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Les Mains d'Esaü (Bush Rencontre Olmert) |
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Par Uri Avnery publié le 14 janvier 2008 sur CounterPunch article original : "The Hands of Esau" |
Lequel des deux hommes est le dirigeant de la plus grande puissance sur la terre et lequel est le patron d'un petit Etat client ? Un visiteur d'une autre planète, qui aurait assisté à la conférence de presse à Jérusalem, n'aurait pas eu de mal à répondre : Olmert est le président de la grande puissance, Bush est son vassal.
Olmert est plus grand. Il a parlé interminablement, tandis que Bush écoutait patiemment. Alors qu'Olmert a passé une telle pommade de flatteries sur Bush, qui aurait fait rougir un empereur byzantin, il était assez clair que c'est Olmert qui décide de la politique, tandis que Bush accepte humblement le dictat israélien. Et la flatterie de Bush vis-à-vis d'Olmert a même excédé celle qu'Olmert a exercée sur Bush.
Tous deux, avons-nous appris, sont "courageux". Tous deux sont "déterminés". Tous deux ont une "vision". Le mot "vision", autrefois réservé aux prophètes, a été placé toutes les deux phrases. (Bush ne pouvait pas savoir qu'en Israël, "vision" est devenue depuis longtemps un terme badin pour les discours ampoulés, généralement en combinaison avec le mot "sionisme".)
Le Président et le Premier ministre ont quelque chose d'autre en commun : pas un mot de ce qu'ils ont dit à la conférence de presse avait le moindre lien avec la vérité.
L'un DES drames le plus émouvant dans la Bible nous raconte l'histoire de notre vieil ancêtre aveugle, Isaac, qui voulait bénir son fils aîné, Esaü, un chasseur roux et très poilu. Mais le deuxième fils, Jacob, le casanier (ou plutôt le "tentanier"), exploita l'absence de son frère afin de dérober la bénédiction. Il enfila les vêtements d'Esaü et couvrit ses bras de poils de chèvre. La ruse a failli rater lorsque le père toucha les bras de Jacob et qu'il eut des soupçons.
C'est à ce moment qu'il a prononcé ces mots célèbres : "La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d'Esaü" (Genèse, 27 :22).
Pourtant, Jacob, l'imposteur, reçut bien la bénédiction et devint le père de la nation à laquelle il donna son nom (on l'appelait aussi Israël). Il semble que Ehoud Olmert en est le vrai successeur : il n'y a aucun lien entre sa voix et ses mains.
Quiconque l'écoute - pas juste à la conférence de presse, mais aussi à chaque occasion - entend les mots de paix et de raison : Les Palestiniens doivent avoir un Etat à eux. Cette "vision" doit se réaliser pendant que Bush est président, parce qu'Israël n'a jamais eu et n'aura jamais un meilleur ami. Les postes avancés des colonies doivent être retirés, comme nous l'avons promis encore et toujours. Les colonies doivent être gelées. Etc. etc.
C'est la voix de Jacob. Mais les mains, eh! bien, sont les mains d'Esaü.* * *
AVANT ANNAPOLIS, durant Annapolis et après Annapolis, absolument rien n'a été fait pour encourager la Solution à Deux Etats. Les négociations étaient sur le point de commencer - à tout moment - il y a un an, et, maintenant, elles sont encore sur le point de commencer - à tout moment. Oui, les "questions-clés" - les frontières, Jérusalem, les réfugiés - seront abordées. C'est sûr. A tout moment maintenant.
Mais en attendant, les mains d'Esaü travaillent fiévreusement. Partout dans les territoires occupés, les colonies sont agrandies. Les postes avancés existants restent intacts et de nouveaux surgissent de temps en temps. Autour d'eux, une danse bien chorégraphiée est élaborée, une sorte de ballet solennel exécuté par les colons et l'armée. Les colons installent un nouveau poste avancé, l'armée l'enlève, les colons y retournent et le réinstallent, l'armée le démantèle, et ainsi de suite.
Pendant ce temps, le poste avancé devient de plus en plus grand. Le gouvernement le relie à l'électricité et au réseau d'eau et construit une route. Et l'armée, bien sûr, le protège jour et nuit. Nous ne pouvons pas laisser de bons Juifs à la merci de ces terroristes palestiniens diaboliques, n'est-ce pas ?
