alors pourquoi continuent-ils de semer la pagaille partout ?

Pourtant, le fait que tant de personnes apportent des réponses ridicules à une question particulière ne discrédite pas la question. L'essor des états-nations a produit des classes dirigeantes nationales. Il serait étrange que l'intégration actuelle de l'économie mondiale ne produisît pas de nouvelles élites mondiales - des entrepreneurs et des financiers qui dirigent des entreprises mondiales et des politiciens mondiaux qui dirigent des organisations supranationales, telles que l'Union Européenne (UE) et le Fonds Monétaire International (FMI).

David Rothkopf, un spécialiste détaché au Carnegie Endowment for International Peace, soutient que ces élites ne constituent rien de moins qu'une nouvelle "super-classe" mondiale. Ils partagent avec leurs aînés la caractéristique de fonctionner en clubs, mais avec la différence essentielle qu'ils opèrent sur la scène mondiale, loin de leurs seuls électorats nationaux.

Ils fréquentent les mêmes universités (M. Rothkopf estime qu'Harvard, Stanford et l'Université de Chicago sont à présent les trois premiers producteurs de la super-classe). Ils sont formés dans une poignée d'institutions qui s'étendent sur toute la planète, telles que Goldman Sachs. Ils font partie des mêmes clubs - le Council on Foreign Relations [CFR] à New York est leur préféré - et ils siègent aux conseils d'administration des uns et des autres. Un grand nombre d'entre eux font la navette entre le secteur public et le secteur privé. Ils se rencontrent lors d'événements internationaux tels que le Forum Economique Mondial de Davos et la Commission Trilatérale ou - pour la crème de la crème, les rencontres du Bilderberg et les séminaires du Bohemian Grove qui se déroulent tous les ans en Californie au mois de juillet.

M. Rothkopf fait une visite guidée mondiale fascinante de la super-classe. Il ouvre la porte du bureau du patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, au dernier étage de la tour Goldman sur Broad Street à New York. Il visite l'usine qui personnalise les jets de Gulfstream (chaque année, près de 10% des clients de Gulfstream participent à Davos). Il rend visite au Groupe Carlyle où des financiers et des anciens présidents se mettent ensemble pour s'enrichir les uns les autres. Et il propose une visite guidée des réunions mystérieuses des rencontres du Bohemian Grove, que Richard Nixon décrivait comme "la chose la plus sacrément prétentieuse que l'on peut imaginer".

La "super-classe" est un tel annuaire hétéroclite qu'elle soulève inévitablement aussi des chicanes. M. Rothkopf ne définit jamais vraiment les limites de son sujet. Parle-t-il des super-riches ? Ou des super-influents ? Les gens dont-il parle constituent-ils réellement une "classe" ? Où sont-ils un agglomérat d'élites en concurrence avec des programmes différents ? M. Rothkopf ajoute à la confusion en poursuivant toutes sortes de lièvres, incluant la montée des Djihadistes favorisés par internet.

M. Rothkopf, dont le CV inclut une période où il a travaillé pour Kissinger Associates et une période où il était sous-secrétaire adjoint au commerce délégué aux échanges internationaux, est beaucoup mieux informé sur l'Amérique qu'il ne l'est sur le reste du monde. Il est fasciné par les vases communicants entre le Pentagone et l'industrie de l'armement, par exemple, mais il ne dit pratiquement rien sur l'ascension de l'UE, l'un des grands blocs du monde transnational. Son exposé sur les merveilles de Davos est plus extatique que lumineux.

Pourtant, rien de tout cela ne devrait rebuter les lecteurs potentiels : "Superclass" est une étude d'avant-garde sur un sujet qui a été souvent la chasse-gardée des théoriciens de la conspiration. M. Rothkopf est tout sauf un fanatique et il a raison lorsqu'il dit que, ces jours-ci, les personnes les plus influentes dans le monde sont aussi les personnes les plus mondiales.

Il est aussi admirablement ambivalent sur ce sujet. Il s'inquiète de l'inégalité qui monte brusquement - 1% des humains les plus riches possèdent 40% de la richesse de la planète - et de la réaction violente qui gronde contre tant de pouvoir qui ne rend pas de comptes. Mais il fait remarquer que dans un monde où les institutions les plus mondiales sont pesantes et archaïques, les membres de la super-classe sont régulièrement intervenus pour corriger le système mondial. Espérons qu'ils n'ont pas perdu la main.

Superclass: The Global Power Elite and the World They Are Making [Super-classe : L'élite du pouvoir mondial et le monde qu'ils fabriquent]. Par David Rothkopf.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]