Bush sait tout cela et continue quand même à jacasser que "les postes avancés illégaux doivent être retirés". Et ça continue ainsi : la voix est la voix de Jacob, les mains sont les mains d'Esaü.
Mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps, pour citer un autre Président Américain qui était légèrement plus intelligent que celui actuellement en poste.
Et donc, après qu'Olmert et Bush ont répété le mantra concernant la suppression des postes avancés et le gel des colonies, l'un des journalistes a posé une question innocente : Comment cela s'accorde-t-il avec l'annonce sur la construction d'un énorme programme de nouveaux logements à Har Homa ?
Si jamais quelqu'un pensait que cette question aurait embarrassé Olmert, il s'est lourdement trompé. Olmert ne peut tout simplement pas être embarrassé. Il a tout bonnement répondu que cette promesse ne s'applique pas à Jérusalem, ni aux "centres de population juive" au-delà de la Ligne Verte.
"Jérusalem" - depuis l'époque de Lévy Eshkol - n'est pas seulement la Vieille Ville et la Cuvette Sacrée. C'est une immense bande de terre annexée à Israël après la Guerre des Six-Jours, des approches de Bethléem à la périphérie de Ramallah. Cette zone inclut la colline qui était autrefois recouverte de forêt et que l'on appelait Djebel Abou-Ghneim, à présent le site de la colonie énorme et affreuse de Har Homa. Et les "centres de population" sont les grands blocs de colonies dans les territoires occupés palestiniens, que le Président Bush a si généreusement offerts à Ariel Sharon.
Cela signifie que presque toutes les activités extensives de construction qui sont aujourd'hui de l'autre côté de la Ligne Verte ne sont pas couvertes par l'entreprise israélienne de gel des colonies. Et pendant qu'Olmert a publiquement annoncé cela, le Président Bush se tenait à ses côtés, souriant bêtement et passant une nouvelle couche de brosse à reluire.
Le jour suivant, Bush a rendu visite à Mahmoud Abbas à Ramallah et déclaré aux Palestiniens choqués que les innombrables barrages israéliens en Cisjordanie, qui transforment la vie des Palestiniens en enfer, sont nécessaires pour la protection d'Israël et doivent rester où ils sont - jusqu'après l'établissement de l'Etat palestinien démocratique espéré.
Condoleeza Rice a été prompte à lui rappeler en privé que ceci n'était pas très sage, étant donné qu'il était sur le point de rendre visite à une demi-douzaine de pays arabes. Donc Bush s'est dépêché d'e convoquer une autre conférence de presse à Jérusalem, pour parler des "questions-clés" : il y aurait un Etat palestinien "contigu", mais les frontières de 1949 (la Ligne Verte) ne seraient pas restaurées. Il ne parlerait pas de Jérusalem. Enfin, le problème des réfugiés serait réglé par un fonds international - voulant dire qu'absolument personne ne serait autorisé à revenir.
Dans l'ensemble, beaucoup moins que les "paramètres" de Bill Clinton en 2000 et moins que ce que la plupart des Israéliens sont prêts à accepter. Cela se monte à un soutien à 110% de la ligne israélienne officielle du gouvernement.
Après cela, Bush a dîné avec les ministres israéliens. Il a cordialement serré la main du Ministre Rafael Eitan, l'ancien maître-espion qui contrôlait l'espion israélien à Washington, Jonathan Pollard, que Bush refuse de gracier. (Eitan serait arrêté dès qu'il poserait le pied sur le sol américain.) Il a parlé cordialement avec le ministre d'extrême droite, Avigdor Lieberman, l'enjoignant à soutenir Olmert. Pendant tout le dîner, il a parlé et parlé, jusqu'à ce que Condi lui envoie une note discrète lui suggérant de la fermer. Bush, plein d'entrain, a lu la note à voix haute.* * *
J'AI mentionné plus d'une fois l'affiche britannique de la Deuxième Guerre Mondiale qui fut collée sur les murs de la Palestine : "Ce voyage est-il vraiment nécessaire ?"
C'est une fois encore la question aujourd'hui : Ce voyage de Bush est-il vraiment nécessaire ?
La réponse est : Bien sûr ! Nécessaire pour Bush. Nécessaire pour Olmert. Nécessaire, aussi, pour Abbas.
Pour Bush, parce qu'il est en fin de parcours, assurant la gestion des affaires courantes, dans la dernière année de son mandat, et, par conséquent, pratiquement paralysé. Aux Etats-Unis, il devient rapidement sans importance. Sa tournée racoleuse au Proche-Orient a été couverte par la pagaille des élections primaires, qui produit un nouveau drame presque chaque jour. Tandis qu'Hillary se bat contre Obama et que le désinvolte Bill se trouve en concurrence avec une grand-mère noire, qui se fiche où peut traîner le pire président de l'histoire américaine ?
Olmert est parfaitement conscient de la situation. Lorsqu'il déclare que la dernière année du mandat de ce noble ami doit être utilisée, ce qu'il veut réellement dire est : il ne peut pas exercer de pression contre nous, il ne peut même pas nous "pousser", comme il l'a promis. Il n'y a pas besoin de supprimer ne serait-ce que le plus petit poste avancé pour lui. Donc, pressons la dernière goutte de jus de sa présidence, avant qu'il ne soit jeté dans les poubelles de l'Histoire.
Mais Olmert a besoin de la présence de Bush à ses côtés, parce que sa position n'est pas beaucoup plus sûre que celle de Bush. Bush a fait faillite d'une grande façon, après avoir commencé l'une des guerres la plus inutile et la plus infructueuse de l'histoire des Etats-Unis. C'est vrai pour Olmert d'une façon moindre. Il a fait faillite lui aussi et il a aussi commencé une guerre inutile et ratée.
Dans deux semaines, la Commission Vinograd publiera son rapport final sur la Deuxième Guerre du Liban et tout le monde s'attend à ce qu'il fonde sur Olmert comme un seize-tonnes. Celui-ci pourrait survivre, seulement s'il n'y a pas de meilleur substitut. Mais il a besoin de toute l'aide qu'il peut obtenir - et quelle meilleure aide que le "Dirigeant du Monde Libre" le regardant avec des yeux liquides ?
C'est la vieille histoire du borgne et de l'aveugle.* * *
CE N'ETAIT PAS la dernière visite présidentielle de Bush à Israël. Il a déjà promis de revenir pour le 60ème anniversaire de la fondation de l'Etat d'Israël, qui tombera cette année (conformément au calendrier hébreu), le 8 mai. Quoi d'autre un président peut-il faire dans ses derniers mois au pouvoir, à part jouer le rôle principal dans les cérémonies avec des rois, des présidents et des Premiers ministres ?
Peut-être avait-il l'intention de finir avec un big-bang, un apogée historique qui aurait éclipsé même ses invasions de l'Afghanistan et de l'Irak, comme une attaque grandiose de l'Iran ? Mais il semble que la communauté étasunienne du renseignement, dans un acte patriotique qui compense ses précédents péchés, ait empêché cela en publiant son rapport à sensation.
Vrai, cette semaine, il s'est produit quelque chose qui a tiré le signal d'alarme. On a rapporté que quelques petits bateaux iraniens avaient fait un geste de provocation contre les puissants navires de guerre américains dans le Détroit d'Ormuz.
Cela nous ramène directement à 1964 et à ce qui est désormais connu comme "l'incident du Golfe du Tonkin". Le Président Lyndon Johnson avait annoncé que des vaisseaux vietnamiens avaient attaqué des navires de guerre américains. C'était un mensonge, mais cela a suffit pour que le Congrès donne le pouvoir au président d'étendre la guerre qui a fait des millions de morts (et mis un terme à la carrière de Johnson).
Mais cette fois-ci, le signal d'alarme est rapidement retombé. Le Congrès des Etats-Unis n'est pas ce qu'il était, il semble que les Américains n'ont aucune envie d'une autre guerre et le parallèle historique était trop évident. Bush reste sans option pour la guerre. Il reste sans rien.
A part la flatterie d'Olmert, bien sûr !
Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]